
Des migrations aux fonctions vitales
Les poissons migrateurs effectuent des déplacements réguliers entre différents habitats au cours de leur cycle de vie. Ces mouvements sont généralement liés à la reproduction, à la recherche de nourriture ou à la survie face aux variations environnementales. On distingue principalement deux grands types de migration :
o Les migrations anadromes : les poissons naissent en eau douce, vivent en mer, puis retournent en rivière pour se reproduire. C’est le cas du saumon atlantique (Salmo salar), emblématique des rivières bretonnes et normandes, ou de l’alose (Alosa alosa), que l’on trouvait autrefois en abondance dans la Loire et la Garonne. La lamproie marine, une espèce primitive à l’apparence singulière, suit le même parcours.
o Les migrations catadromes : à l’inverse, ces espèces grandissent en eau douce et rejoignent la mer pour se reproduire. L’exemple le plus emblématique est celui de l’anguille européenne (Anguilla anguilla), qui quitte les rivières d’Europe pour rejoindre la mer des Sargasses, au large des Antilles, afin d’y pondre ses oeufs.
Certaines espèces, comme la truite de mer, passent également une partie de leur vie en mer, bien qu’étant issues de populations de truites communes (Salmo trutta) adaptées à la migration. D'autres, comme le mulet ou le flet, effectuent aussi des déplacements réguliers entre les eaux douces et salées.
Des espèces sentinelles des milieux aquatiques
La migration est un processus biologique exigeant, qui dépend de nombreux facteurs : température de l’eau, débits fluviaux, repères olfactifs, cycles lunaires. Ces poissons sont sensibles à la moindre perturbation de leur trajectoire, ce qui en fait d’excellents indicateurs de la santé des milieux aquatiques.
Or, les obstacles à leur migration sont nombreux. Selon un rapport de 2020 publié par WWF et la World Fish Migration Foundation, les populations de poissons migrateurs d’eau douce ont diminué de 76 % en Europe depuis 1970. Cette régression est causée principalement par :
o La fragmentation des cours d’eau par les barrages et seuils
o La pollution des rivières
o L’urbanisation des berges
o Le changement climatique
o La surpêche, notamment pendant les périodes de reproduction
La disparition du saumon dans certaines rivières françaises ou le déclin dramatique de l’esturgeon européen (Acipenser sturio), désormais en danger critique d’extinction, en sont des signes tangibles.

Restaurer la continuité écologique
Pour enrayer ce déclin, de nombreuses actions sont menées en Europe et à travers le monde. Elles visent notamment à restaurer la continuité écologique des cours d’eau, en supprimant des ouvrages obsolètes ou en aménageant des passes à poissons. En France, le Plan national pour la restauration de la continuité écologique (PNRCE) a permis la réhabilitation de plusieurs milliers de kilomètres de rivières depuis 2009.
Par exemple, sur la Sélune (Normandie), l’arasement des barrages de Vezins et de la Roche-qui-Boit a rouvert l’accès au bassin versant pour le saumon. Des opérations similaires sont menées en Bretagne, dans les Pyrénées ou encore sur le Rhône.
Par ailleurs, des programmes de suivi scientifique permettent de mieux comprendre les comportements migratoires grâce à la pose de balises ou au recours à la génétique. Ces données sont essentielles pour orienter les politiques publiques de conservation.
La préservation des poissons migrateurs ne concerne pas uniquement les spécialistes. Elle interpelle également les usagers des rivières, les collectivités locales, les gestionnaires d’ouvrages hydrauliques et le grand public. Consommer des espèces locales issues de la pêche durable, soutenir les initiatives de restauration écologique ou simplement s’informer sur la biodiversité des rivières sont autant de gestes utiles.
À l’heure où les écosystèmes aquatiques sont fragilisés par l’activité humaine, la protection des poissons migrateurs devient un enjeu majeur de conservation. Leur survie conditionne en partie celle des milieux qu’ils traversent - et que nous partageons.