
Ce navigateur vénitien, dont l’histoire a souvent été éclipsée par celles de Christophe Colomb ou de Vasco de Gama, fut pourtant l’un des premiers Européens à poser le pied sur les terres de l’actuel Canada. Son parcours, entre audace, mystère et disparition, mérite d’être raconté.
Un Vénitien en quête de routes nouvelles
Jean Cabot naît autour de 1450, probablement à Gênes ou dans la région de Naples, sous le nom de Giovanni Caboto. Il grandit à Venise, ville-monde tournée vers la mer, les échanges, les épices et les cartes nautiques. Il y apprend le métier de marchand et de navigateur dans un environnement où le commerce maritime est une science exigeante. En 1476, il devient citoyen vénitien, preuve de son enracinement dans cette ville mais aussi de sa capacité à s’y faire un nom.
Pendant plusieurs années, il voyage entre l’Italie, l’Espagne et le Portugal, cherchant à mettre ses connaissances au service des grandes couronnes. À Séville, il tente en vain de convaincre les autorités espagnoles de financer un projet d’exploration. Trop de concurrents, trop d’incertitudes, pas assez d’appuis. Alors il repart, porté par une intuition : si l’ouest mène aux Indes, pourquoi ne pas essayer plus au nord, loin des routes déjà empruntées ?
Vers 1495, Cabot s’installe à Bristol, en Angleterre. La ville est alors l’un des ports les plus actifs du pays. On y parle depuis des années de terres inconnues, d’îles mystérieuses repérées par des pêcheurs. Ces rumeurs nourrissent les ambitions d’un royaume encore en retrait dans la course à l’exploration. Henri VII, le roi d’Angleterre, cherche lui aussi sa voie vers l’Asie. Cabot lui propose un itinéraire original : passer au nord de l’Atlantique, éviter les routes portugaises et espagnoles, et trouver une nouvelle terre de passage.
Le roi est séduit. En mars 1496, il signe une lettre patente autorisant Cabot et ses fils à « découvrir, explorer et prendre possession de toutes les terres inconnues » au nom de la couronne anglaise. C’est le point de départ d’une aventure fondatrice.
Le voyage de 1497 : la découverte des terres de l’Atlantique Nord
C’est au printemps 1497 que Jean Cabot quitte Bristol à bord du Matthew, un navire modeste d’une cinquantaine de tonneaux, avec un équipage d’une vingtaine d’hommes. Ce n’est pas une flotte impressionnante, mais plutôt une expédition rapide, légère, risquée.
Le voyage dure plusieurs semaines. L’Atlantique Nord est redoutable, encore plus à une époque où les instruments de navigation sont incertains. Vent, brouillard, froid, courants imprévisibles : la traversée n’a rien d’une promenade. Pourtant, Cabot tient bon, poussé par sa conviction. Et en juin 1497, une terre apparaît à l’horizon.
Le 24 juin, il atteint une côte qu’il baptise « Terre-Neuve ». Il s’agit probablement de la pointe nord-est du Canada actuel, peut-être le Cap-Breton, le Labrador ou même Terre-Neuve. Les récits sont rares, mais il est clair qu’il débarque, plante un drapeau anglais et prend possession du territoire au nom d’Henri VII. Il n’y installe ni colonie ni comptoir, ne s’attarde pas. Ce qui l’importe, c’est de revenir avec la preuve de sa découverte.
Il remarque, selon certains témoignages, des traces d’habitation, peut-être celles des peuples autochtones, mais ne signale pas de rencontre. L’idée d’un continent nordique commence à prendre forme. Pour la première fois depuis les Vikings, un navigateur européen pose les yeux - et sans doute les pieds - sur les rives septentrionales de l’Amérique.

L’expédition de 1498 : un départ sans retour
De retour à Bristol, Jean Cabot est accueilli comme un héros. Henri VII lui verse une pension annuelle de 20 livres sterling, preuve de reconnaissance et d’intérêt royal. Très vite, un deuxième voyage est mis en chantier.
En mai 1498, Cabot repart avec cinq navires et une mission plus vaste. Cette fois, l’objectif n’est pas seulement d’identifier une côte, mais peut-être de longer cette terre, de chercher un passage vers l’ouest, voire de débuter une forme d’établissement. Mais l’histoire de cette deuxième expédition reste en grande partie une énigme.
On sait que la flotte a quitté l’Angleterre. On sait aussi qu’un des navires a dû faire demi-tour peu après le départ à cause d’une avarie. Mais que s’est-il passé pour les autres ? Aucune trace claire n’a été retrouvée. A-t-il accosté une nouvelle fois en Amérique ? A-t-il péri en mer, victime d’une tempête, d’un naufrage, ou d’une confrontation ?
Certaines sources laissent penser que Cabot aurait atteint une partie plus méridionale du continent, peut-être même jusqu’à la baie d’Hudson. D’autres le disent mort avant même d’atteindre l’autre rive. Le silence des archives a transformé cette expédition en mythe. Jean Cabot disparaît sans explication, emportant avec lui la suite de son projet.
Un héritage maritime fondamental pour l’Angleterre
Malgré l’échec apparent de son second voyage, l’impact de Jean Cabot est immense. Il offre à l’Angleterre un droit symbolique sur les terres nord-américaines, bien avant la colonisation effective. Il place la couronne anglaise dans la course aux explorations, à une époque où tout semble encore dominé par l’Espagne et le Portugal.
Cabot a ouvert une voie, et d’autres la suivront : son fils Sébastien notamment, mais aussi, plusieurs décennies plus tard, les pionniers de l’Empire britannique en Amérique du Nord. On le considère aujourd’hui comme le découvreur des côtes canadiennes pour le monde moderne.
Son nom reste attaché à cette intuition d’un passage du Nord-Ouest vers les Indes, une quête qui hantera les explorateurs pendant des siècles.
Jean Cabot n’était pas un conquérant. Il n’a pas fondé de colonie, n’a pas accumulé de trésor. Ce qu’il a laissé, c’est une carte mentale, un cap, une ouverture. Un point d’ancrage dans la grande aventure des découvertes.
Et bien que son souvenir ait longtemps été éclipsé par d’autres navigateurs plus célèbres, son rôle dans l’histoire maritime de l’Europe et dans les débuts de la présence anglaise en Amérique est désormais reconnu comme essentiel.