Vendée Globe : une campagne de mesures inédite de la biodiversité océanique a été réalisée autour de la planète

Cette approche ouvre des perspectives heuristiques exceptionnelles : 135 échantillons ont été prélevés durant le tour du monde et ont permis de générer 250 millions de séquences d’ADN, d’identifier 4000 espèces, dont certaines jamais observées auparavant. Alors que s’ouvre lundi à Nice le sommet des nations Unies dédié aux océans, avec l’objectif de développement durable n°14 « vie aquatique », et alors que l’on perd davantage d’espèces que l’on en découvre dans les océans, l’étude du vivant au moyen de l’ADN environnemental va permettre de mieux connaitre les organismes et animaux peuplant les océans mais aussi de découvrir les conséquences du réchauffement climatique et des pollutions anthropiques sur les écosystèmes marins et leur biodiversité.
C’est une première scientifique. Fabrice Amedeo et son voilier IMOCA FDJ UNITED - Wewise ont réalisé une vaste campagne de mesures du vivant autour du monde, dans les 3 océans, sur 100 degrés de latitude et 360 degrés de longitude, et en 114 jours lors du dernier Vendée Globe. Cette campagne qui va permettre de dresser un premier catalogue planétaire de la biodiversité marine a été réalisée grâce à un capteur d’ADN environnemental mis au point par l'organisation Citizens of the Sea basée en Nouvelle Zélande.
L’ADN environnemental (ADNe) c’est tout l’ADN qui est relâché en permanence par les organismes dans leur milieu naturel par le biais d’excrétions (mucus, larves) et de sécrétions (fèces ou urine). Grâce à ce nouveau capteur, il est possible de filtrer 10 litres d’eau de mer automatiquement, de capturer et sécher les traces d'ADN en quelques minutes et, de retour à terre, d’obtenir rapidement une cartographie biologique précise de tous les organismes présents dans ce milieu, des virus jusqu’aux baleines. Durant toute sa course autour du monde, Fabrice a régulièrement actionné ce capteur pour prélever de précieux échantillons d’ADNe. Dès son arrivée aux Sables d’Olonne début mars, les filtres ont été envoyés à l'Institut Cawthron en Nouvelle-Zélande pour les analyses génétiques sous la direction de Xavier Pochon, chercheur en écologie moléculaire et chef scientifique de Citizens of the Sea. 135 échantillons ont été prélevés et ont permis de générer 250 millions de séquences d’ADNe, et d’identifier 4000 espèces dont la plupart sont inconnues. Pour la première fois, un arbre de la vie basé sur l’ADN environnemental capturé autour du globe en seulement 100 jours a pu être reconstruit, offrant un instantané unique de la biodiversité planétaire. Cette étude a examiné les échantillons à l'aide de quatre marqueurs génétiques : un pour les bactéries, un pour tous les eucaryotes (c'est-à-dire toute forme de vie dotée d'un noyau cellulaire), un pour les animaux et un autre ciblant spécifiquement les poissons et les mammifères.
Les résultats montrent une domination des microbes et espèces planctoniques, mais aussi la présence rare et précieuse de poissons, méduses et cétacés. Les signatures microbiennes détectées apportent une lecture fine de la santé des océans - ces micro-organismes invisibles sont les véritables moteurs des écosystèmes marins. Le plancton, quant à lui, agit comme un baromètre climatique : en se renouvelant en quelques jours seulement, les communautés de phyto- et zooplancton reflètent immédiatement les variations de température, d’acidité ou de salinité, offrant ainsi des indices précieux sur le stress environnemental subi par les océans.
Parmi les espèces détectées par le capteur à bord, on note une grande diversité de poissons à l’image de la richesse du parcours autour du monde : des dorades à long filament et à queue de fouet, des maquereaux espagnols, des poissons cardinal fantôme, poissons papillons à long bec, des saumons australiens, des thons fuselés, des poissons alligators arctiques, des anguilles, mais également des poissons qui figurent sur la liste des espèces menacées de l’UICN (Union Internationale pour la conservation de la nature), par exemple le requin-renard pélagique connu pour assommer ses proies à coup de queue en forme de fouet .
Côté mammifères, le capteur a pu détecter des dauphins à dents rugueuses, des globicéphales noirs, et des baleines à bec, une famille de cétacés considérée comme l'un des groupes de mammifères les moins connus en raison de son habitat en eaux profondes, de son comportement solitaire et de sa faible population. Seules trois ou quatre des 24 espèces existantes sont assez bien connues.
"Alors que la communauté scientifique s’accorde à dire que nous perdons davantage d’espèces que nous en découvrons, cette expédition offre une capsule temporelle inestimable, explique Xavier Pochon. Les échantillons d’ADNe collectés pourront être réanalysés dans le futur, à mesure que la science progressera. Ce projet ouvre des perspectives exceptionnelles : une telle étude au moyen d’un microscope aurait manqué 75% de ce qui a été identifié au moyen de l’ADN et surtout elle aurait pris des années ».
Cette étude prend un sens particulier alors que débute ce lundi le sommet des Nations Unies dédié aux océans (UNOC). Les chefs d’État qui vont se réunir ont en ligne de mire l’objectif numéro 14 de la résolution des Nations Unies « vie aquatique » et la résolution 14.5 qui affirme l’objectif de « protéger plus de 10% des zones côtières et zones marines protégées en modifiant les lois internationales sur la base de meilleures informations scientifiques ». L’ambition est que les aires marines représentent 30% des océans d’ici 2030, une trajectoire ambitieuse mais nécessaire pour assurer le maintien de la biodiversité océanique.
Cette base de données du vivant dans les océans de la planète, réalisée avec le bateau de Fabrice Amedeo, représente un jalon de la gigantesque bibliothèque du vivant que va permettre l’ADN environnementale dans les prochaines années, un appui indispensable pour mieux connaître la biodiversité marine et mieux déterminer ces fameuses aires qu’il faudra sanctuariser.
« L’approche de l’ADN environnemental est révolutionnaire car elle permet de recenser la présence ou l’absence d’espèces rares ou en voie de disparition, mais aussi de détecter les espèces invasives et autre pathogènes. Faire l’inventaire du vivant permet de mesurer la santé de nos océans en temps quasi réel et donc d’en appréhender la dynamique due au changement climatique, explique Xavier Pochon. Nous manquons cruellement de données biologiques provenant des quatre coins du monde. Nous disposons de modèles étonnants qui prédisent le changement climatique, mais aucun d'entre eux ne contient de données biologiques réelles collectées directement en mer. Si vous voulez donner un sens au changement climatique et comprendre comment les communautés marines évoluent, il est urgent et essentiel de rechercher des données spatio-temporelles solides. Afin de protéger, il faut d'abord pouvoir mesurer ».
La prochaine étape de ce projet est de rééditer cette campagne de mesure lors du Vendée Globe 2028 pour Fabrice Amedeo mais aussi de généraliser les capteurs pour multiplier les campagnes de mesures et grossir vite cette bibliothèque du vivant : à bord d’autres voiliers de course au large mais aussi de plaisance, et à terme à bord de navires de pêche et de commerce.
« Ce jeu de données est un jalon. Cette première expédition Vendée Globe offre une base de référence unique pour suivre l’évolution de la biodiversité marine dans les océans les plus reculés de la planète. Mais pour mesurer l’impact du changement climatique sur la biodiversité, nous devons le répéter et l’étendre à une flotte entière. Le potentiel des études d’ADN environnementale est en effet sans limite et pourrait permettre d’analyser le vivant de manière plus globale et holistique", conclut Xavier Pochon.