
Figaro Nautisme : Comment vous est venue l’idée de lancer un chantier de yachts exclusivement catamarans au début des années 2000 ?
Francis Lapp : A l’époque, j’étais propriétaire de trois catamarans d’un grand chantier français que j’exploitais en charter. J’étais très satisfait des bateaux, de la plateforme et mes clients étaient ravis. Mais je désirais leur proposer un produit plus haut de gamme, un peu moins « plastique ». Je suis donc retourné voir le chantier en question pour leur demander une version plus adaptée à mes besoins. Ils m’ont répondu, très gentiment, que cela n’était pas possible pour eux. Je me suis donc tourné vers VPLP, le cabinet d’architectes, avec lequel nous avons commencé à dessiner le bateau dont je rêvais. Nous avons un peu fait les choses à l’envers, puisque nous avons tout d’abord imaginé l’intérieur, ce que je voulais offrir comme volume puis, sur cette base, VPLP m’a annoncé que le bateau devait être un 74 pieds. Dans mon esprit, je pensais construire un 60 pieds ! A l’époque, je vivais déjà à Gdansk en Pologne où j’avais une entreprise de construction ; je suis ingénieur électricien. Nous avons tout naturellement débuté la construction sur place. Ce premier catamaran Sunreef a rapidement été affrété en charter. Un des clients réguliers m’a demandé de le racheter pour son usage personnel. C’est ainsi que je me suis rendu compte qu’il existait un marché pour ces grands catamarans luxueux, à la fois confortables et marins. Ce même client nous a acheté, quelques années plus tard, notre premier 114 pieds... Sunreef répond à une demande de personnes comme moi : je ne suis pas un marin né, je viens d’Alsace. J’aime naviguer, mais je recherche également un espace convivial, familial, stable et sécurisant. Et nous sommes nombreux dans le même cas. C’est la clef du succès de Sunreef Yachts !
Figaro Nautisme : Sunreef innove depuis 23 ans maintenant sur ses catamarans haut de gamme. Pouvez-vous nous expliquer les principales nouveautés que vous avez emmenées dans le monde du yacht avec Sunreef ?
Francis Lapp : Nous avons une vraie responsabilité en tant que fabriquant de yachts : être le plus propre possible pour garder notre petite planète vivable. Mais construire un bateau dit « écologique », avec des moteurs hybrides ou électriques n’a pas beaucoup de sens si la fabrication n’est pas réalisée dans de bonnes conditions. Je vais vous donner un exemple : il y a quelques années, je suis parti, avec une équipe, faire le tour des poubelles du chantier, pour voir ce que l’on pouvait y trouver, ce qui était recyclable et ce qui ne l’était pas. Une grande partie de ce que nous jetions était en parfait état et même revendable. Autrement dit, au lieu de nous coûter de l’argent pour s’en débarrasser, on pouvait en gagner en le revendant, le tout avec un autre gain encore plus important : le gain écologique. Dans notre chantier à Ras Al Khaimah aux Emirats Arabes Unis, 90% de nos déchets sont recyclés ou valorisés. Et cela sera bientôt aussi le cas dans nos usines en Pologne.
C’est une avancée considérable. En termes d’innovation, celle dont je suis le plus fier est sûrement nos panneaux solaires. Les Solar Skin peuvent même être installés et recouvrir les coques des bateaux. Nous avons déposé un brevet et de nombreux industriels, par exemple du monde automobile ou du nautisme sont venus nous solliciter pour avoir accès à cette technologie. C’est une vraie révolution !
Nous travaillons également beaucoup en interne sur des systèmes complets de gestion du bateau. Je vous parle là d’un véritable « hub central de données », qui nous permet de tout savoir sur le bateau : de sa localisation, bien sûr, sa vitesse, la hauteur des vagues, le vent rencontré mais aussi la température de l’eau et tout ce qui concerne l’entretien du navire et ou le SAV. A quand remonte la dernière vidange ? Dans combien d’heures moteur faudra-t-il envisager un entretien ? L’état des batteries... Ce système permet de simplifier la vie des équipages et donc du propriétaire tout en nous permettant de suivre l’évolution de nos bateaux. A ce jour, tous les Sunreef que nous avons mis à l’eau depuis 23 ans, naviguent toujours...
Figaro Nautisme : Quel est l’actualité du chantier en 2025 ?
Francis Lapp : La série Ultima dont nous avons présentée le premier exemplaire au salon de Dubaï en début d’année et que vous pourrez découvrir à Cannes et à Monaco. L’Ultima 55 est un catamaran à moteur équipé de foils, qui permettent de naviguer à 32 nœuds hyper confortablement, sans aucun à-coup. La gamme Ultima se décline en 44, 55, 66, 77 et 88 pieds. Ils sont construits dans la nouvelle usine de 15 000 m2 à Ras Al Khaimah. Un chantier dont nous signons demain (l’interview a été réalisé mi-juin) une première extension pour développer l’atelier de menuiserie. A ce jour, nous pouvons y construire 12 exemplaires de chaque modèle par an !
En Pologne, nous avons, entre autres, 3 Sunreef 140 et 7 Sunreef 100 pieds en construction...
Figaro Nautisme : Les bateaux d’aujourd’hui sont de plus en plus complexes mais aussi plus confortables et paradoxalement plus faciles à manœuvrer. Comment voyez-vous l’évolution de vos bateaux dans 10 ou 15 ans ?
Francis Lapp : Le plus gros des challenges est de réussir à faciliter la vie des équipages. Il est difficile de trouver un bon capitaine apte à gérer des voiliers dans des tailles supérieures à 80 pieds. Nous essayons donc de développer, par exemple, des systèmes d’automatisation de gestion des voiles. Et sur les tailles de gréements dont nous parlons, ce n’est pas du tout simple. Je pense franchement que l’avenir du nautisme passera par ces innovations ainsi que par tous les systèmes d’aide à la navigation au sens large.
Enfin, le dernier axe de développement concerne forcément les solutions de motorisations hybrides et électriques. Sur mon bateau personnel, qui est à motorisation électrique, la consommation de fuel (des seuls groupes électrogènes) est d’environ 10% de celle d’un bateau classique. Et pourtant, c’est un bateau qui voyage et navigue beaucoup. Nos équipes réfléchissent également sur l’hydrogène, mais pour l’instant, le problème reste de pouvoir se ravitailler en grande croisière - on n’en trouve nulle part - et son stockage pose toujours des questions en termes de sécurité.
Figaro Nautisme : Sunreef Yacht en chiffres ?
Francis Lapp : Nous avons mis 600 bateaux à l’eau. En Pologne, nous avons 1600 collaborateurs et 750 à Dubaï et Ras Al Khaimah où nous serons 1000 en fin d’année. Le carnet de commandes est plein : il représente quasiment 400 millions d’euros !
Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Francis Lapp : Je travaille beaucoup mais je m’octroie quelques belles navigations sur mon propre bateau ou sur celui de clients qui sont devenus des amis. L’année dernière, c’était aux Seychelles et je pense que cette année ce sera le long des côtes turques, au mois d’octobre...
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