Plages “no kids” en France : vers une côte réservée aux adultes ?

Un phénomène encore discret... mais en pleine lumière
En France, la généralisation des espaces sans enfants tarde à voir le jour. Selon une enquête Odoxa pour Lou Media, 54 % des Français soutiennent la mise en place de zones réservées aux adultes, révélant un désir réel de tranquillité. Pour autant, le nombre d’établissements labellisés « adult only » reste marginal, estimé à environ 3 % de l’offre hôtelière et de plein air.
De rares hôtels, campings ou restaurants intègrent déjà cette logique : en Corse, sur la Côte d’Azur ou dans certains campings quatre étoiles, des établissements réservent une partie de leurs infrastructures aux adultes, séduisant une clientèle en quête de repos absolu. Pourtant, sur les plages publiques, le concept peine à s’ancrer durablement. Contrairement aux hôtels, il est beaucoup plus difficile - juridiquement et symboliquement - de limiter l’accès à un espace public maritime.
Légalité en eaux troubles
Le cadre juridique français est clair sur un point : toute discrimination fondée sur l’âge ou la situation de famille est interdite par la loi. L’article 225-1 du Code pénal punit ce type de pratiques de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende. Cela signifie que l’interdiction explicite d’accès aux enfants sur une plage publique pourrait être jugée illégale, sauf exception très encadrée.
Dans les faits, certains professionnels contournent cette difficulté en parlant d’« espaces zen » ou de « zones de repos », parfois réservées aux plus de 16 ans sans l’indiquer clairement. C’est souvent dans des lieux déjà codifiés - comme certaines plages naturistes, des resorts bien-être ou des clubs privés - que ces pratiques s’installent, en évitant soigneusement la frontalité juridique.
Face à ce flou, l’État a récemment pris position. En mai 2025, Sarah El Haïry, alors Haut-commissaire à l’Enfance, a dénoncé ce mouvement comme une « violence symbolique » faite aux enfants. Elle a ouvert une concertation avec les professionnels du tourisme pour encadrer - voire interdire - ces pratiques. Une proposition de loi déposée au Sénat par Laurence Rossignol prévoit d’ajouter la minorité d’âge aux critères protégés dans les établissements recevant du public, ce qui rendrait illégaux les hôtels ou restaurants interdisant les mineurs.
Le littoral en question : plage zen ou exclusion sociale ?
Sur les plages, le débat est encore plus sensible. La France protège son domaine public maritime : nul ne peut privatiser une plage, et toute entrave à la libre circulation dans la bande littorale de trois mètres est passible de sanctions. Toutefois, certaines communes peuvent, par arrêté municipal, encadrer les usages - c’est le cas pour les zones naturistes.
Rien, cependant, ne permet aujourd’hui de créer une plage « no kids » de manière légale sur le domaine public. Ce que certains professionnels proposent en revanche, ce sont des plages privées - rattachées à des clubs, hôtels ou restaurants - où l’entrée peut être filtrée sous certaines conditions. Là encore, les services juridiques restent prudents : une interdiction totale pourrait être attaquée en justice.
Les partisans de ces zones invoquent un droit à la tranquillité. Ils parlent de surcharge sonore, de besoin de déconnexion, voire de saturation mentale liée à la vie urbaine. À l’inverse, les opposants y voient une rupture du lien social, une manière de catégoriser les enfants comme des nuisances. Le débat ne se joue donc pas seulement en droit, mais dans la perception de ce que doit être un lieu de loisir partagé.
Les plages face au défi de l’équilibre
Certaines propositions émergent pour tenter de concilier ces visions opposées. Des zones mixtes pourraient être aménagées, avec des horaires de tranquillité ou des règles spécifiques pour favoriser le repos sans exclure. D’autres suggèrent de renforcer les messages de sensibilisation à destination des familles - sur le respect du silence, des autres vacanciers ou du comportement des enfants dans les lieux publics.
Dans certains lieux touristiques très haut de gamme, cette cohabitation se fait naturellement. Les criques isolées ou les plages attenantes à des hôtels de luxe attirent une clientèle adulte par défaut, sans qu’il soit nécessaire d’imposer une règle formelle. Mais dès lors que l’interdiction est affichée, elle devient un point de crispation, voire un terrain juridique glissant.
En toile de fond, c’est la transformation du tourisme qui se dessine : on choisit désormais ses vacances à la carte, en fonction de ses besoins personnels. Après les hôtels pour célibataires, les croisières sans enfants ou les wagons silencieux, les plages pourraient-elles suivre le même chemin ? Rien n’est moins sûr, car l’espace littoral reste, en France, un symbole d’universalité.
Le débat sur les plages « no kids » est révélateur d’un malaise plus profond : celui d’une société qui peine à concilier libertés individuelles et vie collective. Le besoin de calme, de confort ou d’isolement est légitime. Mais il se heurte à une autre réalité : celle du vivre-ensemble, et d’un espace public pensé pour tous, enfants compris.
En ce début d’été déjà bien entamé, alors que les plages affichent complet, une question demeure : à qui appartiennent vraiment les rivages français ? À tous, en droit. Mais dans les faits, l’envie de compartimenter les usages, d’isoler les ambiances, pourrait bien redessiner le littoral.
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