
En 2021 et 2023, le départ de la Rolex Fastnet Race s’était déroulé dans des conditions dantesques, avec plus de 30 nœuds dans le Solent et des vents violents sur les premières 24 heures. Cette année, pour le centenaire de la course, les prévisions météo semblent bien plus clémentes. Si le vent sera au rendez-vous samedi 26 juillet pour le coup d’envoi, les modèles ne prévoient pas de coup de tabac.
Pour autant, personne ne crie victoire. Les vents modérés du départ - annoncés entre 12 et 15 nœuds de nord-ouest - ne simplifieront pas la tâche des équipages, confrontés dès la sortie du Solent aux redoutables effets de marée. De St Alban’s Head à Land’s End, en passant par le Lizard, il faudra négocier les caps anglais sans se laisser piéger par les courants. Et sur la fin de parcours, c’est le raz Blanchard, entre Aurigny et la côte, qui risque de bouleverser les positions.
Comme toujours, les concurrents devront aussi contourner plusieurs zones de séparation du trafic maritime (TSS), qui rendent la navigation bien plus complexe. Exemples : le TSS des Casquets limite les options dès la sortie du Solent, celui du Fastnet impose un contournement serré du rocher, et ceux autour des Scilly ajoutent encore des choix cruciaux. Entre Land’s End et les Scilly, certains tenteront le raccourci, d’autres joueront la prudence plus au large.
À cette complexité s’ajoute une situation météo encore mouvante. Si un large anticyclone s’installe à l’ouest, un système dépressionnaire pourrait apparaître dans la mer Celtique samedi, perturbant les routages, notamment pour les plus grandes unités. Will Best, navigateur sur le 100 pieds Leopard 3, explique : « Le timing et l’intensité de ce système changent chaque jour. Hier, on avait une descente au vent très lente ; aujourd’hui, ce serait plutôt un long reaching rapide vers Cherbourg, ce qui nous fait gagner des heures. »

Avec son tirant d’eau de 5,5 m, Leopard 3 ne peut pas raser les côtes, mais sa vitesse et son gréement surdimensionné lui permettent d’anticiper les pièges de marée. Elle espère rééditer sa victoire expéditive lors du Cowes-Dinard-St Malo début juillet.
Plus au nord sur la ligne, Joost Schuijff prendra le départ en double sur le nouveau Pogo RC Midnight Blues, un 33 pieds signé Manuard/Nivelt. Là aussi, l’analyse météo est prudente. « On devrait avoir du près modéré pendant 24 heures, puis un reaching. C’est bon pour nous si ça tourne comme ça. On est plus courts que nos concurrents mais notre bateau est fait pour ces allures. » Cinq exemplaires de ce nouveau monotype ont été construits à ce jour, dont un aligné par Achille Nebout et Tanguy Bouroullec.
En IRC Four, Jetpack de Mark Brown - un JPK 1010 mené en équipage complet - domine actuellement le classement général avec plus de 100 points d’avance. Après un abandon en 2023 pour cause de voile déchirée, l’équipage compte bien aller au bout cette année. Le navigateur Sam Jones reste prudent : « On part tard, et le vent léger risque de nous ralentir sur les caps. Il faudra réussir à passer St Alban’s sans trop perdre. » Si les conditions tournent au reaching ensuite, Jetpack aura des cartes à jouer, même s’il reste moins rapide au portant que les Sun Fast 3200 plus légers.
Selon lui, la transition vers le Fastnet devrait se faire dans 10 à 20 nœuds, avec un possible renforcement à l’approche du rocher. La descente vers Cherbourg se ferait ensuite sous spi. « Si ça tient comme ça, c’est jouable en trois jours et demi, voire quatre pour notre flotte. »
À défaut de coups de vent et de mer déchaînée, c’est la finesse stratégique qui pourrait faire la différence cette année. Routes multiples, effets de site, prévisions changeantes, et choix cruciaux autour des TSS font de cette 51e édition un millésime exigeant. Pas de tempête au menu, mais du grand large intelligent, sur un parcours aussi célèbre que piégeux.