
Dans le cadre de la vente aux enchères « Les Grandes Marques du Monde au Grand Palais » organisée par la maison Bonhams le 8 février prochain, en marge du salon Rétromobile (1), les amateurs de pièces exceptionnelles pourront admirer le Rafale V (ex Aurora). Un bateau à moteur, briseur de records de l’entre-deux-guerres. Sous la voûte en verre du Grand Palais sera exposé ce racer tricolore propulsé par un moteur d'avion Hispano-Suiza V12 NBR de 36 litres qui permettait au Rafale V de naviguer à plus de 130 km/h sur la Seine toute proche !

Dans son livre « Classic Speedboats 1916-1939 » (Bay View Books, 1997) l'historien des bateaux à moteur, Gérald Guétat raconte son épopée. « En France, la société Tecalemit était le principal fournisseur d'équipements pour automobiles et avions. Elle était dirigée par Emile Picquerez, un grand passionné de yachting qui ignorait les barrières qui séparent habituellement la voile du sport nautique à moteur. Il possédait une vaste collection de voiliers et de bateaux à moteur, parmi lesquels quelques yachts de course de classe International, ainsi que plusieurs grands canots à deux ou trois cabines. Hiver comme été, on pouvait voir ses bateaux sur la Côte d'Azur ou sur la Seine. Cet homme d'affaires était derrière un petit nombre de compétiteurs qui permettaient de maintenir une présence française dans les grandes classes internationales jusqu'à l'arrivée de la guerre ».

Une coque de 28 pieds, propulsée par un moteur d’avion V12 Hispano-Suiza
Et d’ajouter : « Picquerez fut celui qui commanda le plus grand bateau de compétition à un seul moteur construit en France dans la classe illimitée. Les bateaux de cette classe étaient les seules capables de battre le record du monde de vitesse sur l'eau. La France n'avait pas battu ce record depuis 1926 avec l'hydroglisseur Farman, et dans les temps récents, seuls les Anglais et les Américains avaient véritablement relevé le défi... ». Le grand bateau tout neuf de Picquerez, baptisé Aurora, du nom de sa magnifique épouse argentine, fit sensation lorsqu'il fut dévoilé au public en juillet 1935. « Ses lignes puissantes et élégantes avait été tracées par l'ingénieur Galvin, un spécialiste des coques pour bateaux rapides, dont le nom était lié au développement des hydroglisseurs... » Minutieusement construite à l'unité par le chantier Chauvière de Vitry-sur-Seine, la coque magnifiquement exécutée en double diagonale de planche d'acajou de l'Aurora était assemblée par des milliers de rivets à tête fraisée en cuivre. Elle faisait 28 pieds de long (8,50 m) et était dotée de deux redans hydroplanes, de deux gouvernails à la poupe et d'une quille centrale. Toutes les parties en métal étaient peintes ou chromées. Galvin et Picquerez choisirent un moteur d'avion Hispano-Suiza pour le propulser, alimenté par six carburateurs double-corps Hispano. Le moteur avait été spécialement adapté à la compétition nautique par le constructeur de Bois-Colombes, sous la supervision technique du brillant ingénieur en chef d'Hispano, Marc Birkigt, avec une préparation par les techniciens d'Hispano Guido Cattaneo et Gabriel Raget lui-même, un pilote de bateau de course très accompli avec des records attachés à son nom. Chauvière avait aussi conçu et dessiné des hélices d'avion en bois et avait été impliqué dans les records de Blériot. Au milieu de l'été 1936 – piloté par Picquerez lui-même – l'Aurora remporta le prix du Président de la République à la Semaine Nautique de Cannes, avoisinant les 90,34 km/h sur les 12 km de course. L'ingénieur Raget pilotait normalement ce magnifique monstre Art Déco. En juillet 1938 l'Aurora devint le seul engagé en classe illimitée à courir dans l'épreuve Lyon-Marseille-Cannes qui impliquait à la fois des bateaux de mer et de rivière.

Caché dans une péniche sur la Seine lors de la Seconde Guerre mondiale
Il fut ensuite vendu au commodore Gérard qui le fit modifier dans sa forme actuelle pour améliorer sa stabilité à haute vitesse, ajoutant une cocarde tricolore à sa queue et le rebaptisant « Rafale V ». Le bateau s'illustra particulièrement dans les épreuves de vitesse à Monte-Carlo, Paris et sur le lac Léman à Genève. Le bateau survécut à la deuxième guerre, caché dans une péniche sur la Seine et en 1965 fut acquis par Robert, le Marquis de Goulaine, qui le vendit alors au célèbre collectionneur/vendeur de voitures et d'avions anciens Ed Jurist de Nyack, dans le New Jersey, aux Etats-Unis. Il fut envoyé en Amérique, à bord du SS Eurymachus, où il arriva en mai 1969. George Huguely Jr, l'associé d'Ed Jurist remisa le Rafale V dans une grange chauffée sur la Fishing Creek Farm à Annapolis, dans le Maryland, où il passa quelque temps, exposée dans un musée privé, avant d'être proposé à la vente en 1987. Il fut alors acheté par le vendeur britannique – aux mains duquel Rafale V a été impeccablement reconstruit en préservant presque tous les matériaux originaux. Le moteur a tourné au cours des dix dernières années et a vu ses sièges de soupapes remplacés, comme nécessaire, sur un des bancs de cylindres. La boîte de vitesse semble saine, de même que tous les paliers d'arbre. Et la coque est dans un état remarquable. Pour la vente Bonhams du 8 février prochain, sa valeur est estimée entre 600 000 et 800 000 euros !

(1) La 43eme édition de Rétromobile se tiendra du 7 au 11 février 2018 à la Porte de Versailles à Paris (75). Parmi les exposants, signalons aussi la présence du Riva Club de France (stand hall 3 - 022) qui rassemble les amateurs des runabouts italiens en acajou. Tarifs : 20€ par personne,18€ en pré-vente sur internet et gratuit pour les moins de 12 ans.
