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Trois à quatre mille ans avant JC, les Austronésiens ont peuplé la Polynésie sur des double canoës et se sont installés dans ce qui est le plus grand archipel de notre planète. L’évolution de leurs embarcations, d’un simple radeau conventionnel, est fascinante. Après avoir augmenté la flottabilité de leur radeau originel par l’adjonction de deux billes de bois, ils en ont allégé la plateforme pour rendre l’ensemble plus performant, puis ils ont inventé le prao, avant d’en arriver à la pirogue à double balancier, ancêtre direct de nos trimarans actuels.
Des communautés de pêcheurs, les “Parvas” de la côte Sud de Tamil Nadu au Sud-Est de l’Inde, face à l’actuel Sri-Lanka, mais aussi les ancêtres de la dynastie Tamil Chola ont utilisé le même type d’embarcation pour le transport de marchandises et de troupes au 5ème siècle avant JC, et ont conquis des régions telles l’Indonésie, la Malaisie ou encore la Birmanie. Le mot catamaran lui-même serait d’origine Tamoule d’ailleurs, « kattumaram » y signifiant littéralement « assemblage de billes de bois ». C’est un Anglais, William Dampier qui, à la fin du XVII° siècle, en relata l’usage pour la première fois depuis ces parages, dans son livre « A new voyage round the world » (1697).

Pourtant le premier catamaran dont on trouve trace en Europe est antérieur à cette publication. Dessiné en 1662 par un membre de la William Petty Royal Society il devait aller plus vite, requérir moins d’équipage et naviguer dans moins d’eau grâce à son faible tirant-d’eau. Mais le scepticisme de ses contemporains remisa le concept au rayon des bonnes idées survenues trop tôt pour deux bons siècles. En effet, c’est seulement en 1877, que le génial américain Nathanaël G. Herreshoff met à l’eau le ‘John Gilpin’. Il est important de rappeler à ce stade que celui qui est surnommé « le sorcier de Bristol » n’est pas un novice en architecture navale, lui qui a gagné six fois la Coupe de l’America. Un record qui tient toujours. Au départ, son idée était d’ailleurs d’améliorer les performances d’un monocoque. Mais de réduction de la surface mouillée au centre, en augmentation de la largeur pour gagner en puissance, son chemin de pensée l’a mené à dessiner un catamaran. Avec ses 9.75m de long, 5.28m de large, 85m² de voilure pour seulement 1.5 tonnes un tirant d’eau variant de 50cm à 1.26m, on peut sans crainte qualifier le ‘John Gilpin’ de premier multicoque moderne.
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Après-guerre, deux lancements marqueront des évolutions nettes dans l’architecture des multicoques. En Australie, Charles et Lindsay Cunningham sont fascinés par les performances affichées des pirogues Polynésiennes traditionnelles. Après un premier prototype de catamaran, ils lancent en 1954, un catamaran de 20 pieds de long qui prend le joli nom d’Yvonne. Le premier championnat national a lieu en 1956, et la classe ‘Yvonne 20’ existe toujours, preuve d’un trait de crayon aussi génial qu’avant-gardiste. A l’opposé du globe, les frères Prout, champions olympiques de canoë, lancent la saga des Shearwater. Ces catamarans de sport, par leurs formes, leurs conceptions et surtout leurs performances rappellerons au bon souvenir des marins, tous les avantages, pourtant ancestraux, du multicoque.
Les premiers multicoques habitables issus dans les années 70 de l’école britannique (Prout, Snowgoose, Catalac…) ne brillant ni par leur esthétique, ni par leurs performances, quelques français impétrants prennent le sillage des multicoques de course au large pour proposer des plateformes habitables et fun. En 1982, Fountaine-Pajot lance le Louisiane 37, quand l’année suivante Richard Ward crée Seawind en Australie. En 1984, c’est un véritable vent de folie qui souffle sur la France avec la création de Lagoon (alors JTA au sein de Jeanneau), Outremer, Catana et la mise à l’eau du premier Edel Cat 26 ! En 1985 ils seront rejoints par le Bénéteau Blue 2, puis en 1986 Philippe Jeantot crée Jeantot Marine aujourd’hui connu sous le nom de Privilège.
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Ce sont les débuts d’un développements extraordinaires qui touchera tous les usages (croisière côtière, hauturière, location…) et concernera toutes les tailles. Mais ça c’est une autre histoire, sur laquelle nous reviendrons bientôt.
Sources :
- José Maria Riola / Universidad Politécnica de Madrid / Propulsive qualities of Catamaran Vessels
- Bellwood P. Australian National University
- François Chevalier