Stratégies météo mises à l'épreuve du Rhum
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Jour après jour, les skippers et leurs routeurs se sont plongés dans les fichiers numériques permettant d’afficher les vents et les états de mer sur leurs écrans, permettant aussi de calculer les routes théoriques les plus favorables pour aller vite au but. Ils voyaient bien que les différentes sources, américaines ou européennes, publiques ou privées, n’étaient pas toutes accordées, mais c’était clair pour tout le monde, ce ne serait pas la « croisière s’amuse ». Cyrille Duchesne, représentant les prévisionnistes de METEO CONSULT auprès de la Direction de Course, ajoutait à cela qu’il y avait des risques de tempêtes qui n’étaient pas affichées dans ces fichiers. Les fichiers ne nous disent pas tout.
DES RISQUES, oui, et c’est là toute la difficulté de l’exercice. Car si la compétition veut que le meilleur gagne, le meilleur skipper sur le meilleur bateau choisissant la meilleure route, l’océan ne laissera passer que les vrais marins, ceux qui auront su préserver le bateau et le bonhomme en état opérationnel jusqu’à l’arrivée, ceux qui ont su gérer le risque. Alors, on a beau calculer de belles trajectoires qui font faire de grands détours pour aller chercher les vents les plus favorables et les états de mer les moins défavorables, on a beau s’interdire d’aller naviguer là où les vagues sont énormes et s’écroulent en déferlantes destructrices, il faut bien trouver un passage.
En le cherchant, parfois comme une aiguille dans la botte de foin, on ne perd pas de vue qu’il faut apprécier le risque que l’on prend. Le risque c’est la combinaison de la probabilité qu’un évènement arrive, ici la tempête sur notre route, et de l’ampleur des conséquences que l’on subira alors, ici très probablement dramatiques.
Pour cette édition de la Route du Rhum, avant de traverser le golfe de Gascogne ou de s’éloigner vers le grand large, il faut considérer que le risque de tempête menace toute la flotte deux jours après le départ. Chacun doit donc faire son choix en bon marin. A-t-on le bateau pour y aller ou pas ? Par où passer pour minimiser le risque ?
En ce qui me concerne j’ai la chance de travailler avec Karine Fauconnier qui connaît parfaitement le bateau que l’on route, le multicoque ARKEMA, « seulement » 15 mètres de long, de Lalou Roucayrol. Ces Multi50 sont magnifiques et extrêmement rapides, mais légers et forcément fragiles. Lalou est un des skippers les plus expérimentés, considéré comme l’un des favoris. Il faut faire un sans-faute. La route que l’on a retenue, si elle n’est pas théoriquement la plus rapide, nous permet d’envisager un abri accessible si par mésaventure on prenait du retard et n’arrivait pas à passer avant que la tempête ne sévisse. C’est l’art du compromis. Le principe de précaution ne fait pas bon ménage avec la compétition, mais il faut être marin avant tout.
C’est le mantra de tous les skippers : « pour gagner il faut déjà arriver ».