
La maman de Tanguy de Lamotte parle avec plaisir et émotion de son fils et de cette ligne d'arrivée qu'elle attend depuis treize mois plutôt que trois, depuis le jour où Tanguy lui a annoncé son projet de Vendée Globe. Elle nous a confié ses émotions.
Figaro Nautisme: Comment vous sentez-vous à quelques heures de l'arrivée?
Sabine de Lamotte: C'est un peu difficile car il y a des grands pics aussi bien en haut qu'en bas. Par moments, on se dit «c'est bon, il fait beau, il arrive» mais il y a quand même une accumulation d'émotions à gérer. Je suis également très impressionnée par l'enrichissement qu'il a déjà et qu'il découvrira encore par la suite. Des fruits du Vendée Globe qui lui feront dire: «Tiens, je ne réagissais pas comme avant».
Ce dimanche, je sais qu'il aura sa barbe - que je ne suis pas habituée à voir mais qu'il garde pour chaque arrivée - peut-être aura-t-il maigri aussi, mais surtout il aura changé de l'intérieur, c'est évident.
A quelle fréquence avez-vous pu lui parler?
Je crois que par rapport à d'autres mamans j'ai été gâtée: en moyenne, nous nous sommes parlés toutes les deux semaines et nous l'avons vu en visioconférence le soir de Noël, alors que nous étions réunis avec ses frères et soeurs. Il y a des moments qui m'ont beaucoup ému mais surtout il y a des changements que j'ai devinés. Je pense qu'il y a des choses que j'ai entendues entre les mots, comme une maman.
Il a découvert toute la palette qu'il avait en lui: rouge, jaune, bleu... Quand il a eu des difficultés - la vidéo où il tente de réparer son bateau après la collision est quand même difficile à voir - il a bien fallu qu'il puise en lui, il n'avait pas le choix. C'était très dur mais c'est dans les difficultés qu'on se révèle et c'est ce qui lui donnera un sourire encore plus lumineux à l'arrivée.
Comment avez-vous vécu les différentes avaries sur ce Vendée Globe?
Les abandons des autres concurrents ont été des rappels à la réalité. Chaque avarie a résonné en moi, me rappelant que cela pouvait arriver n'importe quand et à n'importe qui. Heureusement, j'ai été bien entourée par une quarantaine de proches - mes amis et l'entourage de Tanguy - qui m'accompagnaient avec des messages de soutien tous les jours. Ceux qui étaient catastrophistes, en me demandant si j'arrivais à dormir la nuit, je n'ai pas voulu les entendre. Au fil des courses de Tanguy j'ai appris à me protéger contre les amis trop intrusifs. On est vraiment à fleur de peau dans ces cas là.
Comment avez-vous réussi à gérer votre propre vie pendant ce Vendée Globe?
C'était difficile. Bien sûr, il a fait d'autres courses avant et nous avons eu comme des périodes de rodage pour s'habituer. La mini-transat en 2005, sans communication pendant toute la course nous a donné une mise en bouche particulièrement difficile. J'ai cru m'évaporer entre les pontons au moment du départ de cette course! Heureusement que j'étais bien entourée. Pour le Vendée Globe, ce qui était le plus dur c'était la longueur. Mais c'est très impressionnant parce que même quand tout allait bien, je pouvais avoir une inquiétude. Et curieusement, parfois il y avait un souci mais je me sentais complètement en paix - je ne parle pas bien sûr des grosses difficultés que j'ai subies comme tout le monde - mais dans les mers du sud, quand il communiquais moins, il y a des jours où je me sentais quand même très apaisée. Encore une fois, je crois que c'est le mystère du coeur de la maman! (rire) Et c'est très enrichissant pour nous aussi, à terre, car on doit gérer ses émotions. J'ai grandi intérieurement.
Comment avez-vous vécu la popularité de votre fils pendant ce Vendée Globe?
Ce qui était le plus difficile c'était de voir certaines personnes s'approprier mon fils. J'avais envie de dire: «Ce n'est pas parce que tu vas regarder toutes les vidéos que tout à coup tu vas connaître Tanguy par coeur!» Il y a un côté qui n'est pas toujours très sain, comme de l'idolâtrie , mais d'un autre côté le rêve que tous les skippers nous offrent c'est quand même important.
Avez-vous observé plus attentivement les précédentes arrivées?
Oui, je suis venue en vivre quatre: Jean-Pierre Dick, Jean Le Cam, Mike Golding et Bernard Stamm. J'ai été admirative de ces marins qui ont des milliers de mots différents pour parler de leur Vendée Globe. En les observant, j'ai vu des extraterrestres qui pouvaient être touchés comme des enfants. J'ai particulièrement été émue par le silence de Jean Le Cam à l'avant de son bateau. On le voit souffler, observer tout le monde. Ils sont capables de s'émerveiller après tout ce qu'ils ont vécu...
D'autre part, j'avais l'impression, avec ces arrivées, de vivre quelque chose que je ne pourrai sans doute pas vivre avec autant de détachement pour celle de Tanguy. Je connais maintenant le déroulé, le protocole officiel et je peux me laisser porter par mes émotions. Je sais ce qui va se passer.
Vous, quel est votre rapport à la mer?
J'ai besoin de la mer ! J'habite en région parisienne depuis longtemps mais je vais deux à trois fois par an sur ll'Atlantique et dès que je passe Angers j'ai l'impression de respirer.
J'ai besoin de voir les vagues, de sentir les embruns, le vent... J'ai un côté sauvage et, même si je suis sociable, j'aime beaucoup la solitude quand je suis dans les éléments. J'ai besoin de grands espaces.
Vous avez le sentiment d'avoir transmis ce besoin à votre fils?
Totalement. Pour moi c'est une espèce de respiration et je voulais que mes enfants apprennent à nager, à naviguer, c'était naturel. Je suis absolument enchanté de voir tous mes enfants comme des poissons dans l'eau. Et puis la chose la plus belle - Tanguy ne le sait pas car il n'a pas connu son grand-père - mais mon père, légionnaire, était comme ça. Tout ce que j'ai trouvé chez mon père, ce sont des qualificatifs que l'on donne à Tanguy en ce moment: le goût du risque, la notion de l'engagement et de la fidélité, ainsi que la générosité. Pour moi il y a une filiation évidente, les chats ne font pas des chiens.
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