
Et si, lors d’une transat AG2R – La Mondiale, tout se jouait lors des huit ou dix premiers jours ? Statistiquement, en se basant sur les scénarios des onze premières éditions, on peut affirmer que le classement établi aux Canaries n’évolue plus beaucoup ensuite. Bien sûr, il existe quelques exceptions et la course qui se joue en en moment, justement, en est une. Encore que…
On l’a déjà dit, l’une des particularités de la Transat AG2R, c’est sa marque de parcours obligatoire à La Palma (par le passé, c’était son escale aux Canaries puis à Madère). Ce way-point à respecter scinde le parcours en deux sections bien distinctes. Pour faire simple, on pourrait dire que la première, entre Concarneau et Les Canaries, est une portion où les marins passent d’un régime perturbé de printemps à un régime d’alizés. De ce fait, ils ont donc une zone de transition météorologique et climatique à traverser et le font perpendiculairement, ce qui, potentiellement, peut créer des écarts. « Cette première partie du tracé est, en effet, souvent propice à faire à la différence, explique Yann Eliès, le skipper de Groupe Quéguiner - Leucémie Espoir, double vainqueur en titre de la Solitaire du Figaro – Eric Bompard cachemire. La plupart du temps, une sorte de sélection naturelle se fait dans les premières 48 heures car quand on va chercher un front, c’est un peu engagé. Il y a un peu de mer, du vent… C’est technique aussi car il y a des choix de voiles à faire. De plus, il ne faut rien casser. Les équipages les mieux aguerris, ceux qui souffrent le moins du mal de mer et qui sont capables de rentrer immédiatement dans le vif du sujet, sans chercher de rythme avec le binôme, vont souvent créer une petite différence à ce moment-là. » Mais le golfe de Gascogne n’est pas le seul endroit où le jeu est intense. Le passage du cap Finisterre réserve, lui aussi, souvent bien des surprises. Effets de site, DST (Dispositif de Séparation de Trafic) à gérer par l’extérieur ou l’intérieur, brise thermique, alizés portugais… Nombreux sont les paramètres à prendre en compte, et plus nombreux encore sont les rebondissements possibles. On l’a bien vu cette année, entre la Bretagne et les premières îles, cela a été la valse des leaders. Ce n’est donc pas un hasard si ces 1 300 premiers milles de l’AG2R sont jugés « les plus excitants » par les navigateurs.
Nord ou sud, il faut trancher
Pour autant, cela ne signifie pas que les 2 500 qui restent, entre l’archipel Espagnol et les Antilles, ne sont pas intéressants, stratégiquement parlant. « Cette section peut révéler des surprises, mais l’objectif, dans 90% de cas, est d’aller chercher un alizé soutenu en gérant bien la bascule du vent. Généralement, ça se joue sur la vitesse au portant, sur la capacité des duos à mener leur bateau à 100%. Au début, avec un petit déficit de vitesse, on peut se rattraper en tricotant dans le bon sens. Une fois qu’on attaque la traversée proprement dite, c’est plus compliqué » poursuit Eliès. Lorsque l’on s’intéresse à l’historique des précédentes éditions de la Transat AG2R, il est vrai que les classements ont souvent peu, voire très peu, évolués après les Canaries. « Généralement, il est possible de gagner une place ou deux. Rarement plus » précise le Costarmoricain. Reste qu’il arrive parfois quelques exceptions lorsqu’un système vient casser celui des alizés. Certaines situations peuvent complètement redistribuer les cartes. On l’a vu à l’automne dernier, lors de la Transat 6.50, avec cette onde cyclonique - une espèce de petite dépression qui se déplace le long du Pot-au-Noir, dans son nord – qui a semé le bazar sur l’Atlantique. On l’a vu il y a quelques jours à l’occasion de cette 12e édition de la course, la faute à une zone dépressionnaire plantée au milieu de la route pour Saint-Barth. L’avantage, pour nous terriens, c’est que ce type de scénario ajoute sérieusement du piment à la régate. En ce qui concerne les marins, en revanche, une fois qu’ils ont fait un choix, entre le sud ou le nord, impossible de faire machine arrière.
Prévoir un « plan B »
Ils doivent alors s’armer de patience en attendant de voir si leur option est la bonne. « Bien souvent, on a une décision à prendre sur une échéance à 15 jours, où on est quand même dans des pourcentages très faibles de certitudes et donc, stratégiquement, on prend un risque. Il faut avoir une intuition et espérer que ça passe. Après, si c’est le cas, c’est nickel. Dans le cas contraire, il faut essayer de trouver le plaisir ailleurs. Essayer de gratter le copain qui est devant, par exemple. Mais c’est certain, mieux vaut ne pas avoir oublié son lecteur de musique ou un petit bouquin… C’est toujours important de prévoir la roue de secours ! Pareil pour la bouffe. Il ne faut surtout pas trop se limiter dans ce qu’on embarque parce qu’on ne sait jamais… Mais bon, là je parle d’une place dans les choux parce que si on est dans le Top 10, il faut continuer de se battre même si on sait que la première place, c’est mort. Finir dans les cinq est quand même toujours une satisfaction personnelle importante. Certes, l’histoire du sport ne la retiendra pas, mais quand même… » termine Yann Eliès, qui, rappelons-le, vise le triplé dans la Solitaire en juin prochain. Les partisans du nord, comme Michel Desjoyeaux sur Bretagne – Crédit Mutuel Performance, l’ont bien compris. Le professeur n’avouait-il pas, hier, à la vacation officielle, que son objectif, désormais, était de terminer premier du groupe qui évolue au plus près de la route directe ? Cela étant dit, on imagine tout de même qu’à une semaine l’arrivée, ce ne doit pas être si simple à gérer mentalement.