America's Cup : il y a 20 ans Alinghi, déjà dans l'histoire

Quand en 1851, la reine Victoria voit la goélette de 30 mètres America, skippée par William Brown, laisser dans son sillage 14 bateaux britanniques lors d'une course autour de l'île de Wight, elle demande qui est en seconde position. Avec la réplique de son conseiller, "Majesté, il n'y a pas de second", l’histoire est devenue légendaire. La Coupe des Cent Guinées, fabriquée par l'orfèvre de la Reine, est alors remise au New York Yacht Club et est rebaptisée America's Cup, où elle restera pendant 132 ans. Il faudra tout le talent des Australiens menés par John Bertrand pour venir à bout de cette hégémonie en 1983. Australia II dessiné par Ben Lexcen et financé par le magnat de l’immobilier Alan Bond l’emporte alors sur le Liberty mené par un certain Dennis Conner. En 1995, le regretté Sir Peter Blake crée l'équipe Black Magic, et ravit à son tour l'America's Cup pour l’amener dans le Pacifique, à Auckland, en Nouvelle-Zélande. Quatre ans plus tard, Dean Barker défend victorieusement l'America's Cup, cette fois contre les Italiens de Prada.
Il était une fois Alinghi
En 2003, c’est donc la deuxième fois que l'America's Cup est organisée en Nouvelle-Zélande, et la troisième fois seulement dans l’hémisphère Sud avec l'édition Australienne de 1987 à Fremantle. Mais sur cette 31ème édition de « La Cup » apparaît un personnage qui ne manque pas de points communs avec un Sir Thomas Lipton ou un Baron Bich. Si Ernesto Bertarelli est né à Rome, il a été élevé à Genève, où son père Fabio avait transféré le siège du géant pharmaceutique centenaire Serono. Ernesto, devenu PDG et l’un des plus riches entrepreneurs Suisses, continue à pratiquer son sport favori, la voile. Une passion née à l’enfance sur la presqu’île de Monte Argentario en Toscane où il passe toutes ses vacances d’été, et qu’il partage avec sa sœur Dona, armatrice du trimaran Spindrift. À la fin des années 1990, il a déjà un joli palmarès sur différents supports, notamment lors du Bol d'Or, la compétition par excellence quand on est riverain du lac Léman. Il est donc prêt à tenter le grand défi en impliquant, comme le veut la tradition, la Société Nautique de Genève, mais surtout en dépensant sans compter. S’étant fixé un budget initial de 60 millions d'euros, il avouera très vite en avoir en réalité dépensé le double in fine. Débaucher la concurrence notamment coûte cher et Ernesto Bertarelli veut les meilleurs talents pour compenser son inexpérience dans l’exercice si particulier qu’est la conquête du plus vieux trophée sportif au monde. Il recrute ainsi sans vergogne au sein de l'équipe néo-zélandaise tenante du titre. Il convainc le barreur Russell Coutts, le tacticien Brad Butterworth et quatre de leurs coéquipiers de rejoindre l’équipe Suisse qu’il baptise Alinghi. Le mot est une invention du futur chef d'entreprise qui, alors âgé de cinq ans, nomme ainsi le personnage imaginaire qui l’accompagne au bord de la mer pendant ses vacances toscanes. La sonorité plut à son père qui décida de baptiser ainsi le premier bateau familial.
A jamais les premiers…
La Louis Vuitton Cup, épreuve départageant les « Challengers » afin que le meilleur dispute l’America’s Cup contre le « Defender » Kiwi débute dans le golfe d'Hauraki le 1er octobre 2002. Neuf challengers sont sur la ligne de départ : trois Américains dont l’infatigable Dennis Conner, les Suédois de Victory Challenge, les Français du Défi Areva, le GBR Challenge, deux Italiens et bien sûr Alinghi. En finale de cette Louis Vuitton Cup Alinghi bat cinq victoires à une l’équipe de Larry Ellison BMW Oracle, un nom qui reviendra souvent dans les années qui suivront. Pour la presse locale, la grande finale décidant de la prochaine destination du « Vieux Pichet d’Argent » oppose donc les nombreux « traîtres » de l'armada suisse à l’enfant du pays, ancien protégé de Russell Coutts, le jeune barreur prodigue, Dean Barker. Alinghi remporte facilement la première course après l'abandon de ce dernier, suite à de nombreux problèmes techniques et même une inquiétante tendance à embarquer de grandes quantités d'eau par ce temps un peu agitée (1 – 0). Si la deuxième manche voit une nouvelle victoire d’Alinghi (2 – 0), cette fois la marge est étroite, seulement sept secondes, après notamment un duel homérique de 33 virements lors du cinquième bord de près ! Dans la troisième manche, Alinghi prend le meilleur départ et mène toute la course, gagnant avec 23 secondes d'avance (3 – 0). Après neuf jours sans course en raison des conditions météorologiques, la quatrième manche est disputée dans du vent fort et une mer agitée, au point que le bateau Néo-Zélandais démâte dès le troisième bord de près (4 – 0). Chaque manche est désormais critique pour les Kiwis car il ne suffit plus que d’une victoire aux Suisses pour graver le nom d’Alinghi sur le socle du trophée. Emportant à nouveau le départ et restant en tête jusqu'à l'arrivée, Russel Coutts tue très vite tout suspens pour l’emporter sur le score sans appel de 5 à 0. Le Kiwi ramène pour la première fois la Coupe en Europe depuis 1851 !
Rendez-vous à… Barcelone !
Pourtant parti d’une feuille blanche, Ernesto Bertarelli a construit une équipe exceptionnelle et surtout capable de gagner dès sa première participation. Le challenger de la Société Nautique de Genève, déclenche un enthousiasme sans précédent, 30 000 personnes attendant l’équipe à son retour à Genève. Une victoire historique, qui plus est pour un pays sans accès maritime. Aujourd’hui Russel Coutts, après l’avoir cofondé avec Larry Ellison, est le PDG du circuit SailGP. Après avoir à nouveau remporté l’America’s Cup en 2007, cette fois en tant que Defender, Ernesto Bertarelli est avec l’équipe Alinghi Red Bull Racing l’un des challengers pour la prochaine Coupe de l’America. Cette 37ème édition se disputera à partir d’octobre prochain à Barcelone. Un choix de plan d’eau en rupture avec la tradition, puisque la coupe est actuellement détenue par les Néo-Zélandais. L’histoire est parfois un éternel recommencement…