Ocean Fifty, la classe et la raison
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Ensemble à terre, concurrents sur l'eau
A trois jours du départ de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe, les prévisions météo ne sont pas bonnes, mais cela ne semble exercer aucune influence sur la bonne humeur des skippers Ocean Fifty, pourtant parmi les plus à risque sur les 138 partants, avec leurs trimarans légers comme des libellules, certes performants, mais aussi faciles à retourner qu’une crêpe bretonne dans une galettière. Alors bien sûr, quand ils se retrouvent tous les huit pour une conférence de presse matinale, ça chambre un peu, mais il y a aussi beaucoup de respect mutuel, la vraie classe quoi. Ses congénères rappellent bien malicieusement à Gilles Lamiré l’accident qui l’a vu détruire le flotteur de Sébastien Rogues sur la première étape Corse du Pro Sailing Tour, mais ils avouent aussi qu'au large en solo il peut tous les mettre d'accord. Sébastien Rogues vante le CV nautique, il est vrai impressionnant, du président de la classe Erwan Leroux, mais il ambitionne aussi de lui ressembler d’un point de vue capillaire, soit le crâne rasé. On s’étonne de la jeunesse d’un Sam Goodchild, immédiatement surnommé « Bon enfant », alors qu’il a un palmarès de vieux loup de mer. On cherche un P’tit Doudou quand le skipper du bateau du même nom, Armel Tripon accuse quelques minutes de retard. On raille le revendicatif, mais toujours avec le sourire se défend-t-il, Thibaut Vauchel-Camus, tout en s’inquiétant qu’il ne rallie trop vite ses deux patries que sont Saint-Malo et la Guadeloupe. Quentin Vlamynck s’est fait une réputation de « Gendre idéal » qui ne masque pas son vrai talent de régatier lui qui a remporté le Pro Sailing Tour cette année. Quant à Eric Péron, pourtant le dernier entrant, il est craint pour son passé de Figariste (10 solitaires du Figaro à son actif !) et pour l’excellent bateau qu’il a optimisé, l’ancien Prince de Bretagne de Lionel Lemonchois, puis de Gilles Lamiré, la boucle est bouclée.
Car au sein de la classe Ocean Fifty les bateaux se transmettent, évoluent, et surtout continuent de performer au fil des années. C’est le cercle vertueux qu’a réussi à mettre en place le véritable collectif, et ici le terme n’est pas galvaudé, de skippers qui gère cette émanation des Multi50. Et la recette semble payer puisqu’outre les huit bateaux présents à Saint-Malo deux autres sont en construction. La flotte de dix bateaux ainsi constituée sera très homogène tout en ayant atteint le numerus clausus fixé. A l’inverse de tout ce qui se fait ailleurs, la classe Ocean Fifty voulait à travers cette démarche qui peut sembler à priori restrictive, atteindre trois objectifs : diminuer leur empreinte carbone et leur impact écologique en général, garantir l’investissement de leurs partenaires armateurs en permettant aux anciens bateaux de pouvoir évoluer au plus haut niveau, et enfin pouvoir continuer à être accueillis au cœur des villes dans le cadre du Pro Sailing Tour. Un circuit un peu à l’image de la Formule 1 ou de SailGP, qu’ils ont mis sur pied, et qui a deux grands-prix en Méditerranée mais aussi à l’étranger, pour assurer un rayonnement international. S’il n’y a pas (encore) de skipper féminin en Ocean Fifty, la mixité est malgré tout une vraie réflexion et plusieurs régatières ont participé au Pro Sailing Tour. Le plus en pointe sur ce sujet est le trimaran Leyton avec le Magenta Project, qui a fait naviguer cette une quinzaine de jeunes femmes venant de différents horizons, notamment de l’olympisme, à bord du trimaran bleu. Alors que l’an passé aucune femme ne participait au circuit, cette année deux des trois bateaux sur le podium étaient constitués d’équipages mixtes, ce qui constitue un début prometteur.
Huit bateaux et huit favoris, finalement, la seule chose qui semble compliquée au sein de la classe Ocean Fifty c’est de savoir qui va gagner cette Route du Rhum. Ce qui est certain et vraiment intéressant en revanche, c’est de voir un groupe de skippers qui prend son destin en mains, est conscient des enjeux du petit écosystème de la course au large, et semble « raccord sur la voix qu’ils souhaitent porter face à des choses qui les interpellent », dixit Thibaut Vauchel-Camus.