Portrait de skippeuse 5/6 : Isabelle Joschke, la persévérante

Par Figaronautisme.com

Isabelle Joschke, la navigatrice franco-allemande, est prête à affronter une nouvelle fois l’Everest des mers. Le 10 novembre prochain, elle s’élancera pour son deuxième Vendée Globe, une course qui l’a marquée autant qu’elle l’a mise à l’épreuve.

Quatre ans après une première tentative marquée par l’abandon, Joschke revient sur le départ, un état d’esprit renouvelé, sans pression mais pleine de détermination. Forte d’une préparation peaufinée, d’une résilience accrue, et surtout d’une approche mentale totalement repensée, elle entend bien inscrire son nom parmi les rares femmes à avoir bouclé cette course mythique.

Des débuts passionnés dans le monde de la voile

Isabelle Joschke, née à Munich, découvre la voile à seulement cinq ans, naviguant en optimist sur les lacs autrichiens. Cet environnement calme contraste avec le grand large qui l’appellera plus tard, mais cet amour de la mer et de l’aventure ne la quittera plus. Quinze ans plus tard, alors étudiante en lettres à la Sorbonne, un stage aux Glénans fait renaître cette passion. Lors d’un convoyage vers le Brésil, elle comprend que la mer est devenue sa vocation. À vingt-sept ans, elle se lance dans la Mini Transat, achète son premier bateau et, en 2007, remporte la première étape de cette traversée en solitaire de l’Atlantique. Cet exploit la révèle dans le monde de la course au large, un univers où elle s’impose désormais comme une figure incontournable.
Joschke se distingue en se mesurant à des classes et bateaux variés, du Mini 6.50 au Figaro, puis au Class 40, pour atteindre finalement la classe IMOCA. Consciente de la sous-représentation des femmes dans ce milieu, elle s’engage pour la mixité, rêvant de briser les barrières et d’inspirer les générations futures de navigatrices. Son engagement s’étend également au soutien de projets visant à promouvoir l’égalité des genres dans un sport encore dominé par les hommes.

Une première tentative pleine de défis

Lors de son premier Vendée Globe, Isabelle Joschke s’élance avec ambition, bien qu’elle se lance sur un IMOCA exigeant physiquement. Elle parvient, malgré quelques difficultés initiales, à rejoindre le peloton de tête, mais l’épreuve s’annonce implacable. Après une avarie majeure sur la quille qui l’oblige à abandonner, elle refuse de se laisser abattre. Après réparation, elle complète son tour du monde hors course en 107 jours. Profondément marquée par l’expérience, elle confiera plus tard que le Vendée Globe l’avait épuisée et que les rares moments de plaisir s’étaient mêlés de désillusions. « Honnêtement, les moments de plaisir avaient été rares et je ne m’étais pas éclatée », reconnaît-elle, se demandant même si elle reprendrait la course un jour.

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© Ronan Gladu

Un renouveau mental

Pourtant, loin de céder à la résignation, Isabelle Joschke fait le choix de se réinventer. Elle entreprend un travail de fond, une remise en question totale, décidant de repartir sur une page blanche. Son nouvel état d’esprit, “sans pression, pour voir ce qu’il se passe”, semble porter ses fruits. En 2023, elle se classe 9e de la Route du Rhum, et obtient à nouveau une 9e place lors de la course Retour à la Base, des performances de haut niveau qui témoignent d’une sérénité retrouvée. Cette approche lui permet de prendre du recul et de se préparer différemment pour ce deuxième Vendée Globe. “Je me sens bien mieux préparée,” affirme-t-elle aujourd’hui, consciente que cette course demande autant de ressources mentales que physiques. “J’ai développé ma résistance au stress, que je n’avais pas il y a quatre ans,” confie-t-elle, déterminée à puiser dans cette endurance mentale pour affronter les défis à venir.

Pour cette nouvelle aventure, Joschke prendra le départ avec son IMOCA, un bateau légendaire conçu par le cabinet VPLP et l’architecte Guillaume Verdier. Mis à l’eau en 2007, cet IMOCA est l’un des meilleurs de sa génération. Anciennement manœuvré par Yann Eliès, il a brillé en se classant 3e lors de la Transat Jacques Vabre 2015 et 5e au Vendée Globe 2016. Joschke connaît bien ce bateau, qui l’a accompagnée dans son premier Vendée Globe. Avec quelques aménagements pour plus de confort à bord et des foils récemment optimisés, cet IMOCA demeure un monocoque performant, parfaitement adapté aux exigences de la course autour du monde.

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© Ronan Gladu

À son arrivée au village, Isabelle a pris le temps de répondre à quelques questions de l'organisation.

Vendée Globe : Comment te sens-tu à quelques semaines du départ de ton deuxième Vendée Globe ?

Isabelle Joschke : Je suis beaucoup plus sereine qu’il y a quatre ans ! Je me sens mieux préparée, mon bateau aussi, mon équipe est plus expérimentée. Je suis montée en pression plus tôt dans la saison, quand la job list paraissait encore interminable, et là je me surprends à savourer les dernières semaines. Je crois qu’il faut se faire confiance, ça va bien et c’est chouette, même si je sais que la pression montera forcément une fois que je serai aux Sables d’Olonne.
Pourquoi as-tu décidé de partir à nouveau sur cette épreuve ?
I.J. : A aucun moment, je me suis dit “il en faut un deuxième”. Il se trouve que mon sponsor m’a proposée de repartir rapidement après mon premier Vendée Globe que j’avais bouclé hors course après mes problèmes de quille et mon escale forcée à Salvador de Bahia. Il fallait dire oui ou non. L’édition 2020 avait été dure à vivre pour moi, j’avais eu beaucoup d’avaries, l’impression d’avoir tout le temps quelque chose qui me tombait dessus, beaucoup de stress. Honnêtement, les moments de plaisir avaient été rares et je ne m’étais pas éclatée. Je ne savais pas si je voulais y retourner, mais je savais qu’en disant “oui” la donne serait différente car l’équipe était déjà constituée, que nous pouvions capitaliser sur l’expérience acquise. Alors je me suis lancée.
Et tu n’as pas regretté depuis ?
I.J. : Honnêtement, si. Toute l’année après le Vendée Globe, j’ai été épuisée. Et en 2022, la Vendée Arctique a de nouveau été une course très difficile pour moi. Je me suis surprise à nouveau à trouver que c’était un métier dur à vivre. Naviguer peut être difficile, mais sur un IMOCA à foils on ne réalise pas à quel point c’est violent. J’ai traversé une grosse remise en question, je me suis autorisée à dire “et si je n’y allais pas”. Et puis il y avait beaucoup d’injonctions qui commençaient à me fatiguer. On doit faire bonne figure, serrer les dents mais être authentique, je crois que je m’étais un peu perdue au milieu de tout ça, et j’en avais oublié ma raison d’être.
D’où est venu le déclic ?
I.J.: De moi ! Je me suis dit : je le fais pour moi, pour aller au bout de mon chemin, de mon engagement, et pas débarquer en cours de route. Et surtout je me suis autorisée à dire ce que je pensais. Que c’était dur quand c’était dur, que je ne me mettais plus de pression vis-à-vis de certaines exigences quand je ne les trouvais pas justifiées. Je veux être moins dans la contrainte, et décider d’être moi-même.
Et cela t’a réussi, notamment en solitaire où tu signes deux très belles neuvième place sur la Route du Rhum et sur Le Retour à La Base !
I.J.: Oui, je me suis autorisée à partir d’une page blanche. A me dire “On verra ce qu’il se passe, pas de pression”. Et au final, j’ai eu de supers résultats, c’était encore plus sympa à vivre, alors que justement je m’écoutais davantage. Sur Le Retour à La Base par exemple, j’ai énormément lu sur les premiers jours de course. Parce que j’aime ça, et ça me faisait du bien. Par moments, je me disais que c’était un peu n’importe quoi de faire ça en compétition, mais en fait prendre du plaisir et m’écouter m’aide à être plus performante.


Et aujourd’hui, c’est dans cet état d’esprit que tu abordes le Vendée Globe ?
I.J. : Oui, je veux vraiment garder cette approche. Ces deux dernières années m’ont permis de cheminer intérieurement sur mon parcours nautique, repositionner pourquoi je suis là, pourquoi je continue, retrouver le sens de tout ça. Ce sont des projets tellement engageants qu’on l’oublie parfois. Aujourd’hui je suis super contente de repartir, alors qu’en 2021 j’ai signé la main tremblante. Il m’aura fallu quatre ans pour digérer mon premier Vendée Globe.
Quels objectifs te fixes-tu ?
I.J. : Il y a quatre ans, j’avais été performante sportivement, surtout dans les mers du Sud, et ça m’avait rendu fière de moi. Cette fois, j’ai envie de la même chose mais sans la douleur que ça m’a causée, avec la bonne distance, le lâcher prise, l’acceptation qu’on peut échouer. Je n’acceptais tellement pas l’échec que j’étais verrouillée par lui ! Je me suis défait de tous mes fantasmes. Je sais qu’à nouveau tout peut s’arrêter, c’est comme ça. Mais je sais aussi que j’aimerais vraiment accrocher le top 10, que j’en suis capable. Je sais surtout quand je suis à ma place, et c’est ça qui compte.
En 2020, des problèmes de quille t’avaient obligé à faire escale et donc à abandonner. Pourtant, tu avais quand même fait le choix de rentrer en bateau jusqu’aux Sables d’Olonne hors course, pourquoi ?
I.J. : Quand j’ai dû abandonner, j’étais dans une grosse tempête et j’étais surtout accaparée par ma sécurité. La colère est arrivée ensuite, j’étais très frustrée de devoir abandonner pour une casse qui aurait pu être évitée. A ce moment-là, je pensais qu’à une chose : laisser mon bateau au port et rentrer au plus vite pour passer à autre chose. Mais avec mon problème de quille, j’ai dû naviguer lentement, et ça m’a permis de réfléchir, et de comprendre que c’était impossible pour moi. Ce n’était pas l’histoire que je voulais écrire, mais c’était encore plus idiot de ne même pas la finir. Ça n’a pas été facile, mais c’était le choix du moins pire.
Est-ce qu’il y a des choses que tu as fait différemment dans ta préparation ?
I.J. : Il y a plein de choses que j’ai merdé il y a quatre ans ! Cette fois, j’ai assuré sur le côté pouf, matelas, et couvertures, parce que j’ai eu tellement froid la dernière fois ! J’avais pris une couverture pas respirante, donc toujours humide, c’était l’horreur et pourtant c’était évitable. Cette fois, j’ai assuré le minimum vital pour ne pas perdre trop d’énergie ! Par contre paradoxalement, j’étais super prête physiquement il y a quatre ans, j’étais beaucoup plus musclée. Là je fais de la préparation physique tous les jours, mais je mise davantage sur la vitalité et la ressource d’énergie au départ que sur la force physique pure. Et surtout je crois que j’ai développé ma résistance au stress, que je n’avais pas il y a quatre ans !
C’est quoi ton plus beau souvenir du dernier Vendée Globe ?
I.J. : Le lendemain du passage du Cap Horn, on venait d’en terminer avec une tempête monumentale. Et d’un coup, il y avait du soleil, une mer plate, des baleines. J’ai eu l’impression de revivre, c’était un instant de grâce pile au moment où je n’y croyais plus. J'espère en vivre à nouveau des instants de cette intensité.

Isabelle aborde cette édition 2024 du Vendée Globe avec une force mentale renouvelée et une préparation physique axée sur la vitalité et l’endurance. Sa détermination, son engagement pour la mixité et sa résilience en font une figure inspirante de la course au large. Elle sait mieux que quiconque que le Vendée Globe est une épreuve qui transcende les limites du physique pour puiser dans les profondeurs du mental. Prête à défier à nouveau les océans, Isabelle Joschke est plus résolue que jamais à tracer son sillage et à prouver que la persévérance, l’audace, et la passion sont les moteurs de tous les grands voyages.

Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine.

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Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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