Vendée Globe : quand la course vire à la survie

Par Figaronautisme.com

Au large des Malouines, la tant redoutée dépression s’est bien enroulée sur ceux qui sont venus la braver, façon spaghetti autour d’une fourchette généreusement garnie. Un dernier « boss final » des Mers du Sud pour ce groupe d’audacieux, alors qu’après deux mois tout pile en mer, ils sont désormais 29 à barboter dans l’Atlantique.


Parfois, on a l’impression d’ausculter la cartographie comme un médecin consulterait une radio, avec l’air sérieux de celui qui va annoncer que le petit « crac » était en fait une double fracture carabinée. A chaque fois qu’on repère à proximité de nos bateaux ce vilain rouge grenat, voire en rafales ce violet indigo qui vrille la rétine, on sait qu’on va garder les sourcils froncés, et le téléphone allumé. Ce fut le cas cette nuit, alors qu’au Sud de l’immense Argentine, une poignée de solitaires se faisait rattraper par la tempête.

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Photo envoyée depuis le bateau DMG MORI Global One lors de la course à la voile du Vendée Globe le 9 janvier 2025© Photo du skipper Kojiro Shiraishi



« Ce n’est plus de la course mais juste de la survie »

Pour Tanguy Le Turquais (Lazare, 21e) qui menait la troupe, le moment n’a pas été agréable, mais aurait pu être pire. Suffisamment rapide après son passage du Cap Horn, le bizuth breton a réussi à échapper au gros de la dépression, avec « seulement » 40 nœuds de vent. Mais derrière en revanche, ils ont été « en plein dedans », comme on dit poliment. En début de nuit, alors qu’il évoluait au large des Malouines, Kojiro Shiraishi (DMG Mori Global One, 26e), nous racontait ainsi :
«Là j’ai cinquante nœuds de vent, je dois naviguer proche de la zone des glaces, ce n’est plus de la course mais juste de la survie dans cette tempête. Je suis normalement dans le pire du vent là, j’espère juste m’en sortir pas trop mal et pouvoir rapidement reprendre ma course.» Kojiro Shiraishi, DMG MORI Global One.

Car la difficulté supplémentaire réside bien dans cet étroit couloir qu’ils sont obligés d’emprunter, entre les Malouines à l’Ouest et la ZEA (Zone d’exclusion antarctique), à l’Est. Pas de porte de sortie possible, circulez il n’y a rien à voir, mais beaucoup à perdre !

Mais il faut bien serrer les dents pour grimper au classement… Pas question en effet pour le marin japonais de patienter comme ses camarades Eric Bellion (STAND AS ONE – Altavia, 27e), Arnaud Boissières (La Mie Câline, 28e) et Violette Dorange (Devenir, 29e), qui ont franchi le Cap Horn hier soir seulement pour mieux laisser passer le coup de vent. Car Kojiro Shiraishi espère bien montrer de quel bois son bokken est taillé :
«Dans mon groupe il y a des bizuths, moi je suis le vieux monsieur, j’essaie de m’accrocher pour avoir un meilleur classement qu’eux ! Le Vendée Globe, c’est la plus longue course au monde, tout sport confondu, que ce soit en durée ou en distance… Il y a encore beaucoup de milles pour atteindre la maison, ce n’est pas facile évidemment, il faut d’abord que je me sorte bien de cette tempête et la suite se fera !» Kojiro Shiraishi, DMG MORI Global One.

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Photo envoyée depuis le bateau L'Occitane en Provence lors de la course à la voile du Vendée Globe le 09 janvier 2025© Photo de la skipper Clarisse Crémer



« C’est passé vite parce que je me suis bien amusée ! »

Voilà deux mois effectivement que nos solitaires ont lâché leurs amarres et dit au revoir à la foule sentimentale venue se presser aux Sables d’Olonne. Une durée qui fait siffler d’étonnement Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 13e), actuellement en pleine négociation de l'épineux front froid du Cabo Frio :
«J’ai l’impression que c’est passé très vite, mais en même temps, quand je pense à tout ce qu’on a fait, la distance parcourue, toutes les galères, je me rends compte qu’il s’en est bien passé des choses ! Mais c’est passé vite parce que je me suis bien amusée !» Samantha Davies, Initiatives-Cœur.

A écouter le message de 10 minutes qu’elle nous a laissés cette nuit, on s’interroge en effet sur le secret de l’éternel enthousiasme de notre navigatrice britannique, qui semble décidément être tombée dans la marmite de l’optimisme – et de l’optimiste - étant petite ! Alors qu’elle fait face actuellement à « un état de mer de l’enfer », avec la moitié de son matériel électronique débranché en prévention des énormes orages qui évoluent dans la zone, Samantha Davies reste joyeuse et positive :
«Le bateau tape, c’est un truc de dingue, j’ai l’impression que tout va exploser ! Mais moi j’ai pas de bobos ! Il y a des moments où il y a plus de fatigue, mais le retour du soleil aide à recharger mes batteries, je sens que j’ai encore de l’énergie et du jus pour être à fond jusqu’à l’arrivée ! La route est encore longue, il reste deux-trois semaines pour moi, je veux tout donner sur ce dernier tronçon. J’en suis pas au moment où je me dis « j’ai hâte d’arriver, j’ai envie de manger ci ou ça… » Non non, je suis bien sur mon bateau, j’ai tout ce qu’il faut, tout va bien !» Samantha Davies, Initiatives-Cœur.

Voilà, on est à deux doigts de proposer le portrait de Sam Davies pour accompagner la définition du mot « joie » dans le prochain Larousse illustré ! Surtout que la navigatrice au grand cœur a repris du terrain sur Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 11e) et Benjamin Dutreux (Guyot Environnement – Water Family, 12e), mais aussi sur tout le groupe de chasseurs menés par Sam Goodchild (VULNERABLE, 4e), ce qui va continuer à lui donner le sourire…

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Photo envoyée depuis le bateau DeVenir lors de la course à la voile du Vendée Globe le 09 janvier 2025© Photo du skipper Violette Dorange



« La vie est belle ! »
Un peu plus au Sud, il en est un autre qui le retrouve progressivement ! Après de grosses galères de safrans dans le Pacifique, l’Italien Giancarlo Pedote (Prysmian, 18e) pourrait bien profiter d’un joli cadeau de la météo, alors que ceux qui le précèdent, Romain Attanasio (Fortinet -Best Western, 14e) en tête, sont toujours ralentis par la dorsale anticyclonique.
«Mine de rien, je lui ai fait moi pas mal de cadeaux aussi à la météo, entre les Canaries et les molles, donc ce serait quand même sympa si je pouvais avoir à mon tour une opportunité de revenir sur les autres devant ! Mais on verra, j’essaie de ne pas me faire de film, de faire marcher le bateau vite et après on verra s’il y aura un accordéon ou pas». Giancarlo Pedote, PRYSMIAN.

Voilà en tous cas une petite mélodie qui lui plait bien au navigateur italien, qui évolue actuellement dans une mer « un peu croisée » et pas de tout repos. « Deux mois, c’est beaucoup de temps, et c’est pas fini ! La remontée de l’Atlantique peut être longue, il y a des zones d’orage, le passage du Pot-au-Noir, on est encore bien loin de la maison… Dès que j’aurai touché des températures un peu meilleures, je pense que ça mettra un gros boost au moral, et la vie est belle ! », conclut-il cette nuit.

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Photo envoyée depuis le bateau MACIF Santé Prévoyance lors de la course à la voile du Vendée Globe le 09 janvier 2025© Photo du skipper Charlie Dalin

C’est avec la même sérénité d’esprit qu’essaie de naviguer Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance, 1er), qui trouverait toutefois la vie encore un peu plus à son goût avec davantage de marge sur Yoann Richomme (PAPREC-ARKÉA, 2e). Comment ne pas voir entre ces deux-là un remake marin du « Duel » de Steven Spielberg, ce thriller haletant où l’on assiste impuissant à la course-poursuite entre Dennis Weaver, banal commercial en déplacement professionnel, et un poids lourd inquiétant, lancé à pleine vitesse à travers le désert de Californie et son néant… La fin du film ? On ne va tout de même pas vous spoiler… rassurez-vous, il n’y a plus si longtemps à tenir !

Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine dans notre dossier spécial Vendée Globe et suivez les skippers en direct grâce à la cartographie.

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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