Vendée Globe : une ligne d'arrivée en trompe-l'œil

Par Figaronautisme.com

Pour les marins du Vendée Globe, voir leur ETA reculer, c’est comme croire toucher le sommet d’une montagne pour découvrir, essoufflé, une crête supplémentaire à gravir. Chaque mille gagné semble révéler un nouveau "presque arrivé", un jeu cruel imposé par la météo. Pétoles et coups de vent se succèdent, transformant la route en une ascension liquide où chaque effort compte. Face à ce défi mental, ils cultivent un fatalisme stoïque : râler contre la mer ne change rien, mais ajuster ses voiles et repartir, oui. Un jour ou l’autre, la ligne d’arrivée finira bien par se laisser approcher.

Depuis trois jours, les ETA dérapent, implacables, comme si la ligne d’arrivée s’amusait à jouer avec les nerfs des marins. Pour le petit groupe allant de Jérémie Beyou (Charal) à Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer) pris dans un scénario météo complexe, la fin de la course devient un véritable casse-tête. Une dorsale plantée au large du cap Finisterre promet de ralentir leur progression, piégeant déjà certains dans des vents faibles. Derrière cette barrière, deux dépressions successives attendent, dont une, du genre balèze, qui promet de bousculer encore un peu plus leurs plans et de les secouer dans leurs chaussettes. C’est une épreuve mentale redoutable, semblable à celle d’un coureur de marathon qui aperçoit ce qu’il croit être l’arche d’arrivée, seulement pour se rendre compte qu’il reste encore plusieurs kilomètres à parcourir. Ce faux espoir est un coup dur pour le moral, surtout après des semaines d’efforts acharnés. Reconditionner son esprit, repenser son rythme, se convaincre que l’effort devra durer encore un peu plus longtemps que prévu, demande une force psychique immense. Il faut oublier les projections d’hier, réapprendre à naviguer dans le présent.

Le temps suspendu de la dernière ligne
« Ces derniers jours de course sont loin d’être un long fleuve tranquille », a confirmé Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence), appuyant notre analogie de l’alpiniste : « Il vaut mieux éviter de trop penser au nombre de bosses qu’il reste, sinon la déception guette. L’idée, c’est de les prendre les unes après les autres. Ce qui est compliqué, c’est cette incertitude : est-ce que j’arriverai dimanche ou non ? Tant que la dépression, qui est prévue ce jour-là dans le golfe de Gascogne, continue d’accélérer, il y a même une chance que je doive ralentir, et ça, c’est dur à encaisser moralement. Parce qu’au fond, on ne peut pas s’empêcher de se projeter sur une date de fin, même si on sait qu’on ne devrait pas. C’est une sorte de torture mentale, mais on l’accepte, parce que c’est la règle du jeu. » a ajouté la navigatrice, avec cette drôle d’impression de se perdre dans les couloirs du temps à ce stade de la course. Dans ce contexte, difficile de ne pas se sentir un peu schizophrène. « Une partie de moi est déjà en mode "arrivée", ce qui n’est jamais idéal. J’ai cette sensation d’être plusieurs personnes à la fois : impatiente de toucher terre, un peu nostalgique à l’idée que cette aventure se termine, et en même temps soulagée à l’idée d’être sur le point de réussir », a ajouté Clarisse dont l’objectif, aujourd’hui, reste d’aller le plus vite possible pour tenter d’échapper à la dépression mastoc qui se pointe et commence à faire des appels de phare sur la cartographie, comme pour dire : « Préparez-vous, j’arrive ! ».

La météo en piège
Elle épargnera Jérémie Beyou (Charal) et ses poursuivants jusqu’à Thomas Ruyant (VULNERABLE), en principe déjà arrivés à ce moment-là. En revanche, elle risque potentiellement de copieusement la chahuter ainsi que Benjamin Dutreux (GUYOT Environnement), et encore davantage Sam Davies (Initiatives-Cœur) puis Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer), fragilisé par la perte de son foil bâbord. « Il ne faudra pas qu’elle nous bloque la route et nous empêche de rentrer au port des Sables-d’Olonne », a souligné la navigatrice. Pour ne pas la subir, encore faut-il composer avec des conditions météo particulièrement instables. « Le fait de traverser plusieurs systèmes météo multiplie les incertitudes. Les transitions, toujours délicates, sont des phases où les fichiers météo montrent vite leurs limites. Résultat : il faut jongler avec une foule de paramètres et intégrer de nombreux éléments dans la marmite décisionnelle », a précisé Clarisse.

Quand le Pot-au-Noir devient plus digeste
Derrière, d’autres concurrents semblent enfin avoir refermé la cocotte-minute du Pot-au-Noir. Pour eux, ce chaudron de nuages, d’orages et de vents capricieux semble avoir d’ores et déjà libéré son emprise, et le menu s’annonce plus digeste. Dans cette cuisine équatoriale, chacun a dû ajuster ses ingrédients pour éviter que la sauce ne tourne : anticiper les grains, s’adapter aux bascules, et surtout, ne jamais perdre patience.

" La nuit a été particulièrement agitée, avec des éclairs presque incessants. C’était intense. Je ne veux pas porter malheur, mais j’ai l’impression qu’on commence à entrevoir la fin. Si ça se confirme, ce sera une très bonne nouvelle. Pour l’instant, j’ai du vent stable et le ciel est dégagé, ce qui me laisse espérer que je suis sorti de cette zone. "
Pour l’heure, il jongle entre la satisfaction et la prudence d’un cuisinier face à un four capricieux. « Avec le Pot-au-Noir, il faut toujours rester vigilant : il pourrait encore remonter vers le nord avec nous. Je reste méfiant ! ».

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Chaque détail compte
Désormais, le Morbihannais se concentre sur une autre bataille, celle qui l’oppose à Benjamin Ferré (Monnoyeur – DUO for a JOB) pour la première place chez les bateaux à dérives. Un duel haletant où chaque mille parcouru est âprement disputé. Mais la lutte ne s’arrête pas là : Jean Le Cam (Tout Commence en Finistère – Armor-lux) et Conrad Colman (MS Amlin) reviennent en force. « La météo est favorable pour resserrer le groupe, et tant mieux. Ce qu’on veut, c’est de la bagarre le plus longtemps possible. C’est ce qui nous motive. Je vais me battre jusqu’au bout, et franchement, je me régale sur ce Vendée Globe. Ce n’est pas juste un voyage ou une aventure, c’est une vraie régate. Chaque manœuvre compte, et je les exécute comme si je ne devais pas perdre une fraction de seconde. C’est vraiment incroyable. Je profite de chaque instant. Je suis à fond sur les réglages, dans le cockpit toute la journée à peaufiner les écoutes au centimètre près », a relaté Tanguy, avec une détermination qui illustre parfaitement ses qualités de compétiteur acharné.

Gérer les doutes, gagner les milles
En créant un décalage stratégique dans l’Est pour ne pas rester dans le sillage de son rival, il démontre également son instinct de fin stratège, capable de penser au-delà du simple combat immédiat. Il ne se contente pas de participer : il analyse, anticipe et ajuste constamment, transformant chaque mille en une opportunité de grignoter du terrain. Pour autant, il reste pleinement conscient des défis qui se dressent devant lui dans cette remontée de l’Atlantique Nord. Entre les alizés soutenus, l’anticyclone des Açores qui fait office de mur infranchissable, et les incertitudes des routages, le chemin est loin d’être tracé. Cette lucidité sur la complexité de la situation ne fait que renforcer son pragmatisme, tout en soulignant une autre difficulté : la longueur des derniers milles de ce tour du monde. « Comme le disait Charlie (Dalin), ce sont les plus longs. Et je commence vraiment à le ressentir ». Cette sensation, doublée de l’incertitude météo, l’a poussé à une approche méthodique : « Je me dis : « Attention à ne pas croire que tu es arrivé trop vite, sinon tu risques de te relâcher, et ça, il ne faut surtout pas. » » Sa stratégie mentale est claire : repousser l’échéance dans son esprit pour mieux tenir le rythme. « Dans ma tête, je me dis que j’en terminerai dans un mois. Ça m’aide à rester concentré et à garder ma motivation intacte. »

L’ascension sans fin
Au final, cette fameuse ligne d’arrivée du Vendée Globe, c’est comme un sommet qui semble toujours se dérober au dernier moment. Comme l’alpiniste qui croit toucher la cime, seulement pour découvrir une nouvelle crête à franchir, les marins avancent, encore et encore, sans savoir vraiment où est le pic. Mais quand ils franchiront enfin la ligne, ce ne sera pas seulement un soulagement, mais la victoire d’un périple où chaque bosse franchie aura été un défi en soi. Parce qu’au fond, peu importe combien de fois la montagne se cache, tant que l’on garde l’envie de grimper.

Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine dans notre dossier spécial Vendée Globe.


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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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