Grande croisière - Entretien exclusif avec Jimmy Cornell, le passeur de rêve épris de liberté

Par François Tregouet

Navigateur, écrivain, conférencier, organisateur de rallye, journaliste, polyglotte, tout juste décoré de l’ordre du mérite maritime espagnol, le « Pape de la grande croisière » comme on le surnomme affectueusement était bien sûr à Séville pour le départ du Grand Large Yachting World Odyssey 500. S’il n’en a pas pris ni la direction, ni le départ sur son propre bateau, c’est que son épouse Gwenda et ses médecins ont dû être très convaincants ! Car à 81 ans l’homme a encore de l’énergie à revendre. Il est surtout une source inépuisable de connaissances sur le grand voyage en bateau, partageant toutes ses expériences dans ses livres indispensables. Alors qu’une trentaine de voiliers prennent le sillage de Magellan autour de la planète, il nous a accordé un entretien exclusif et toujours aussi instructif.

Nous sommes à la veille du départ de la GLY World Odyssey 500, mais vous souvenez-vous de votre premier départ pour un tour du monde, avec votre épouse Gwenda et vos deux enfants Doina et Ivan ?

"Bien sûr, je m’en souviens très bien, parce c’est la plus belle chose que j’ai faite mais aussi la meilleure décision de ma vie ! Il y a plusieurs raisons qui vous mènent à prendre une décision d’une telle importance. Il faut vraiment comprendre ce qu’est la liberté. On ne sait jamais vraiment à moins de la perdre. Moi j’ai dû la conquérir en passant à l’ouest. Mais qu’allais-je bien pouvoir faire de ma vie, après avoir passé toutes ces années en Roumanie, où mon père est décédé en prison ? Faire carrière, gagner beaucoup d’argent ? Ou acheter un bateau, devenir marin étant mon rêve depuis l’âge de six ans. Je venais juste d’arriver en Angleterre en 1969, j’avais 29 ans, je travaillais à la BBC et tout se passait merveilleusement bien. Mais j’ai démissionné.  Je n’avais pas beaucoup d’argent, mais suffisamment pour acheter une coque de 11m, que j’ai équipé par moi-même alors que je n’avais jamais rien fait d’équivalent. Je n’avais toujours pas de passeport Britannique mais j’ai quand même dit à Gwenda, « on y va ! ». Nous sommes arrivés en Méditerranée et là un ami m’appelle et me dit que la Police me cherche pour me parler de mon passeport. Finalement je téléphone à l’officier de Scotland Yard, et je lui dis que je suis en Grèce sur mon « yacht » ! Il n’avait aucune idée de ce à quoi ressemblait mon « yacht » mais j’ai fait forte impression (rires). Alors j’ai effectué un aller-retour à Londres, apporté mes papiers, et j’ai reçu enfin mon passeport Britannique. Nous avons pu repartir pour un voyage qui finalement durera six ans. En observant la crise climatique actuelle, et j’ai bien dit crise, pas changement, ce que j’ai vu toutes ces années ne pourra plus jamais être vu par qui que ce soit. Mais encore plus important, je suis parti avec mes enfants qui avaient 5 et 9 ans, 11 et 14 quand nous sommes revenus, et j’ai été 24/24h avec eux pendant toutes ces années, les plus formatrices. Aujourd’hui nous sommes les meilleurs amis du monde et nous échangeons tous les jours, nous nous voyons régulièrement. Quand vous êtes libre, vous avez le choix, c’est très important. En Roumanie nous avons un proverbe qui dit : « Peu importe que tu sois stupide ou intelligent du moment que tu as de la chance ». Et j’ai été très chanceux, toute ma vie ! "

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Jimmy Cornell, Séville (Octobre 2021)© MULTI-media

Vous avez été le premier à organiser un rallye avec l’ARC, aujourd’hui vous avez initié cette odyssée, que vouliez-vous proposer à travers ce concept ?

"J’ai arrêté d’organiser des rallyes en 2017, mais en 2019, cela faisait exactement 500 ans que le premier voyage autour du monde quittait cette ville de Séville, et j’avais envie d’organiser quelque chose. Mais ma famille m’a supplié de ne pas organiser un rallye autour du monde ! Mais je voulais quand même faire quelque chose pour célébrer Magellan, comme je l’avais fait pour Christophe Colomb et Vasco de Gama. J’avais toujours cette idée en tête quand Xavier Desmarest et Stéphane Constance sont venus me voir avec leur projet de rallye autour du monde, alors je leur ai dit de foncer ! Qui plus est, la situation climatique continue d’évoluer, et ce rallye va donner l’opportunité aux participants de voir le monde tel qu’il ne sera plus, non pas dans 50 ans, mais dans cinq ans ! C’est une chance unique. J’ai proposé des routes originales, avec notamment pour la première fois une étape en Nouvelle-Zélande pour s’abriter de la saison cyclonique, puis traverser sur l’Australie et remonter ensuite vers les Tropiques. Et puis comme l’organisateur, Grand Large Yachting est également le constructeur des bateaux participants (Allures, Outremer Garcia, RM), nous avons eu l’idée d’envoyer une équipe technique aux principales escales pour réviser les bateaux. Enfin, les participants à ce rallye ont en moyenne autour de 60 ans, ils n’ont plus l’habitude d’être trop dirigés. Alors nous avons inclus un maximum d’étapes de croisière libre. C’est-à-dire qu’il y a des points de rendez-vous du Rallye comme ici à Séville, à la Barbade, en Martinique, ou aux Marquises. Mais arrivés là-bas, « au revoir » on se retrouve le 15 mai à Tahiti ! D’un côté c’est plus facile à organiser, et de l’autre, cela donne de la liberté aux participants, comme s’ils naviguaient seuls, même si l’organisation sera toujours là en cas de problème. Mais ils sont maîtres de leur navigation entre ces deux dates".

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Quels aléas météo sont à craindre sur les 30 mois que vont durer ce rallye, et quelle route auriez-vous pris vous-même si vous étiez participant.

"Je n’aime pas spéculer, mais l’Atlantique Nord ne devrait vraiment pas poser de problèmes. Les participants devront juste être un peu plus prudents sur leur approche de Panama car les alizés peuvent être très puissants. La mer des caraïbes se refermant à l’approche de Panama, les conditions peuvent être mauvaises. Le Pacifique est assez prévisible mais ensuite, comme dans l’Atlantique, les alizés ne sont plus aussi forts ni aussi réguliers que par le passé. La seule zone où je pense qu’il faudra être particulièrement attentifs, c’est la Mer de Corail, parce que ces dernières années il y a eu un accroissement du nombre de tempêtes tropicales et de cyclones. La saison cyclonique s’étend habituellement de novembre à mai, mais nous avons vu des cyclones en juin, en juillet et même en septembre ! Et puis bien sûr, plus loin, dans le sud de Madagascar, avec le vent contre le courant, il faudra être prudent. Mais avec les excellentes prévisions météorologiques sud-africaines, en choisissant le bon tempo, il ne devrait pas y avoir de souci. Personnellement ayant déjà beaucoup navigué dans les Caraïbes, j’aurais probablement choisi la route sud, car c’est la plus intéressante, la plus excitante. Aller naviguer dans le détroit de Magellan, les canaux de Patagonie, remonter jusqu’à Pitcairn, puis les Gambiers. Mais aujourd’hui j’ai conçu ce rallye du mieux que j’ai pu, et je pense qu’il est temps de me retirer. J’ai organisé beaucoup de rallyes et je suis très heureux de passer le relais à l’équipe de Grand Large Yachting".

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Jean-Christophe Guillaumin
Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte Lacroix
Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Denis Chabassière
Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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METEO CONSULT est un bureau d'études météorologiques opérationnel, qui assiste ses clients depuis plus de 30 ans. Les services de METEO CONSULT reposent sur une équipe scientifique de haut niveau et des moyens techniques de pointe. Son expertise en météo marine est reconnue et ses prévisionnistes accompagnent les plaisanciers, les capitaines de port et les organisateurs de courses au large depuis ses origines : Route du Rhum, Transat en double, Solitaire du Figaro…