Grande croisière - Entretien exclusif avec Jimmy Cornell, le passeur de rêve épris de liberté
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Nous sommes à la veille du départ de la GLY World Odyssey 500, mais vous souvenez-vous de votre premier départ pour un tour du monde, avec votre épouse Gwenda et vos deux enfants Doina et Ivan ?
"Bien sûr, je m’en souviens très bien, parce c’est la plus belle chose que j’ai faite mais aussi la meilleure décision de ma vie ! Il y a plusieurs raisons qui vous mènent à prendre une décision d’une telle importance. Il faut vraiment comprendre ce qu’est la liberté. On ne sait jamais vraiment à moins de la perdre. Moi j’ai dû la conquérir en passant à l’ouest. Mais qu’allais-je bien pouvoir faire de ma vie, après avoir passé toutes ces années en Roumanie, où mon père est décédé en prison ? Faire carrière, gagner beaucoup d’argent ? Ou acheter un bateau, devenir marin étant mon rêve depuis l’âge de six ans. Je venais juste d’arriver en Angleterre en 1969, j’avais 29 ans, je travaillais à la BBC et tout se passait merveilleusement bien. Mais j’ai démissionné. Je n’avais pas beaucoup d’argent, mais suffisamment pour acheter une coque de 11m, que j’ai équipé par moi-même alors que je n’avais jamais rien fait d’équivalent. Je n’avais toujours pas de passeport Britannique mais j’ai quand même dit à Gwenda, « on y va ! ». Nous sommes arrivés en Méditerranée et là un ami m’appelle et me dit que la Police me cherche pour me parler de mon passeport. Finalement je téléphone à l’officier de Scotland Yard, et je lui dis que je suis en Grèce sur mon « yacht » ! Il n’avait aucune idée de ce à quoi ressemblait mon « yacht » mais j’ai fait forte impression (rires). Alors j’ai effectué un aller-retour à Londres, apporté mes papiers, et j’ai reçu enfin mon passeport Britannique. Nous avons pu repartir pour un voyage qui finalement durera six ans. En observant la crise climatique actuelle, et j’ai bien dit crise, pas changement, ce que j’ai vu toutes ces années ne pourra plus jamais être vu par qui que ce soit. Mais encore plus important, je suis parti avec mes enfants qui avaient 5 et 9 ans, 11 et 14 quand nous sommes revenus, et j’ai été 24/24h avec eux pendant toutes ces années, les plus formatrices. Aujourd’hui nous sommes les meilleurs amis du monde et nous échangeons tous les jours, nous nous voyons régulièrement. Quand vous êtes libre, vous avez le choix, c’est très important. En Roumanie nous avons un proverbe qui dit : « Peu importe que tu sois stupide ou intelligent du moment que tu as de la chance ». Et j’ai été très chanceux, toute ma vie ! "
Vous avez été le premier à organiser un rallye avec l’ARC, aujourd’hui vous avez initié cette odyssée, que vouliez-vous proposer à travers ce concept ?
"J’ai arrêté d’organiser des rallyes en 2017, mais en 2019, cela faisait exactement 500 ans que le premier voyage autour du monde quittait cette ville de Séville, et j’avais envie d’organiser quelque chose. Mais ma famille m’a supplié de ne pas organiser un rallye autour du monde ! Mais je voulais quand même faire quelque chose pour célébrer Magellan, comme je l’avais fait pour Christophe Colomb et Vasco de Gama. J’avais toujours cette idée en tête quand Xavier Desmarest et Stéphane Constance sont venus me voir avec leur projet de rallye autour du monde, alors je leur ai dit de foncer ! Qui plus est, la situation climatique continue d’évoluer, et ce rallye va donner l’opportunité aux participants de voir le monde tel qu’il ne sera plus, non pas dans 50 ans, mais dans cinq ans ! C’est une chance unique. J’ai proposé des routes originales, avec notamment pour la première fois une étape en Nouvelle-Zélande pour s’abriter de la saison cyclonique, puis traverser sur l’Australie et remonter ensuite vers les Tropiques. Et puis comme l’organisateur, Grand Large Yachting est également le constructeur des bateaux participants (Allures, Outremer Garcia, RM), nous avons eu l’idée d’envoyer une équipe technique aux principales escales pour réviser les bateaux. Enfin, les participants à ce rallye ont en moyenne autour de 60 ans, ils n’ont plus l’habitude d’être trop dirigés. Alors nous avons inclus un maximum d’étapes de croisière libre. C’est-à-dire qu’il y a des points de rendez-vous du Rallye comme ici à Séville, à la Barbade, en Martinique, ou aux Marquises. Mais arrivés là-bas, « au revoir » on se retrouve le 15 mai à Tahiti ! D’un côté c’est plus facile à organiser, et de l’autre, cela donne de la liberté aux participants, comme s’ils naviguaient seuls, même si l’organisation sera toujours là en cas de problème. Mais ils sont maîtres de leur navigation entre ces deux dates".
Quels aléas météo sont à craindre sur les 30 mois que vont durer ce rallye, et quelle route auriez-vous pris vous-même si vous étiez participant.
"Je n’aime pas spéculer, mais l’Atlantique Nord ne devrait vraiment pas poser de problèmes. Les participants devront juste être un peu plus prudents sur leur approche de Panama car les alizés peuvent être très puissants. La mer des caraïbes se refermant à l’approche de Panama, les conditions peuvent être mauvaises. Le Pacifique est assez prévisible mais ensuite, comme dans l’Atlantique, les alizés ne sont plus aussi forts ni aussi réguliers que par le passé. La seule zone où je pense qu’il faudra être particulièrement attentifs, c’est la Mer de Corail, parce que ces dernières années il y a eu un accroissement du nombre de tempêtes tropicales et de cyclones. La saison cyclonique s’étend habituellement de novembre à mai, mais nous avons vu des cyclones en juin, en juillet et même en septembre ! Et puis bien sûr, plus loin, dans le sud de Madagascar, avec le vent contre le courant, il faudra être prudent. Mais avec les excellentes prévisions météorologiques sud-africaines, en choisissant le bon tempo, il ne devrait pas y avoir de souci. Personnellement ayant déjà beaucoup navigué dans les Caraïbes, j’aurais probablement choisi la route sud, car c’est la plus intéressante, la plus excitante. Aller naviguer dans le détroit de Magellan, les canaux de Patagonie, remonter jusqu’à Pitcairn, puis les Gambiers. Mais aujourd’hui j’ai conçu ce rallye du mieux que j’ai pu, et je pense qu’il est temps de me retirer. J’ai organisé beaucoup de rallyes et je suis très heureux de passer le relais à l’équipe de Grand Large Yachting".