Les orgues marins envoûtants de Zadar

La vision de l’île de Pag - pavé de roche nue, lumineux, dans la Mare Nostrum - continue de nous accompagner tandis que nous abordons la péninsule de Zadar. Zadar est taillée dans la même pierre - si claire, si calcaire - que les îles et la côte croate. Il y a trois mille ans, cette presqu’île s’est faite ville. Ancienne capitale de la région, elle a suscité des convoitises : pour se défendre, ses habitants n’ont cessé de bâtir des murs et des tranchées. Les générations successives, se piquant d’améliorer les dispositifs antérieurs, remettaient une couche à l’édifice. Les forteresses et les temples s’ajoutent donc aux tours, murailles et églises existantes.
Belle Babel
Zadar est une Babel, un carrefour, un dédale. Les archéologues de l’université locale – la première du pays, née en 1396 – ont mis à jour il y a quelques années, à l’endroit où devait se faire un parking, l’aqueduc antique qui menait l’eau à la ville depuis les montagnes distantes de quarante kilomètres. Travaux d’Hercule et pierre savante.
Dans l’église Saint-Donnat, posée sur des morceaux de colonnes romaines, la rotonde ressemble à une fleur de pierres, où règne une sérénité rare. Elle veille sur la ville depuis plus de mille ans et fut juste troublée par les soudards de Napoléon et les bombardements alliés de la seconde guerre mondiale qui furent particulièrement intenses par ici. On pourrait croire qu’occupés à faire naître leur jeune nation, les Croates ont cessé leurs grands ouvrages. Il n’en est rien. Ils ont, sur le parvis de la ville, imaginé une agora sonore, ouverte aux ondes marines.
La mer a Capella
Avec la complicité d’un facteur d’orgue traditionnel, d’un acousticien, d’une poignée d’experts en hydrologie et en architecture sacrée, un réseau de tubes, de sifflets et de flûtes a été intégré à la digue.
Midi sonne aux cloches de la ville. Depuis le beffroi de la cathédrale, Saint-Donnat la Byzantine dévoile ses dessus de tuiles. Le temps de dévaler les marches et l’on se mêle aux badauds, sur le front de mer. Un bateau passe. Son sillage approche. D’un coup, la digue se met à chanter. Assis sur les gradins, au ras de l’eau, un verre de marasquin (*) à la main, on regardera le soleil tourner en écoutant ces étranges sirènes. « Elles chantent sur sept tons, pour deux accords majeurs » souffle un passant : « Le choix des tons et des gammes est basé sur ceux des chansons de « klapa », les chants traditionnels dalmates, polyphonies a capella. » Ainsi les sons varient, créant une musique toujours nouvelle et originale composée par les vents, les vagues et les marées.
(*) Liqueur de griottes fabriquée à Zadar et réputée dans toute la Croatie.
Avant de partir, pensez à consulter les prévisions sur La Chaîne Météo Voyage.