
213 mètres de longueur, un déplacement de 29 000 tonnes, une vitesse maximale de 26 nœuds et une capacité de 1 200 passagers répartis en trois classes. Certes, L’André Doria n’était ni le plus grand, ni le plus rapide des transatlantiques de son époque, mais il faisait la fierté de l’Italie d’après-guerre, assurant avec son sistership le Cristoforo Colombo la liaison régulière entre Gênes et New-York. En effet, dans une Italie dévastée par la guerre et à l’économie moribonde, la remise en service de nouveaux paquebots par l’Italian line était une question de prestige national. Leur construction se fit d’ailleurs à la hâte : l’Andréa Doria fut lancé en 1951, moins d’un an et demi après la pause de sa quille et effectua sa traversée inaugurale du 14 au 23 janvier 1953. Il fut rejoint l’année suivante par son sistership, le Cristoforo Colombo. A l’époque, les deux paquebots sont réputés extrêmement surs. Ils disposent d’une double coque, de canots de sauvetage en nombre suffisant pour l’ensemble des passagers et membres de l’équipage et des équipements radars les plus modernes. Mais la conception trop rapide des nouveaux transatlantiques va se ressentir et dès sa traversée inaugurale, l’équipage va s’apercevoir que l’Andréa Doria souffre de gros problèmes de stabilité, accusant par gros temps une tendance à la gîte dangereuse. Cependant, ce défaut ne va pas enlever au charme de cet élégant paquebot qui va toujours effectuer ses traversées à plein.

Le 25 juillet 1956, l’Andréa Doria fait route vers New York et c’est dans un brouillard épais qu’il passe à 22 nœuds le bateau phare de Nantucket qui annonce la fin de la traversée de l’Atlantique et l’arrivée prochaine dans la mégapole américaine. Le brouillard n’inquiète pas outre mesure l’équipage qui sait son bateau équipé d’un radar performant. Faisant une route inverse, le petit paquebot suédois Stockholm qui a quitté le port de New York en milieu de journée pour regagner la Suède rentre également dans le banc de brouillard. Une mauvaise interprétation des données radars va permettre aux deux paquebots de se rapprocher dangereusement jusqu’à entrer en collision. Malgré des manœuvres d’urgences engagées au dernier moment, la proue du Stockholm, renforcée pour pouvoir briser la glace, va percer le flanc tribord de l’Andréa Doria, pénétrant à l’intérieur du paquebot italien sur douze mètres et détruisant totalement trois cabines. Quarante-six personnes vont être tuées à bord du paquebot italien pendant la collision et cinq à bord du navire suédois. Miracle improbable, une jeune passagère de l’Andréa Doria va être retrouvée indemne sur la proue du Stockholm.

La large brèche ouverte dans le transatlantique italien va remplir les ballasts à tribord alors que ceux de bâbord sont quasi vide et le paquebot va rapidement prendre une gite dangereuse. Trente minutes après la collision, décision est prise d’abandonner l’Andréa Doria. Problème : à cause de la trop grande gîte la moitié des embarcations de sauvetage sont inutilisables et 1 660 âmes se trouvent encore à bord. Alors que toutes les conditions d’un nouveau drame de l’ampleur de celui du Titanic semblent réunies, un nouvel acteur va jouer un rôle majeur dans la résolution de ce drame : le paquebot de la French line, l’Île-de-France. Parti de New York dans la journée pour le Havre, l’Île-de-France a croisé l’Andréa Doria peu de temps avant la collision. Recevant l’appel de détresse, il va immédiatement faire demi-tour pour se porter au secours des naufragés. Travaillant sans relâche, l’équipage français va devenir, au milieu de tous les petits bateaux qui se sont déroutés sur la zone de la catastrophe, la pierre angulaire des opérations de sauvetage. L’Île-de-France va ainsi récupérer à son bord 753 naufragés. Finalement, onze heures après la collision, alors que l’évacuation est terminée, l’Andréa Doria va finir par chavirer et sombrer dans les profondeurs de l’océan Atlantique. La photo prise depuis un aéronef par Harry A. Trask pour le Boston Evenning Traveller de la poupe du paquebot disparaissant sous la surface vaudra à son auteur le prix Pulitzer 1957.

Après un sauvetage réussi, l’Île-de-France met, avec le Stockholm qui bien que gravement endommagé est encore en état de naviguer, le cap sur New York où il reçoit un accueil triomphal dont seul le grand port américain a le secret, remontant le fleuve Hudson le long de la skyline de Manhattan sous les jets de bateaux pompes et dans le brouhaha des cornes de brumes, ovationné par la foule des Newyorkais massés sur les quais et survolé par tout ce que la ville compte d’aéronefs. Pour le vénérable transatlantique, c’est le troisième triomphe de ce type : le premier avait eu lieu en 1927 après sa traversée inaugurale et le deuxième en 1949 pour célébrer son premier retour à New-York après la Seconde guerre mondiale à laquelle il avait survécu. Le sauvetage des passagers de l’Andréa Doria va confirmer le surnom de « Saint-Bernard des mers » qui est donné au paquebot français qui s’est tant de fois dérouté pour porter secours à des marins en détresses.

Si l’Île-de-France a pris sa retraite de l’Atlantique en 1958 avant d’être démantelé l’année suivante, le Stockholm, réparé, a repris du service. Plus de soixante-cinq ans après la catastrophe, le paquebot suédois, largement modifié, navigue toujours sous le nom d’Astoria pour le compte de la compagnie française Rivages du monde et effectue des croisières sur toutes les mers du globe, dernier témoin d’une époque révolue. L’épave de l’Andréa Doria ne se trouve qu’à une cinquantaine de mètres de la surface, ce qui la rend théoriquement accessible en plongée sous-marine. En effet, une épave aussi bien conservée a vite attisé la convoitise des plongeurs du monde entier qui l’ont surnommé « l’Everest de la plongée ». Cependant, les courants, la mauvaise visibilité et les filets de pêche qui recouvrent l’épave rendent son accès très dangereux et nombreux sont ceux qui ont perdu la vie en voulant y descendre.
