
Faire le tour du monde à la voile est en soi un immense défi aux composantes multiples : technique, humain, stratégique météorologique… Mais dans cette dernière catégorie, un phénomène échappe à tout contrôle, une région du monde qui, plus on l’observe, plus elle semble imprévisible, comme une zone de non-droit entre les masses d’air de l’hémisphère Nord et celles de l'hémisphère sud. Scientifiquement parlant, La zone où les alizés de Nord-est et ceux de Sud-Est convergent jusqu’à presque se toucher est connue sous le nom de zone de convergence intertropicale (ZCIT). Celle que nous, Européens, connaissons le mieux est celle de l'océan Atlantique. Si les circumnavigateurs amateurs qui font route vers les Antilles depuis le Vieux Continent restent bien à son Nord, ceux qui visent l’Amérique du Sud devront, comme tous les concurrents d’une course ou d’un record autour du monde, du Vendée Globe au Trophée Jules Verne, devront la traverser. Et en régate, ils auront même le plaisir d’y être confrontés deux fois, une fois à l'aller et une fois au retour, comme s’apprête bientôt à le faire Kirsten Neuschäfer en tête du tour du monde « vintage » en solitaire.
Le Pot au Noir
D’un point de vue météorologique, il s'agit d'une zone de basse pression barométrique dont la position varie. Elle s'étend entre la côte africaine et l’Amérique du Sud, changeant de forme et d’étendue au gré des saisons. Normalement, elle se situe entre 8 et 3 degrés de latitude nord, mais lorsque les alizés sont plus forts, entre octobre et décembre, elle s'étend davantage. Ce sont les mois où le temps est le plus mauvais, car normalement la ZCIT se caractérise par des vents faibles ou de longues périodes monotones sans vent, une forte humidité et une chaleur insupportable, interrompues par des grains potentiellement très forts, accompagnées de cumulonimbus. Le vent, la pluie et les éclairs peuvent être particulièrement intenses et soudains, variant en durée, en intensité et en direction. En course ou en croisière, si on a bien choisi sa météo pour quitter l’Europe, c'est l'un des premiers défis que tout circumnavigateur doit affronter. Une solide avance, patiemment et savamment construite sur toute la descente de l’Atlantique Nord peut être réduite à néant en restant seulement quelques heures arrêté dans un trou d’air, vos concurrents vous voyant arrêté vous contournant prudemment.

Y-a-t-il une bonne stratégie ?
L'une des premières décisions à prendre est de décider à quelle longitude il est les moins pénalisant de traverser la ZCIT. En théorie, la partie la plus étroite se situe entre 27 et 30 degrés de longitude Ouest. Mais le facteur chance n’est pas absent de ces contrées tant la météo y est difficile à prévoir. Les longues périodes sans vent sous une chaleur extrême mettent à rude épreuve les nerfs des marins skippers, tendus comme jamais vers un seul objectif : faire avancer coûte que coûte leur bateau dans ces vents erratiques, pour se sortir le plus vite possible de ce pétrin. Je me souviens d’un bateau du Boc Challenge, tour du monde en solitaire avec escale, dont la bôme et le pont présentaient à l’escale de Cape Town, les marques de manivelles de winches dûs aux coups du skipper excédé par le sort que lui avait réservé le Pot au Noir. La pluie et les grains demandent une vigilance de tous les instants, les changements de voile sont incessants, épuisants, imprévisibles. Se ménager des phases de repose dans ce climat instable tient de la gageure. Lorsque les alizés de Sud-Est sont enfin touchés, c’est la délivrance, l’autoroute du Sud est ouverte si on se garde de Sainte Hèlène et de son anticyclone. La route est encore longue pour faire le tour du monde, mais le marin est sorti d’un de ses pires pièges… jusqu’à son retour.