
Plutôt qu’une véritable extinction, cela n’aura peut-être été qu’une disparition momentanée. Cent-cinquante ans après les derniers clippers, les cargos à voile pourraient effectuer un retour en force dans un avenir proche. Dès 2018, l'Organisation maritime internationale (OMI) fixait un objectif de réduction de moitié des émissions du transport maritime d’ici à 2050. Depuis, les projets allant dans ce sens ne manquent pas. La start-up française Zephyr & Borée a construit le navire Canopée conçu par VPLP Design. Il a accosté pour la première fois au port de Pariacabo en Guyane le 13 janvier 2023 pour livrer des éléments d'Ariane 6 en provenance de Rotterdam. VELA, concepteur et armateur de voiliers-cargos nouvelle génération, annonce l’ouverture d’une ligne maritime décarbonée entre l’Europe et les États-Unis. La start-up, qui compte dans ses rangs un certain François Gabart, ambitionne d’acheminer des produits à haute valeur ajoutée issus de l'artisanat et de l’art de vivre français et étranger, à la seule force du vent. Gain de Sail, café et chocolat, construit son deuxième cargo à voile chez Piriou au Vietnam. L’armateur japonais MOL exploite un navire propulsé en partie par le vent. Le leader mondial de l'agroalimentaire, l’Américain Cargill travaille avec Ben Ainslie pour adapter des WindWings sur ses navires. La compagnie maritime suédoise Wallenius développe un concept de cargo éolien baptisé Oceanbird qui pourrait réduire de 90% les émissions de CO2. Plus surprenant encore, le groupe de pneumatiques Michelin collabore avec Michel Desjoyeaux au développement d’une voile gonflable et rétractable révolutionnaire. Ceux qui ont pu essayer le prototype à La Rochelle ces derniers jours sur le Sense personnel du " Professeur ", ont été positivement impressionnés. A l’échelle d’un cargo, la surface de ces voiles pourrait atteindre les 1000 m².

Pas universel mais potentiellement significatif
Comme pour toute évolution technologique majeure, sceptiques et réticents ne manquent pas de faire entendre leur voix. Pourtant la plupart de leurs arguments peuvent être assez facilement démontés. Tout d’abord, non les cargos à voile ne sont pas morts et coulés. Les nouvelles technologies peuvent permettre de mieux utiliser une ressource naturelle et abondante au large, le vent. Sans les remplacer à 100% l’énergie éolienne peut permettre de réduire nos besoins en combustibles et carburants alternatifs qui, entre investissements, énergie et surface nécessaires, sont souvent tout aussi impactants que les énergies fossiles. Et si le vent peut parfois se montrer capricieux, on s’aperçoit qu’en haute mer, les routes commerciales traditionnelles le sont souvent parce que les vents dominants y soufflent régulièrement. De plus, les prévisions météorologiques se sont considérablement améliorées et couplées avec des logiciels de routage permettent de déterminer la meilleure route à suivre pour... arriver à l’heure ! De plus, si tous les types de navires ne peuvent pas être équipés de voiles, que certaines zones, comme le Pot-au-Noir, seront toujours trop aléatoires ou que les horaires serrés des ferries imposent une précision trop importante, cela laisse encore un très grand nombre de situations où l’énergie éolienne sera techniquement compatible, où la météo sera favorable et le service adapté. Enfin, la fin du pétrole pas cher et la fin de la gratuité, voire de l’impunité, de l’impact environnemental et sociétal lié à toute pollution, devrait finir de convaincre les plus pessimistes.

Alors certes le sujet est aussi vaste que complexe, et on ne dénombre, encore aujourd'hui, qu’une vingtaine de bateaux opérant à la voile ou propulsés en partie par le vent. Mais bien que le transport maritime ait une longue histoire, que les traditions y soient tenaces, et les freins conservateurs puissants, les projets on l'a vu sont nombreux. Alors, tout aussi nombreux devraient être les cargos à voile mis à l’eau dans les prochaines années. C’est la voie la plus simple et donc, comme souvent, la plus sage pour décarboner à temps ce secteur.