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Aujourd’hui, cette gestion semble avoir porté ses fruits, avec un stock qui a triplé depuis 2010, selon les données de l’ICCAT publiées en 2023.Mais derrière cette apparente réussite se cache un secteur sous haute tension, où les enjeux économiques, environnementaux et politiques s’entremêlent. Alors que la demande, notamment japonaise, reste colossale, la régulation stricte des captures ne met pas fin aux dérives. Trafic illégal, opacité des quotas, inégalités entre pêcheurs artisanaux et industriels : la filière du thon rouge est loin d’être un modèle de transparence.
Une manne financière qui attise les convoitisesLe thon rouge est l’un des poissons les plus précieux du marché mondial. Prisé pour sa chair rouge vif et sa forte teneur en graisse, il est au cœur de la gastronomie japonaise, où il est transformé en sushi et sashimi de luxe. Le Japon absorbe à lui seul environ 80 % du thon rouge pêché dans le monde, et la concurrence pour alimenter ce marché est féroce.Chaque année, la traditionnelle vente aux enchères du marché de Toyosu à Tokyo donne le ton : en 2019, un spécimen de 278 kg a été adjugé pour 2,7 millions d’euros. Si ces chiffres sont largement symboliques, ils traduisent l’engouement autour de cette espèce et l’intérêt financier qu’elle représente. La France, avec sa flotte de thoniers senneurs en Méditerranée, est l’un des principaux acteurs de cette industrie, capturant environ 6 000 tonnes par an sur les 40 570 tonnes de quota total alloué par l’ICCAT en 2023.Mais au-delà de la pêche traditionnelle, une autre activité suscite l’attention : l’engraissement du thon rouge en ferme marine. Cette technique consiste à capturer de jeunes thons sauvages pour les élever dans des bassins en mer, où ils sont gavés de poissons pendant plusieurs mois avant d’être exportés, principalement vers le Japon. Selon une étude de l’ONG MedReAct publiée en 2022, cette pratique entraîne de nombreuses dérives : entre déclarations de captures falsifiées et surexploitation des ressources marines nécessaires à l’alimentation des thons, elle pose de sérieux problèmes de durabilité.
Un système de quotas sous pressionFace au risque d’extinction du thon rouge, l’ICCAT a mis en place en 2007 un plan de reconstitution des stocks, qui a progressivement réduit les captures et renforcé les contrôles. Résultat : la population de thons rouges s’est nettement redressée, permettant une augmentation progressive des quotas depuis 2015. En 2023, la commission a validé une nouvelle hausse, portant le total des captures autorisées à 40 570 tonnes, un chiffre en hausse de 20 % par rapport à 2017.Mais ce système, bien que nécessaire, n’est pas exempt de critiques. D’après une enquête menée par Europol et Interpol en 2018, le marché noir du thon rouge serait encore florissant. Cette investigation a révélé un trafic illégal portant sur 2,5 tonnes de thon rouge en Méditerranée, représentant un chiffre d’affaires clandestin de 12 millions d’euros. Le principal point faible du dispositif réside dans les fermes d’engraissement, où des écarts importants entre les volumes déclarés et ceux exportés sont régulièrement observés.D’autre part, la répartition des quotas est un sujet explosif. Aujourd’hui, la grande majorité des allocations est attribuée aux thoniers senneurs industriels, tandis que les pêcheurs artisanaux, utilisant des méthodes plus sélectives comme la palangre ou la ligne, ne reçoivent qu’une infime partie du gâteau. "On nous donne à peine 5 % du quota, alors que nous sommes ceux qui avons le moins d’impact sur la ressource", déplore Jacques B., un pêcheur palangrier de Sète. Cette inégalité alimente la colère des petits pêcheurs, qui se sentent lésés au profit des grandes entreprises.
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L’ombre du changement climatiqueSi la gestion des quotas et la lutte contre le braconnage restent des défis majeurs, un autre facteur pourrait bien bouleverser l’avenir du thon rouge : le changement climatique. Une étude publiée en 2023 par la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) souligne que l’élévation des températures marines pourrait modifier les routes migratoires du thon rouge et affecter sa reproduction.Jusqu’à présent, la Méditerranée reste l’une des principales zones de frai de l’espèce, mais des observations récentes suggèrent que les thons rouges pourraient progressivement remonter vers des eaux plus fraîches, notamment au large des côtes portugaises et irlandaises. Cette évolution pourrait rebattre les cartes de la filière, en redistribuant les stocks et en favorisant de nouveaux pays dans l’exploitation du thon rouge.En parallèle, l’acidification des océans et la raréfaction des petits poissons dont se nourrissent les thons rouges, comme les sardines et les anchois, constituent une autre menace. "Nous commençons à observer des modifications dans les régimes alimentaires des thons rouges en Méditerranée", indique un rapport de l’Ifremer publié en 2022, soulignant que ces changements pourraient affecter la croissance et la qualité des poissons.
Un avenir incertain entre conservation et exploitationLe cas du thon rouge illustre parfaitement les contradictions de la gestion des ressources marines : d’un côté, un succès relatif en matière de conservation, avec un retour des populations à des niveaux plus soutenables ; de l’autre, un marché sous tension, où les intérêts économiques et industriels prennent souvent le pas sur les préoccupations écologiques.Pour garantir un avenir durable à cette filière, plusieurs pistes sont envisagées. L’ICCAT travaille à un renforcement des contrôles sur les fermes d’engraissement, afin de limiter les fraudes. Certaines ONG, comme MedReAct, plaident pour une redistribution plus équitable des quotas en faveur de la pêche artisanale, jugée moins destructrice. Enfin, des initiatives de recherche visent à développer un élevage du thon rouge en captivité à partir de la reproduction artificielle, afin de limiter la pression sur les stocks sauvages.En attendant, le thon rouge demeure un symbole des tensions entre exploitation et conservation. Qu’il soit pêché, engraissé ou trafiqué, il reflète les paradoxes d’un monde où la gestion des océans reste un défi permanent.
Avec une régulation efficace et une approche plus durable, l’histoire du thon rouge pourrait devenir un exemple de gestion réussie des ressources marines. Mais sans vigilance, il pourrait bien redevenir une espèce en péril.
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