
L’histoire semble tout droit sortie d’un rêve de plaisancier gourmet ou d’un délire de confiseur : faire flotter un bateau en chocolat. Pas une maquette, non — un vrai voilier, naviguant dans un port breton. Et pourtant, cette douce utopie a bien eu lieu. Il y a maintenant quinze ans, en 2010, Concarneau devenait le théâtre d’un lancement nautique pas comme les autres, sous l’œil amusé de plusieurs centaines de spectateurs et la main assurée d’un artisan passionné : Georges Larnicol.
Un voilier en chocolat : pari tenu à Concarneau C’était le 25 septembre 2010. Le port de Concarneau, dans le Finistère, est en effervescence. Des centaines de spectateurs s’amassent le long des quais de la Ville Close. Sous leurs yeux, Georges Larnicol, meilleur ouvrier de France et artisan chocolatier réputé, met à l’eau un drôle de voilier. Long de 3,50 mètres, large de 1,20 mètre, pesant pas moins de 1,2 tonne, le bateau est intégralement constitué de chocolat, à l’exception de son ossature en sucre. Équipé d’une voile et d’un petit moteur, le bateau accueille deux personnes à bord — dont Larnicol lui-même — et effectue plusieurs ronds dans l’eau, devant une foule médusée. Il flotte. Il avance. Il amuse. « C’est un morceau de sucre dans le port de Concarneau », plaisante le maître chocolatier, en bottes de marin, ravi de son pari un peu fou.

La régate chocolatée de Quimper : une course... qui fond L’année suivante, la douce folie continue. Le 24 septembre 2011, l’Odet devient le théâtre d’un spectacle encore plus improbable : une régate de bateaux en chocolat. Sept esquifs, construits sur le même principe que le Chocolat II, sont mis à l’eau entre le palais de justice et la préfecture de Quimper. Les équipages, composés en grande partie de collaborateurs de la chocolaterie, prennent le départ à la rame ou à la voile. Mais la météo bretonne a ses caprices : les rayons de soleil d’automne font fondre les coques. Trois bateaux coulent rapidement, déclenchant des éclats de rire sur les quais. D'autres parviennent, à force d'écoper frénétiquement, à terminer la boucle fluviale. « On a tous participé à leur réalisation… La technique ? Écoper ! » lance Yoann Raso, apprenti chocolatier et skipper d’un jour, encore ruisselant mais hilare.
Une idée née du gaspillage Derrière l’humour et la démesure, c’est une idée profondément ancrée dans une démarche artisanale et responsable qui a donné naissance à ces bateaux improbables. « Il fallait faire quelque chose de nos chocolats invendus… Ça me faisait mal au ventre de voir tout ça partir à la poubelle », confiait Larnicol à l’époque. Il aurait pu se contenter de dons ou de recyclage discret. Mais non. Ce Breton ancré dans son territoire a préféré réinventer la matière. Au lieu d’une fin en stock, une seconde vie — flottante, esthétique et joyeuse.
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Et après ? Un rêve sucré pour Brest 2012… resté à quai Dans l’euphorie de ces succès sucrés, Georges Larnicol évoque alors un projet titanesque : pour les Fêtes maritimes de Brest 2012, il souhaite construire un voilier de 12 mètres, doté de deux mâts et de 6 à 8 tonnes de chocolat. Une œuvre flottante monumentale, entre défi technique et manifeste artistique. Mais l’idée ne verra finalement jamais le jour. Trop complexe, peut-être, ou freinée par les réalités logistiques d’un événement international déjà surchargé. Le rêve, lui, restera gravé dans les mémoires, comme une utopie fondante qui aurait mérité son sillage dans la rade de Brest.
2013 : la barque ailée, hommage à l’ingéniosité bretonne Trois ans après le Chocolat II, en 2013, Georges Larnicol poursuit son exploration artistique et historique avec une création étonnante : une barque ailée, toujours en chocolat, inspirée de celle inventée au XIXe siècle par le navigateur et pionnier de l’aviation Jean-Marie Le Bris. L’œuvre, pesant 600 kg, a nécessité plus de 1 000 heures de travail. C’est moins une embarcation qu’un hommage à l’inventivité bretonne, entre mer et ciel, entre mythe et mémoire.
Aujourd’hui encore, alors que les plaisanciers partent en croisière de printemps ou bricolent leur cockpit entre deux œufs pralinés, cette histoire fondante reste dans les esprits. Elle rappelle que le nautisme, parfois trop sérieux, peut aussi s’ouvrir à la poésie, à l’absurde, et à la joie pure d’un projet fou mené à bien. Oui, un bateau en chocolat peut flotter. Oui, une régate peut fondre en plein soleil. Et oui, la mer peut aussi accueillir les rêves les plus sucrés. Alors à Pâques, plutôt que de croquer distraitement un lapin en chocolat, souvenez-vous de ce jour où Concarneau a vu voguer un voilier cacaoté. Et laissez une part d’impossible fondre doucement dans votre esprit.