Transat Paprec : la plus belle des nuits de Saint-Barthélemy

Par Figaronautisme.com
carte de la course Transat Paprec en direct

De l’explosion de joie de Charlotte Yven et Hugo Dhallenne (Skipper Macif) au bonheur de Thomas de Dinechin et Aglaé Ribon, moins de trois heures se sont écoulées. Entre les deux, il y a eu l’engouement populaire autour de Cindy Brin et Thomas André (Cap St Barth, 3e), l’émotion des finishers et la joie intense d’être allé au bout d’une incroyable aventure. Retour sur une nuit à part qui restera longtemps gravée dans les mémoires collectives à Saint-Barthélemy et ailleurs.

6 h 30 du matin au port de Gustavia. Les teintes orangées du lever de soleil ont laissé place au bleu du ciel, légèrement plus clair que celui de la mer. Le port de Saint-Barthélemy a retrouvé sa quiétude habituelle. Rien n’a changé hormis la dizaine de monocoques de 9,75 mètres qui sont arrivés dans la nuit et l’agitation palpable face au ponton, à la capitainerie dans la salle dédiée à l’organisation. Il y a Lola Billy et Corentin Horeau (Région Bretagne - CMB Océane), Pauline Courtois et Alexis Thomas (Wings of the Ocean) ou encore Thomas André (Cap St Barth) qui débriefent la course autour d’un premier repas « à terre ». Un peu plus loin, leurs bateaux, amarrés et les voiles affalées, ne disent rien du combat qui a eu lieu, depuis 18 jours et dont l’issue s’est déroulée au coeur de la nuit.

Les résistants du big bang

Si le dénouement est beau, c’est parce que le scénario est exceptionnel. « Je n’ai jamais vu ça », confiait Francis Le Goff, le directeur de course. L’immense zone de molle qui entourait les Antilles a provoqué un incroyable big bang : les leaders n’en étaient plus, les certitudes avaient disparu et tout le monde gardait sa chance. Les premiers filent au Nord, les retardataires plus au Sud. Chaque nuage, chaque grain, chaque petite variation du vent est exploitée à son maximum. Les heures passent et la flotte finit par s’habituer au plus dur : ne rien savoir vraiment et avoir la sensation que leur aventure allait se jouer sur un coup de dé.

« Il suffit qu’un bateau profite d’un peu plus de vent que les autres pour faire la différence », répétait Yann Chateau à la direction de course. Ceux qui ont provoqué cette chance et bénéficié « d’un excellent angle » hier, ce sont Charlotte Yven et Hugo Dhallenne. « Quand on a vu que ça allait être aussi serré, on s’est dit qu’on pouvait avoir une option un peu intermédiaire, ni trop Nord ni trop Sud et être opportuniste au maximum », confie Hugo sur les pontons. Car ce sont eux qui ont eu les premiers les honneurs en franchissant la ligne à 2 h 18 (8 h 18 heure de Paris). Hugo, volubile, solidaire et si attentif en mer, retrouve son calme de la terre et le sourire qui va avec. Charlotte savoure, première navigatrice à s’imposer à deux reprises, seconde à réaliser un tel exploit après Armel Le Cléac’h, originaire de la baie de Morlaix comme elle.

Cindy Brin et Thomas André, les nouvelles stars

Pendant qu’ils sabrent le champagne, exultent et se congratulent, la bataille en mer fait rage. Derniers empannages, dernières batailles et dernières surprises. Romain Bouillard et Irina Gracheva (Décrochons la lune) arrivent 43 minutes plus tard. Au fil de la course, leur spi s’était déchiré, ils avaient été empétolés, ils avaient cessé d’y croire et puis s’étaient remobilisés. À l’arrivée, l’euphorie se lit sur le visage d’Irina. Romain, lui, en sueur et hilare, assure « avoir les jambes qui tremblent ».

L’effervescence monte ensuite d’un cran. Cap St Barth est en approche. Plus de 200 bateaux encadrent Cindy Brin et Thomas André. À Gustavia, l’affluence est forte. On distribue des portraits des deux marins, Charlotte Yven et Hugo Dhallenne en ont pris aussi. « Ce comité d’accueil, c’est stratosphérique », sourit Cindy. À jamais la première native de Saint-Barthélemy à avoir disputé la Transat Paprec, elle reprend une poignée de secondes son costume de monitrice de voile : « j’espère avoir montré qu’il faut croire en ses rêves ». La clameur est forte, rarement une arrivée n’avait suscité autant d’attente. Le bonheur de Cindy et Thomas dépasse tout, d’autant que l’humour et la dérision ne sont jamais loin. Avant de monter sur le podium, ils saisissent une banderole : « sur un malentendu, ça peut passer ».

Au bout du possible

C’est passé certes mais pour 35 secondes. Car dans la dernière ligne droite, Maël Garnier et Catherine Hunt (Selencia - Cerfrance) sont revenus comme des boulets de canon. Lui avait fait le tour de France à vélo comme préparation. Elle s’était préparée à l’exigence de la course. Ensemble, ils ont enchaîné les pépins techniques, repoussé jusqu’à des limites inconnues la fatigue et se sont offerts cette place dans le « top 5 ».

La fatigue se lit aussi sur les visages de Mathilde Géron et Martin Le Pape (DEMAIN, 5es). Les deux ont les yeux qui brillent et c’est presque un exploit qu’aucune larme ne s’échappe de leurs yeux. Ils ont tout donné, jusqu’au bout du bout, jusqu’à avoir des hallucinations pour Mathilde qui explique que les voiles lui ont parlé et qu’elle a vu un chat sur le pont. Martin aussi, malgré cinq participations et une expérience de géant, reconnaît que l’édition a été intense, dure, humide et harassante jusqu’au bout.

Les arrivées ont ceci de beau que rien n’est vraiment prévu, qu’on ne prend pas vraiment le temps de réfléchir à ce qu’on va dire, qu’on vit le moment à fond. À l’émotion succèdent des moments de légèreté. Julie Simon (Hellowork, 8e avec Davy Beaudart) parle de « son accident de crocs » qui lui a causé des coups de soleil sous les pieds ; Kévin Bloch (DMG MORI Academy, 7e) assure « vouloir boire des bières ». On voit les regards complices qu’il échange avec Laure Galley, tout comme ceux entre Quentin Vlamynck et Audrey Ogereau (Les Étoiles Filantes, 8e) qui assurent « avoir beaucoup appris ».

Un esprit de fête et de légèreté

Le jour se lève alors sur Gustavia. La lumière du jour n’estompe pas l’émotion. Alexis Thomas et Pauline Courtois (Wings of the Ocean, 9e), longtemps aux avant-postes de la course, reconnaissent leur déception. « C’est comme ça, c’est le Figaro », assure Alexis les yeux embués. Lola Billy (Région Bretagne - CMB Océane, 10e) est au bord de craquer, elle aussi, quand Corentin Horeau « s’excuse d’avoir été aussi dur », parce qu’il était hors de question de relâcher la pression après un « pit stop » à Lisbonne en première semaine.

Chloé Le Bars (FAUN, 11e avec Adrien Simon), semble avoir le coeur gros même si elle rappelle que « ça fait partie du jeu ». Accepter les coups du sort, le scénario qui échappe, les rêves qui s’envolent : c’est une victoire en soi. Quelques minutes plus tard, après avoir reconnu que « c’était très dur », Estelle Greck et Victor Le Pape (Région Bretagne - CMB Espoir, 13e après avoir écopé d’une pénalité de 39 minutes pour une rupture de plomb) fondent en larmes. L’émotion tranche avec l’esprit de fête et de légèreté qui règne sur le ponton. Thomas de Dinechin (Almond for Pure Ocean, finalement 12e, suite à la pénalité appliquée à Région Bretagne - CMB Espoir) a déjà mis un maillot de bain et ça fait rire sa co-skippeuse Aglaé Ribon. Ensuite, il y a eu un petit moment de flottement. L’atmosphère a gagné quelques degrés et puis Anaëlle Pattusch et Hugo Cardon (Humains en action, 14es) ont fait leur entrée dans leur port. Après quelques embrassades, ils ont été joyeusement poussé à l’eau. Il y avait Julie Simon (Hellowork), Aglaé Ribon (Almond for Pure Ocean), Romain Bouillard (Décrochons la lune) et Kévin Bloch (DMG MORI Academy). Dans l’eau, ce n’étaient plus seulement des marins, des régatiers, des coéquipiers ou des sportifs : c’étaient surtout des gens heureux.

LES RÉACTIONS AUX PONTONS

Charlotte Yven (Skipper Macif, 1re) : « Cette Transat Paprec était un peu longue mais on s’est adapté, on a tenu, on s’est soutenu, on n’a rien lâché, on s’est battu jusqu’au bout. C’était génial de pouvoir tout donner pendant tout ce temps. Ça ne s’est pas joué à grand-chose, on voit que les écarts sont minuscules, on a décidé de jouer avec le vent qu’on avait sans se préoccuper des autres adversaires, en essayant d’aller vite tout le temps, c’est peut-être ça qui a fait la différence et peut-être aussi le fait de n’avoir rien lâcher ! Je suis hyper heureuse et fière de rejoindre Armel Le Cléac’h dans le club des doubles vainqueurs. Et je suis surtout hyper contente d’avoir partagé ça avec Hugo ! »

Romain Bouillard (Décrochons la Lune, 2e) : « J’ai dormi une heure ces 48 dernières heures ! On termine deuxièmes, on a l’impression d’avoir gagné la course parce qu’on se battait avec six bateaux à moins de quatre milles ! C’était vraiment impressionnant mais on a réussi à garder l’avance. Je suis super heureux d’autant que c’est ma première fois aux Caraïbes et ma première Transat. On a de la chance de finir en deuxième position. Je pense qu’on est passé par toutes les émotions, on est aussi passé par toutes les options. Merci à Irina qui a mis une intensité monstrueuse. Sans elle, on n’aurait jamais fait ce résultat ! »

Cindy Brin (Cap St Barth) : « J’avais dit au départ : sur un malentendu on ne sait pas ce qu’il peut se passer. Je pense que le malentendu est plutôt planétaire ! On a toujours été dans le coup. Personnellement j’ai douté tous les jours mais Thomas a le don de redonner confiance. Heureusement qu’il était là ! Il y a 24 ans, j’étais sur le bateau de mon père et je disais : "un jour papa ce sera moi qui serais là". Et aujourd’hui c’est fait ! Je savais qu’avant le départ j’avais déjà gagné la Transat Paprec parce que mon objectif c’était de la faire. Mais je ne m’attendais pas forcément à faire une troisième place. Je suis super fière de représenter Saint-Barth aujourd’hui ! »

LE RESTE DE LA FLOTTE. Encore trois arrivées dans la journée !

Toute la flotte devrait avoir bouclé la course ce vendredi. Ils ne sont plus que trois duos encore en lice : Maggie Adamson et Calanach Finlayson (Solan Ocean Racing, 15e) et Pier-Paolo Dean et Tiphaine Rideau (Banques Alimentaires, 16e) sont attendus en fin de matinée (heure de Saint Barthélemy, milieu d’après-midi en France). À noter enfin que le dernier duo, Ellie Driver et Oliver Hill (Women’s Engineering Society, 17e), pointe à 88 milles de Saint-Barthélemy.

Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine dans notre dossier spécial Transat Paprec et suivez les skippers en direct grâce à la cartographie.

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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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