Fin des nuits sur l'eau : des ports français s'opposent à l'hébergement touristique flottant

Economie
Par Figaronautisme.com

C’était devenu une offre de plus en plus visible : dormir dans un bateau amarré, au cœur d’un port, via des plateformes comme Airbnb, Le Bon Coin ou Booking. Une solution originale, mise en avant par les propriétaires comme par les touristes en quête d’hébergement alternatif. Mais plusieurs ports emblématiques du littoral français mettent aujourd’hui fin à cette pratique. Une série de décisions qui pourraient durablement modifier l’économie locale de certains territoires et interroger le cadre juridique appliqué à ces usages.

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C’était devenu une offre de plus en plus visible : dormir dans un bateau amarré, au cœur d’un port, via des plateformes comme Airbnb, Le Bon Coin ou Booking. Une solution originale, mise en avant par les propriétaires comme par les touristes en quête d’hébergement alternatif. Mais plusieurs ports emblématiques du littoral français mettent aujourd’hui fin à cette pratique. Une série de décisions qui pourraient durablement modifier l’économie locale de certains territoires et interroger le cadre juridique appliqué à ces usages.

Un phénomène en plein essor... désormais dans le viseur
Depuis le milieu des années 2010, un nouveau type d’hébergement s’est discrètement installé sur les pontons : des bateaux de plaisance loués à quai comme de véritables chambres d’hôtel. À La Rochelle, cette pratique avait même trouvé son public avec jusqu’à 20 000 nuitées enregistrées par an. Une solution jugée idéale pour désengorger les hôtels en haute saison, tout en valorisant l’existant.
Des plateformes spécialisées ont fleuri pour accompagner ce phénomène. À La Rochelle, des entreprises ont investi, parfois lourdement, pour équiper des flottes de bateaux et structurer une véritable offre d’hébergement à quai. Si des annonces similaires sont apparues à Marseille, Cassis, La Ciotat, Beaulieu-sur-Mer ou dans certains ports bretons comme celui du Lyvet, l’ampleur des investissements y reste plus difficile à évaluer. Pour ces acteurs économiques, souvent locaux mais aussi parfois nationaux, l’hébergement flottant est devenu un véritable modèle économique.
Mais derrière l’expérience atypique vantée par les annonces en ligne, les tensions sont vite montées. À La Rochelle, le plus grand port de plaisance d’Europe, la décision est désormais actée : à compter du 1er juin 2025, la location touristique de bateaux à quai y sera tout simplement interdite. Le tribunal administratif de Poitiers a validé la mesure. La direction du port, de son côté, évoque des installations « sursollicitées », des nuisances récurrentes, et un modèle qui a « atteint ses limites ».

Des ports de plus en plus nombreux à interdire la pratique
La Rochelle n’est pas la seule ville à avoir acté la fin des nuitées touristiques à bord de bateaux. À Beaulieu-sur-Mer, dans les Alpes-Maritimes, le conseil portuaire a voté à l’unanimité l’interdiction de la location de bateaux entre particuliers dès décembre 2024. Cette décision fait suite à une accumulation de plaintes : conflits d’usage, concurrence jugée déloyale par les professionnels établis, et manque de formation ou de vigilance des locataires temporaires. Les Autorisations d’Occupation Temporaire (AOT), étant nominatives, excluent toute forme de sous-location, même lorsque le bateau reste amarré.
À Marseille, la Métropole en charge de 28 ports applique une règle similaire : aucune utilisation commerciale d’un emplacement à quai n’est tolérée. Le cadre est strict, les contrôles existent, et les sanctions sont réelles : en 2022, neuf constats d’infractions ont été dressés, certains débouchant sur des condamnations à 1 500 euros d’amende et la perte définitive de l’emplacement.
En Bretagne, le port du Lyvet, dans la commune de La Vicomté-sur-Rance, a quant à lui interdit la pratique dès 2019. Là aussi, la location touristique à quai, via des plateformes comme Airbnb ou Le Bon Coin, a provoqué une surcharge des équipements collectifs (sanitaires, douches), des nuisances sonores et une tension croissante entre usagers.
Royan a opté pour une voie intermédiaire : la location entre particuliers y est tolérée uniquement via des entreprises agréées, mais les nuitées à quai sont toujours interdites. Un propriétaire averti à plusieurs reprises a vu son contrat résilié après avoir continué à louer son bateau de façon illégale.
Au fil des saisons, les ports constatent une hausse de fréquentation liée à ces locations, sans que celle-ci ne s’accompagne de recettes supplémentaires ou d’une organisation adaptée. Sanitaires surchargés, quais détériorés, conflits avec les usagers permanents : autant de problèmes qui alourdissent les charges d’entretien et obligent les gestionnaires à revoir à la hausse les budgets de remise en état.

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Des impacts économiques en cascade pour les professionnels du secteur
Pour les professionnels du secteur, ces interdictions successives sont préoccupantes. À La Rochelle, six entreprises, dont La Rochelle sur l’eau, ont saisi le Conseil d’État. Leur activité repose entièrement sur la location touristique de bateaux à quai. Ce modèle n’est pas propre à la Charente-Maritime : sur l’ensemble du littoral, des structures ont structuré leur activité autour de cette offre. Cela implique des investissements (bateaux, installations), de la main-d'oeuvre, et parfois même des partenariats avec les collectivités locales.
Florent Foucher, entrepreneur dans le secteur, rappelle que « ce ne sont pas des bateaux de navigation, mais des hébergements fixes, pensés pour accueillir des touristes dans des zones où la pression hôtelière est forte ». Pour ces professionnels, l’idée d’imposer une présence permanente d’un capitaine à bord, comme cela est parfois évoqué, rendrait économiquement impossible la poursuite de l’activité.
Si les interdictions se généralisent, les conséquences pourraient être lourdes : fermetures d’entreprises, pertes d’emplois, ventes forcées de bateaux, voire faillites. Un pan entier de l’activité touristique côtière, né d’un usage nouveau et toléré pendant des années, se retrouve aujourd’hui fragilisé.

Comment concilier accueil touristique et gestion durable des ports ?
Faut-il interdire totalement ces hébergements, ou imaginer un cadre plus adapté ? La question reste entière. D’un point de vue juridique, les ports ont des arguments solides : l’article R. 5314-31 du Code des transports précise que l’usage privatif d’un poste à quai dans un port de plaisance relève du domaine public maritime, un espace inaliénable et imprescriptible, dont l’usage commercial doit obligatoirement faire l’objet d’une Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT) délivrée après mise en concurrence.
Autrement dit, louer un bateau à quai sans navigation, via Airbnb ou Le Bon Coin, sans autorisation spécifique, est juridiquement interdit dans la grande majorité des cas. Les autorités portuaires sont donc dans leur droit, et même dans leur devoir, lorsqu’elles interdisent ou sanctionnent ces pratiques, comme à La Rochelle, Marseille ou Beaulieu-sur-Mer.
Mais sur le terrain, les usages se sont installés. Depuis près de dix ans, des acteurs économiques ont développé une offre en réponse à une demande réelle. Dans certaines communes, cette pratique a même été soutenue, ou à tout le moins acceptée de manière tacite.
Le contraste entre le cadre légal et les pratiques tolérées pendant plusieurs années pose désormais une question centrale : faut-il adapter la réglementation pour intégrer cette forme d’hébergement ? Une évolution du Code des transports est-elle envisageable ? La création d’un statut spécifique pour les hébergements flottants ? Une expérimentation dans certains ports volontaires ?


Ce type d’hébergement n’a pas de cadre juridique clairement défini à ce jour. Bien qu’il réponde à une demande touristique croissante et contribue à l’économie locale, son absence de réglementation spécifique soulève des interrogations sur la gestion de ces nouvelles pratiques. L’interdiction pure et simple, sans solution de remplacement, pourrait entraîner des déséquilibres difficiles à gérer pour les parties concernées.

L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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Titulaire d'un doctorat en Climatologie-Environnement, Cyrille est notre expert METEO CONSULT. Après avoir enseigné la climatologie et la géographie à l'université, il devient l'un des météorologues historiques de La Chaîne Météo en intégrant l'équipe en 2000. Spécialiste de la météo marine, il intervient également en tant qu'expert météo marine pour des courses de renommée mondiale, comme la Route du Rhum, la Solitaire du Figaro, la Transat Paprec...