
Figaro Nautisme : Comment devient-on le directeur général d’un chantier naval aussi emblématique qu’Alubat ?
Luc Jurien : J’ai toujours navigué : Optimist, dériveur, planche à voile et surtout mes parents exploitaient un bateau de 75 pieds en alu : à l’époque, ce bateau, c’était le top du top. Un véritable Maxi. En fait, j’ai passé plus de la moitié de ma vie sur l’eau. Quand mon père est décédé, ce bateau était en refit en Nouvelle-Zélande. Nous n’avons pas trouvé à le vendre sur place alors... je suis parti le chercher pour le ramener jusqu’en France.
Du point de vue pro, j’ai une formation d’ingénieur. J’ai commencé ma carrière dans la conception de projets d’infrastructures. J’ai, par exemple, travaillé sur le projet de l’aérogare 2 de Roissy, d’une usine de traitement des eaux usées au Caire, sur le bâtiment du laser Mégajoule en région bordelaise... Des expériences enrichissantes mais... nous avons eu, avec ma femme, à nouveau l’envie de voyager et de naviguer. Nous sommes partis deux ans en tour du monde. Deux années, c’est très rapide pour un tour du monde. Nous sommes partis sur un Maracuja. Au retour, je ne voulais plus travailler dans de gros groupes et j’ai été embauché dans une PME spécialisée en outillage haute qualité avec un département pour la création de « machines spéciales ». Nous travaillions pour le monde automobile, l’aérospatiale et... le groupe BENETEAU ! Après cinq années passionnantes, nous avons eu envie, de nouveau, de grand bleu. Nous avons acheté un Ovni 56 de 1991. Une coque en forme et non à bouchains comme la plupart des OVNI. Un bateau qui nécessitait un gros refit, et que nous avons finalement, quasiment entièrement reconstruit. Tout a été refait, de l’isolation de la coque au système électrique en passant par les aménagements. Pendant 8 ans, ce bateau est devenu notre maison mais aussi une base de charter d’expéditions. Nous sommes allés partout : des Tropiques à l’Alaska sans rester plus de six mois dans la même zone. Nous proposions une aventure qu’aucun autre loueur ne pouvait offrir. Une expérience fabuleuse !
Après notre retour, je voulais mettre en pratique ce que ce voyage m’avait enseigné. J’ai discuté avec quelques chantiers dont la production m’intéressait. Une semaine après avoir rencontré Michel Berson d’Alubat - j’avais une belle histoire de voyage à lui raconter sur un de ses bateaux -, il m’a rappelé pour me proposer de devenir le DG du chantier. C’était en 2021. En 2023, nous avons repris Alubat avec six autres salariés. Le début ou plutôt la continuation d’une belle histoire !
Figaro Nautisme : Vos bateaux ont la particularité d’être construits en aluminium. Les OVNI sont des dériveurs intégraux et le prochain Cigale sera équipé d’une quille relevable. Pourquoi ces choix techniques ?
Luc Jurien : L’aluminium est un matériau incroyable. Longtemps, les bateaux de course les plus rapides étaient construits avec cet alliage et il a fallu attendre le carbone pour le voir détrôner. Pour le grand voyage, l’alu est idéal car il permet un rapport poids/rigidité/prix imbattable. Il est solide et léger, facilement réparable. Je me rappelle avoir percuté un DCP (dispositif de concentration de poissons) en pleine mer en Asie du Sud-Est. Ces DCP ne sont pas cartographiés et, en pleine nuit, quasiment invisibles. Ils sont construits avec du bois, des flotteurs, tout ce qui traîne. Je suis rentré dedans à 9 noeuds et c’était un carnage sur le pont, il y en avait partout. Je ne vous explique pas le stress ! Mais pas de voie d’eau, ni de dommage visible. Le lendemain matin, après une plongée de contrôle, rien sur la coque non plus, à peine quelques rayures... J’ai aussi beaucoup navigué dans des eaux où les troncs d’arbres et autres OFNI sont légion, comme en Alaska ou au Canada. Et à chaque fois que j’en ai heurté un, la coque n’a jamais connu de dommage. Et ça, en grand voyage, c’est un vrai gage de sécurité. Et si un problème advient, la réparation est possible partout dans le monde assez facilement, en tout cas, bien plus facilement que pour un bateau en composites. Des soudeurs capables de réparer l’alu, on en trouve toujours un assez facilement.
Quant au choix des appendices rétractables, c’est là aussi, un choix évident lorsqu’on voyage. Pouvoir rentrer dans tous les ports quelque soit leur profondeur est un vrai gage de sécurité. Et pouvoir échouer facilement est également un plus, comme tous les OVNI peuvent le faire avec notre solution de dériveur intégral.

Figaro Nautisme : 2025 s’annonce une année importante pour Alubat, quelle est votre actualité ?
Luc Jurien : Nous sommes toujours sur une dynamique positive. Notre carnet de commandes est plein pour quasiment les trois années à venir. Nous allons bientôt mettre à l’eau le numéro un du tout nouvel OVNI 490. Six exemplaires ont déjà été commandés sur plans. Il sera présenté au Grand Public pour la première fois au salon du Grand Pavois à La Rochelle en septembre 2025. Le propriétaire de ce premier OVNI 490 a fait le choix d’une motorisation électrique. Nous avons maintenant l’habitude d’équiper des bateaux en motorisation électrique. C’est un choix de plus en plus logique qui permet de s’affranchir du gaz à bord. Et quand on a voyagé en bateau, on sait à quel point faire remplir ses bonbonnes de gaz peut être un casse-tête dans certains pays...
Nous commencerons la construction d’un tout nouveau Cigale, le 15 QR (pour quille relevable) début 2026. Un bateau très performant avec mât carbone en série et un très beau jeu de voiles. La mise à l’eau est prévue début 2027.
Figaro Nautisme : Les bateaux d’aujourd’hui sont de plus en plus complexes mais aussi plus confortables et paradoxalement plus faciles à manoeuvrer. Comment voyez-vous vos bateaux dans 10 ou 15 ans ?
Luc Jurien : Nous construisons des bateaux de voyage et effectivement, la demande s’oriente vers des unités toujours plus équipées et confortables. Nous cherchons surtout et avant tout à proposer des bateaux fiables et facilement maintenables. Je vous donne un exemple : nous avons abandonné l’hydraulique pour remonter la dérive. La solution du bout est bien plus facile à entretenir et à remplacer si besoin. Et ne tombe jamais en panne. Dans le cas où le propriétaire trouve l’opération trop physique, il suffit de faire revenir le bout sur un winch électrique.
Nos bateaux évoluent sans cesse en fonction des retours des propriétaires. Quelques modifications - certes mineures - peuvent être apportées tous les 3 - 4 bateaux d'un modèle.
Donc pour répondre à votre question : nous cherchons toujours à proposer les bateaux les plus confortables possibles mais aussi les plus robustes et faciles à mener. Aujourd’hui, la demande est croissante sur les équipements, ce qui implique une consommation électrique de plus en plus importante. Nous travaillons beaucoup sur cet aspect avec des parcs batteries adaptés et surtout un circuit électrique en 48 V, la même configuration que sur nos bateaux équipés de motorisation électrique. Les carènes sont aussi au centre de notre travail avec les architectes pour qu’elles restent performantes à la voile tout en proposant plus de volume avec un tiers avant - comme sur les bateaux de course - repensé.
Figaro Nautisme : Alubat en chiffres ?
Luc Jurien : 1 600 bateaux qui naviguent sur toutes les mers du monde. C’est cette communauté qui nous porte et nous remonte des informations essentielles pour l’avenir. Aujourd’hui, nous construisons 15 bateaux par an et nous sommes une cinquantaine de salariés contre une trentaine en 2021 à mon arrivée.
Figaro Nautisme : Votre dernière navigation et la prochaine ?
Luc Jurien : Ce matin avec la mise en main du 430 N°10. Nous avons passé la matinée avec les propriétaires à tout tester et la prochaine sera pour le 370 n°22 ! Et, je continue, dès que possible, à naviguer pour mon plaisir, bien sûr.
Et avant de partir en mer, ayez les bons réflexes en consultant la météo sur METEO CONSULT Marine et en téléchargeant l'application mobile gratuite Bloc Marine.