
Un phénomène en plein essor... désormais dans le viseur
Depuis le milieu des années 2010, un nouveau type d’hébergement s’est discrètement installé sur les pontons : des bateaux de plaisance loués à quai comme de véritables chambres d’hôtel. À La Rochelle, cette pratique avait même trouvé son public avec jusqu’à 20 000 nuitées enregistrées par an. Une solution jugée idéale pour désengorger les hôtels en haute saison, tout en valorisant l’existant.
Des plateformes spécialisées ont fleuri pour accompagner ce phénomène. À La Rochelle, des entreprises ont investi, parfois lourdement, pour équiper des flottes de bateaux et structurer une véritable offre d’hébergement à quai. Si des annonces similaires sont apparues à Marseille, Cassis, La Ciotat, Beaulieu-sur-Mer ou dans certains ports bretons comme celui du Lyvet, l’ampleur des investissements y reste plus difficile à évaluer. Pour ces acteurs économiques, souvent locaux mais aussi parfois nationaux, l’hébergement flottant est devenu un véritable modèle économique.
Mais derrière l’expérience atypique vantée par les annonces en ligne, les tensions sont vite montées. À La Rochelle, le plus grand port de plaisance d’Europe, la décision est désormais actée : à compter du 1er juin 2025, la location touristique de bateaux à quai y sera tout simplement interdite. Le tribunal administratif de Poitiers a validé la mesure. La direction du port, de son côté, évoque des installations « sursollicitées », des nuisances récurrentes, et un modèle qui a « atteint ses limites ».
Des ports de plus en plus nombreux à interdire la pratique
La Rochelle n’est pas la seule ville à avoir acté la fin des nuitées touristiques à bord de bateaux. À Beaulieu-sur-Mer, dans les Alpes-Maritimes, le conseil portuaire a voté à l’unanimité l’interdiction de la location de bateaux entre particuliers dès décembre 2024. Cette décision fait suite à une accumulation de plaintes : conflits d’usage, concurrence jugée déloyale par les professionnels établis, et manque de formation ou de vigilance des locataires temporaires. Les Autorisations d’Occupation Temporaire (AOT), étant nominatives, excluent toute forme de sous-location, même lorsque le bateau reste amarré.
À Marseille, la Métropole en charge de 28 ports applique une règle similaire : aucune utilisation commerciale d’un emplacement à quai n’est tolérée. Le cadre est strict, les contrôles existent, et les sanctions sont réelles : en 2022, neuf constats d’infractions ont été dressés, certains débouchant sur des condamnations à 1 500 euros d’amende et la perte définitive de l’emplacement.
En Bretagne, le port du Lyvet, dans la commune de La Vicomté-sur-Rance, a quant à lui interdit la pratique dès 2019. Là aussi, la location touristique à quai, via des plateformes comme Airbnb ou Le Bon Coin, a provoqué une surcharge des équipements collectifs (sanitaires, douches), des nuisances sonores et une tension croissante entre usagers.
Royan a opté pour une voie intermédiaire : la location entre particuliers y est tolérée uniquement via des entreprises agréées, mais les nuitées à quai sont toujours interdites. Un propriétaire averti à plusieurs reprises a vu son contrat résilié après avoir continué à louer son bateau de façon illégale.
Au fil des saisons, les ports constatent une hausse de fréquentation liée à ces locations, sans que celle-ci ne s’accompagne de recettes supplémentaires ou d’une organisation adaptée. Sanitaires surchargés, quais détériorés, conflits avec les usagers permanents : autant de problèmes qui alourdissent les charges d’entretien et obligent les gestionnaires à revoir à la hausse les budgets de remise en état.

Des impacts économiques en cascade pour les professionnels du secteur
Pour les professionnels du secteur, ces interdictions successives sont préoccupantes. À La Rochelle, six entreprises, dont La Rochelle sur l’eau, ont saisi le Conseil d’État. Leur activité repose entièrement sur la location touristique de bateaux à quai. Ce modèle n’est pas propre à la Charente-Maritime : sur l’ensemble du littoral, des structures ont structuré leur activité autour de cette offre. Cela implique des investissements (bateaux, installations), de la main-d'oeuvre, et parfois même des partenariats avec les collectivités locales.
Florent Foucher, entrepreneur dans le secteur, rappelle que « ce ne sont pas des bateaux de navigation, mais des hébergements fixes, pensés pour accueillir des touristes dans des zones où la pression hôtelière est forte ». Pour ces professionnels, l’idée d’imposer une présence permanente d’un capitaine à bord, comme cela est parfois évoqué, rendrait économiquement impossible la poursuite de l’activité.
Si les interdictions se généralisent, les conséquences pourraient être lourdes : fermetures d’entreprises, pertes d’emplois, ventes forcées de bateaux, voire faillites. Un pan entier de l’activité touristique côtière, né d’un usage nouveau et toléré pendant des années, se retrouve aujourd’hui fragilisé.
Comment concilier accueil touristique et gestion durable des ports ?
Faut-il interdire totalement ces hébergements, ou imaginer un cadre plus adapté ? La question reste entière. D’un point de vue juridique, les ports ont des arguments solides : l’article R. 5314-31 du Code des transports précise que l’usage privatif d’un poste à quai dans un port de plaisance relève du domaine public maritime, un espace inaliénable et imprescriptible, dont l’usage commercial doit obligatoirement faire l’objet d’une Autorisation d’Occupation Temporaire (AOT) délivrée après mise en concurrence.
Autrement dit, louer un bateau à quai sans navigation, via Airbnb ou Le Bon Coin, sans autorisation spécifique, est juridiquement interdit dans la grande majorité des cas. Les autorités portuaires sont donc dans leur droit, et même dans leur devoir, lorsqu’elles interdisent ou sanctionnent ces pratiques, comme à La Rochelle, Marseille ou Beaulieu-sur-Mer.
Mais sur le terrain, les usages se sont installés. Depuis près de dix ans, des acteurs économiques ont développé une offre en réponse à une demande réelle. Dans certaines communes, cette pratique a même été soutenue, ou à tout le moins acceptée de manière tacite.
Le contraste entre le cadre légal et les pratiques tolérées pendant plusieurs années pose désormais une question centrale : faut-il adapter la réglementation pour intégrer cette forme d’hébergement ? Une évolution du Code des transports est-elle envisageable ? La création d’un statut spécifique pour les hébergements flottants ? Une expérimentation dans certains ports volontaires ?
Ce type d’hébergement n’a pas de cadre juridique clairement défini à ce jour. Bien qu’il réponde à une demande touristique croissante et contribue à l’économie locale, son absence de réglementation spécifique soulève des interrogations sur la gestion de ces nouvelles pratiques. L’interdiction pure et simple, sans solution de remplacement, pourrait entraîner des déséquilibres difficiles à gérer pour les parties concernées.