
Alexia Barrier « Il faut accepter la cadence des éléments : on ne contrôle pas la nature »
C’est au détour d’un déménagement familial, qui a délocalisé son enfance de Paris à Nice, qu’Alexia Barrier a posé les pieds sur ce qui deviendrait son quotidien : un voilier ! Depuis lors, de balades en mer en pontons de compétition, Alexia trace son cap sans jamais retourner sa veste de quart. Jusqu’à se lancer, à l’automne 2025, un défi magnifique : le Trophée Jules Verne avec un équipage 100 % féminin.
« L’envie de devenir navigatrice est née quand j’avais douze ans, en regardant le départ du Vendée Globe : j’ai immédiatement pensé qu’un jour, j’y participerai ! Mais au début, j’ai gardé mon projet secret. J’ai poursuivi mes études, coché toutes les cases... et démarré les courses. Ce n’était pas forcément évident : en Méditerranée, il n’y a pas de pôle course au large ! Mais j’ai saisi toutes les opportunités, toutes les rencontres. Le plus dur, c’est d’arriver sur la ligne de départ. Financer le projet, trouver les sponsors. Être navigatrice, c’est aussi être cheffe d’entreprise. Pour le Vendée Globe, j’ai bouclé mon budget seulement trois mois avant le départ. Il ne faut pas paniquer, mais continuer à s’entraîner et à entretenir le bateau. J’essaie aussi de bien manger et de me reposer. Le stress consomme beaucoup d’énergie, alors je me relaxe au maximum pour être le plus lucide possible. »

Une femme au gouvernail
A.B. : « En tant que femme, il y a quelques obstacles spécifiques. Cependant, n’étant pas un homme, je ne peux pas vraiment savoir ce qui se dresse devant eux ! Dès l’école de voile, il y avait moins de soutien, moins de confiance. J’étais moins bien dans mes baskets que les garçons. On recueille facilement des blagues sur notre place en cuisine ou des réflexions sur le fait de fonder une famille et de trouver un « vrai » travail ! Il faut vraiment être déterminée comme je le suis pour avancer. Mais j’ai toujours été intégrée, soutenue, encouragée. Mes équipiers avaient un côté « grands frères. » Être une femme, dans ce milieu, c’est rare alors ça peut aider à se démarquer. On évite aussi les problèmes d’ego ! J’essaie plutôt d’être dans l’empathie, la bienveillance. Progresser ensemble, c’est plus important pour moi que de battre un record. Mais c’est peut-être plus lié à ma personnalité qu’au fait d’être une femme. Aux jeunes filles qui rêvent de se lancer, je dirais qu’il ne faut pas hésiter à demander de l’aide, des conseils. Parfois, on n’ose pas... Mais aujourd’hui, il est facile de communiquer avec quelqu’un qu’on ne connaît pas. Et le plus souvent, les gens sont prêts à aider. Mieux vaut ne pas rester dans sa coquille ! »
Un océan de rencontres
A.B. : « J’ai un souvenir particulier du sud du Pacifique, à la hauteur du point Nemo : il n’y a aucune présence humaine, on a l’impression d’être un invité, juste pour quelque temps... C’est un milieu fascinant et hostile à la fois : avec un ciel noir ou gris, des vagues déchaînées, des animaux fantastiques. Rencontrer cette vie sauvage fut la plus belle émotion de mon Vendée Globe. La navigation, c’est mon équilibre. Mais il faut accepter la cadence des éléments : on ne contrôle pas la nature. Un jour, au large du cap de Bonne-Espérance, il y avait très peu de vent mais j’arrivais dans les quarantièmes rugissants. Rien que le nom me faisait peur ! J’ai vu une espèce de tronc d’arbre qui flottait bizarrement. C’était un phoque, j’avais pris ses pattes pour des branches. Nous nous sommes regardés droit dans les yeux, une vraie rencontre, après quarante jours sans voir un seul être vivant. En fait, je me suis sentie en harmonie avec l’océan pendant chacun des 111 jours de mon Vendée Globe. Dès que je suis en mer, quelle que soit la météo, je me sens bien. »
Un tour du monde au féminin
A.B. : « Depuis le Vendée Globe, j’ai en tête de battre le record du Trophée Jules Verne. Alors je prépare un tour du monde, avec un équipage 100 % féminin ! Ce projet, qui s’appelle « The Famous Project », prendra le départ entre octobre 2025 et mars 2026. Nous aurons la chance de naviguer sur IDEC Sport, un bateau qui a déjà trois trophées Jules Verne au compteur. C’est l’opportunité de vivre quelque chose d’extraordinaire ! »

Clarisse Crémer « J'ai vraiment l'impression que l'océan me veut du bien »
Clarisse Crémer n’a pas grandi dans le sérail. À part trois lettres dans son patronyme et quelques vacances en famille, sa relation avec la mer a longtemps été purement esthétique. Elle n’est pas tombée dans la course au large : tout s’est fait petit à petit... Un peu de voile pendant ses études, la rencontre avec son mari(n), une première transatlantique, puis un choix : ce qui ne devait être qu’une parenthèse devient son parcours professionnel.
« Rien n’était prémédité. Enfant, mes parents ne m’envoyaient pas à l’école de voile. Mais j’ai eu la chance de grandir dans une famille et dans un pays où personne ne m’a rabaissée parce que j’étais une fille. J’étais plutôt du style à dire que c’est à chacun de se bouger, que quand on veut, on peut ! Une fois sur l’eau, peu importe que l’on soit une femme. Le vrai défi, à mon avis, il est avant le départ... d’ailleurs, la veille de la course, j’aime prendre une bière en préparant ma météo. Je ne bois pourtant que très peu d’alcool. Mais c’est une façon de me décontracter, d’absorber la tension. Mon plus grand challenge, clairement, aura été d’être au départ de ce dernier Vendée Globe. Il m’a fallu beaucoup de résistance, beaucoup de volonté. Plus que pour finir la course ! La place des femmes dans ce milieu, c’est un vaste sujet. Une des raisons qui m’ont poussée à me lancer en solitaire, c’était de ne pas toujours trouver ma place en équipage, de vouloir prendre des responsabilités. Mais globalement, je me sentais acceptée. Jusqu’au jour où j’ai voulu avoir un enfant. »

Une femme avertie en vaut deux
C.C. : « À ce moment-là, je me suis rendu compte que l’on nous acceptait tant que nous ne faisions pas de bruit, tant que les spécificités féminines ne se voyaient pas. J’ai eu l’impression de ne pas être enceinte au bon moment, d’être rendue responsable de choses que je ne contrôlais pas. C’était très lourd à porter. Dans la voile, on explose souvent vers 35 ans, un âge auquel se pose la question d’avoir un bébé avant que ce ne soit plus possible. Je n’ai pas la recette secrète mais je crois qu’il faut dénouer les choses, parler avec les sponsors. Vouloir un enfant, ce n’est pas un signe de démotivation. Et c’est un vrai sujet de société. D’ailleurs, j’ai reçu de nombreux témoignages de femmes issues d’autres univers professionnels, ça a donné du sens à ma mésaventure. Et les choses évoluent : aujourd’hui, certains sponsors cherchent spécifiquement des navigatrices car c’est une différence qui permet de raconter une histoire. L’important, finalement, c’est de tracer sa propre route. Avoir des modèles, c’est bien, mais il y a autant de trajectoires que de personnes. »
Tous les chemins mènent à bord
C.C. : « En mer, rien n’est jamais deux fois pareil. Par exemple, j’aime beaucoup la mer Celtique : parfois c’est tout beau tout bleu, mais souvent l’eau est très agitée. Et on croise énormément de vie marine. Dès qu’il y a des animaux, j’ai l’impression que l’océan vient me faire coucou. Comme sur le dernier Vendée Globe, près du cap Horn : la météo était étrange, il n’y avait pas de vent, juste des bancs de brume et une nuée de dauphins et d’albatros. C’était trop beau... Je me souviens aussi d’une nuit magique, en 2017, sur la Mini Transat. Tout était fluide, le bateau avançait bien, il n’y avait pas de lune, le ciel et la mer se confondaient. J’avais l’impression de naviguer dans l’espace ! J’étais la plus heureuse de la Terre, dans ce mélange de nature et de compétition, avec la sensation de toucher du doigt le grandiose. Dans ces moments-là, j’ai vraiment l’impression que l’océan me veut du bien. »
Chaque chose en son temps
C.C. : « La suite ? Honnêtement, je ne sais pas. Je réfléchis beaucoup en ce moment, je suis à la croisée des chemins. J’ai envie de prendre le temps, de ne pas repartir trop vite. Je sais que pour le business, il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Mais aujourd’hui, je veux laisser retomber les choses, prendre du recul. Même si je suis toujours aussi passionnée par tout ça ! »

Justine Mettraux « Il faut oser prendre des risques »
C’est au rythme d’un lac entouré de montagnes que Justine Mettraux a fait ses premiers bords. Dès l’enfance, elle apprivoise peu à peu le Léman sur le bateau de son père, mais sans avoir l’idée de devenir un jour professionnelle. Car en Suisse, elle croise peu de modèles de navigateurs, et encore moins de navigatrices ! Et c’est au fil des opportunités qu’elle trouve peu à peu son cap : celui du large.
« L’essentiel, selon moi, est d’être bien préparée avant de prendre la mer. Je n’ai pas de rituel particulier mais j’essaie d’être bien structurée dans ma préparation et celle du bateau, jusqu’au jour du départ... Pour être vraiment prête le jour J ! Car cela prend du temps de monter un projet pour le Vendée Globe, de réunir des partenaires, de trouver les fonds. Quand on y arrive, c’est un bel aboutissement. J’ai plutôt eu de la chance : je me suis souvent trouvée au bon endroit au bon moment. Tout se passait bien dans les équipes avec lesquelles j’ai pu naviguer. Mais j’ai conscience que ce n’est pas le cas de toutes les navigatrices... Les femmes ne sont pas toujours bien reçues, les freins existent et souvent, il faut faire ses preuves un peu plus que les hommes. »

Suivre son cap
J.M. : « En mer, je suis prudente, je fais attention à mon bateau : c’est surtout une question d’expérience, de caractère, et non de genre. Mais être une femme est parfois un avantage : par exemple dans la recherche de partenaires. Nous sommes minoritaires, donc nous sortons du lot par rapport à nos concurrents masculins ! Dans la course au large, la situation évolue, mais ce n’est pas le cas partout. Or certaines navigatrices ont d’autres envies que le large. Alors il reste du travail. L’important, c’est de ne pas avoir peur, de s’entraîner sur un maximum de supports, de naviguer avec différentes personnes. Les jeunes femmes qui se lancent aujourd’hui doivent saisir les opportunités mais surtout, elles doivent se les créer ! Lorsque j’ai postulé pour le projet The Ocean Race, je ne pensais pas que ça marcherait, et pourtant... Avoir confiance en nous, c’est quelque chose qu’on ne nous apprend pas, à nous les femmes, mais je crois qu’il faut oser prendre des risques. »
Ouvrir les yeux
J.M. : « D’une manière générale, le contact avec la nature est une richesse dans la course au large. J’ai vécu beaucoup de bons moments liés à cela...
Quand le bateau avance bien, au portant, avec de bonnes conditions, un vent pas trop fort, pas trop de mer, je ressens une harmonie entre l’océan et le voilier. Il y a tellement de belles choses à voir ! J’ai beaucoup de souvenirs marquants dans l’océan Indien, lors de ma première participation à The Ocean Race. Il y avait des paysages magnifiques le long des côtes africaines, ce contraste entre les pêcheurs vietnamiens sur leurs barques en bois et nous, avec notre machine en carbone ! Et aussi le passage devant Singapour, et les nuits pendant lesquelles j’avais l’impression de naviguer sur un tapis magique et scintillant... »
Regarder devant
J.M. : « Pour l’instant, le bateau est en chantier. Mais j’ai au programme de faire la prochaine saison de courses, et de participer à la Transat Café L’Or à la fin de l’année, sur le même bateau. Ensuite, il sera vendu... Mais en attendant, je repars sur un schéma de préparation classique ! Et il me reste beaucoup de choses à voir : je n’ai encore jamais croisé d’orque... »
Marie Gendron « Je suis très en lien avec l’environnement : loin de tout, je me sens toute petite... »
Enfant, Marie Gendron avait comme une cabane flottante : le tout petit bateau de ses parents, acheté quand elle avait neuf ans. Avec lui, elle a appris l’océan et la navigation. D’abord quelques ronds dans l’eau, puis un peu de cabotage, un peu d’exploration, toujours plus loin de Pornic, son port d’attache. C’est ainsi que Marie a découvert la côte atlantique : par la mer. Avec très vite une idée fixe : avoir un jour son propre bateau pour aller loin, très loin.
« J’ai tout de suite eu l’idée de construire un bateau, cela m’a guidée dans mes études. Je me suis intéressée aux matériaux, à l’ingénierie. Pendant mon DUT, il était prévu que l’on en dessine un. Mais moi, j’ai voulu le fabriquer ! J’ai dû trouver un moule, des plans... C’était l’aventure dans l’aventure. Dès le départ, j’étais lancée dans mon idée. Celle de suivre ma propre route, même si avant de partir, je suis toujours un peu stressée. Alors j’essaie de me rappeler ces mots de mon premier entraîneur : « Tu sais faire ».
Parfois, c’est vraiment un défi. Par exemple, pendant la Mini Transat 2023, j’ai fait un choix stratégique, celui de l’option Sud, pour aller chercher les alizés, alors que la grande majorité de la flotte est partie au Nord à la rencontre des dépressions tropicales. C’était un pari : j’ai suivi mes tripes, mes sensations. Au départ, j’étais dernière au classement. Puis je suis remontée : septième, sixième... Le bateau allait à des vitesses folles, j’étais secouée dans tous les sens, c’était épique ! Mais quand j’ai entendu que j’étais deuxième, la sensation a été indescriptible. Quoi qu’il se passe après, le job était fait. »

Féminité et sororité
M.G. : « Je suis dans le milieu de la course au large depuis longtemps, mais aujourd’hui, il y a une forte évolution. Tant que j’étais à l’école, je ne ressentais pas de distinction entre filles et garçons : nous étions tous égaux. Mais après, c’était différent. Quand j’étais sur mon bateau, logotée de la tête aux pieds aux couleurs de mon projet, les gens pensaient toujours que ce n’était pas moi qui allais faire la Mini Transat, mais mon ami qui était là pour m’aider. Ils s’adressaient à lui systématiquement. J’ai eu la chance d’être toujours soutenue par mes proches. Et je crois qu’être une femme est un avantage quand on s’adresse à d’autres professionnelles. D’ailleurs, mon premier partenaire principal... était une femme ! Il y a quelques années, être une navigatrice était perçu comme synonyme de non-performance, de non-sportivité. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Les bateaux s’adaptent en matière d’ergonomie, d’aménagement. Mais le reste dépend surtout du caractère de chacun ! Le plafond de verre n’existe pas. En mer, la difficulté est la même pour tous. »
En harmonie avec la nature
M.G. : « Je suis très en lien avec l’environnement : loin de tout, je me sens toute petite. Je me souviens d’une nuit où je n’ai pas fermé l’œil. Il y avait un ciel étoilé extraordinaire au-dessus de l’Atlantique, sans nuage ni grain. J’avais l’impression d’avoir changé de planète ! Les Açores m’ont aussi particulièrement marquée. J’ai toujours une sensation d’eldorado lorsque je m’en approche. C’est comme un retour à la vie après des jours et des jours de mer. Il y a aussi les rencontres avec les animaux marins. Pour moi, ils n’apparaissent jamais par hasard ! Un jour, avec mes parents, nous cherchions l’entrée d’une passe, aux Antilles. Nous étions stressés, tendus. Soudain, un grand banc de dauphins est apparu au loin. Nous avons avancé vers eux en suivant la barrière de corail. Et quand ils se sont effacés, l’entrée de la passe était juste là. Je me souviens d’un vrai sentiment d’osmose avec le milieu. »
Au revoir Mini, bonjour Figaro
M.G. : « Aujourd’hui, je me lance sur le circuit Figaro avec trois partenaires incroyables. C’est une chance ! Je cherche aussi de nouveaux sponsors, éventuellement associatifs. La course au large, c’est une vraie entreprise, très structurée. Le Figaro, c’est comme une classe prépa : un circuit exigeant, rigoureux, qui permet d’ouvrir d’autres portes. Pour l’instant, je me concentre sur mon apprentissage. Pour le reste, rendez-vous dans trois ans ! »

Ainsi, il y a autant de trajectoires que de navigatrices... Et si le sillage est rarement tout tracé, une chose est sûre à la lumière de ces quatre témoignages : il faut savoir prendre la vague quand elle se présente, sans perdre ni le Nord, ni la motivation ! Chapeau mesdames, pour ces belles échappées, et surtout : en avant toutes !
Ce reportage sur les femmes dans la course au large, et bien plus encore, est à retrouver dans notre hors-série Collection 2025 !