
Les origines de la cartographie marine : des premières cartes aux grandes explorations
La cartographie marine est née d’un besoin simple : naviguer sans se perdre. Les premières cartes connues remontent à l’Antiquité, notamment chez les Babyloniens, les Grecs et les Romains. Ces représentations n’étaient pas à proprement parler marines, mais elles incluaient parfois des éléments côtiers. Claudius Ptolémée, géographe grec du IIe siècle, a rédigé une Géographie qui influencera la cartographie européenne pendant plus de mille ans, même si ses cartes étaient basées sur des calculs erronés des longitudes.
C’est véritablement au XIIIe siècle, avec l’apparition des portulans en Méditerranée, que naît la cartographie nautique au sens moderne. Ces cartes détaillaient les contours des côtes, les ports, les caps et les baies. Elles étaient généralement dessinées sur du parchemin, orientées avec le nord en haut, et parsemaient les mers de roses des vents connectées par des lignes radiales appelées loxodromies. Ces lignes guidaient les marins à l’aide du compas, outil relativement nouveau à l’époque.
Les portulans sont apparus en Italie, notamment à Gênes et Venise, ainsi qu’à Majorque et Barcelone. L’Atlas catalan, réalisé en 1375 par Abraham Cresques, en est un exemple emblématique : un document remarquable autant pour ses précisions nautiques que pour ses éléments cosmographiques et politiques.
Cartographier la mer : naviguer, conquérir, comprendre
Initialement, la cartographie marine répondait à des besoins commerciaux et militaires : repérer les bons mouillages, éviter les hauts-fonds, identifier les routes les plus rapides. Mais très vite, elle est devenue un instrument stratégique. Au XVe siècle, avec le début des grandes découvertes, les cartes se complexifient. Les royaumes européens - Portugal, Espagne, puis France, Angleterre et Pays-Bas - cherchent à établir leur domination sur les mers. La connaissance des routes maritimes, des courants et des zones inconnues devient un enjeu de puissance.
Les expéditions de Bartolomeu Dias (1488), Vasco de Gama (1498), Christophe Colomb (1492) ou Fernand de Magellan (1519-1522) s’accompagnent d’une explosion de la demande cartographique. Les navigateurs consignent leurs découvertes dans des journaux de bord, dont les informations sont ensuite utilisées par les cartographes. À cette époque, les cartes deviennent des documents sensibles, souvent classés secrets, et les cartographes les plus compétents sont engagés directement par les souverains.

L’évolution graphique des cartes : précision, couleurs et symboles
Pendant longtemps, les cartes se limitaient à représenter les côtes et les ports. Les fonds marins, invisibles à l’oeil nu, n’étaient guère évoqués. Il faut attendre le XVIIe siècle pour que la profondeur fasse son apparition, grâce aux premières techniques de sondage à la ligne de plomb, souvent lestée de suif pour rapporter un échantillon du fond.
Au XVIIIe siècle, des services hydrographiques officiels voient le jour, comme le Dépot des cartes et plans de la Marine en France (1720), qui devient le Service hydrographique de la Marine. Ces institutions rassemblent, analysent et publient des cartes de plus en plus précises. Les levés hydrographiques - longues campagnes d’observation sur le terrain - se multiplient. Aujourd’hui, ce service est connu sous le nom de SHOM (Service hydrographique et océanographique de la Marine). Établissement public sous tutelle du ministère des Armées, il a pour mission de garantir l’accès à l’information nautique officielle. Il produit et diffuse les cartes marines françaises, en assurant leur exactitude, leur mise à jour et leur conformité aux normes internationales. Le SHOM joue également un rôle central dans la collecte et l’interprétation des données océaniques et côtières, au service des usagers de la mer, civils comme militaires.
La couleur entre progressivement sur les cartes au XIXe siècle. Elle permet de distinguer rapidement les différentes profondeurs, les zones émergées, les routes principales, les zones dangereuses. Les normes varient selon les pays jusqu’à ce que des conventions internationales soient mises en place.
Dans le même temps, les symboles se standardisent. Ils permettent d’indiquer les phares (avec leur portée, leur couleur et leur rythme d’éclat), les balises, les bouées, les épaves, les câbles sous-marins, les zones interdites à la navigation, ou encore les champs pétroliers. Aujourd’hui, ces symboles sont définis par des documents normatifs comme les spécifications S-4 de l’Organisation hydrographique internationale.
L’ère moderne : cartes électroniques, satellites et océanographie de pointe
À partir du XXe siècle, la cartographie marine entre dans l’ère scientifique. L’invention du sonar pendant la Première Guerre mondiale marque une avancée décisive. Il permet de mesurer avec précision la profondeur de l’eau, et donc de cartographier les fonds marins, jusque-là largement méconnus. C’est à cette époque qu’on découvre, par exemple, la dorsale médio-atlantique, essentielle à la théorie de la tectonique des plaques.
Les campagnes océanographiques se multiplient. Dans les années 1970, les satellites commencent à fournir des données altimétriques, révélant les grandes structures sous-marines. Ces données sont croisées avec celles des navires, des bouées, des drones sous-marins. La connaissance du relief océanique s’affine.
Aujourd’hui, la cartographie marine repose en grande partie sur des systèmes numériques. Les ENC (Electronic Navigational Charts) remplacent progressivement les cartes papier sur les navires de commerce. Elles permettent une mise à jour automatique, intègrent des informations météo, des alertes, des zones réglementées, et peuvent interagir avec les systèmes de pilotage automatique.
Les cartes papier ne sont pas pour autant abandonnées. Elles restent une référence fiable en cas de panne électronique, et continuent d’être utilisées dans l’enseignement maritime ou la navigation de plaisance. C’est notamment le cas du Bloc Marine, ouvrage de référence pour les plaisanciers depuis 60 ans. Publié chaque année, il rassemble une documentation complète sur les zones de navigation côtières et portuaires, avec une couverture précise de l’ensemble du littoral français, atlantique, méditerranéen et manchot. On y trouve des plans portuaires en projection WGS84, des cartes de localisation, des détails sur les accès, équipements et services de chaque port, ainsi que des informations essentielles sur la réglementation, la sécurité à bord, la signalisation maritime, les marées ou encore le RIPAM et le livre des feux. L’ouvrage inclut également un atlas de navigation, ainsi qu’un journal de bord, document obligatoire à bord des unités de plaisance. En plus de répondre aux exigences réglementaires, le Bloc Marine accompagne la préparation de chaque navigation, en croisière comme à la journée, en fournissant des données actualisées et directement exploitables en mer.

Cartographie et environnement : de nouveaux enjeux
Au-delà de la navigation, la cartographie marine devient un outil majeur pour l’étude des milieux marins. Elle permet d’identifier les habitats sensibles, les zones de reproduction des espèces, les impacts des activités humaines sur les fonds marins.
Des programmes comme EMODnet (European Marine Observation and Data Network) en Europe, ou Seabed 2030, un projet international coordonné par la Nippon Foundation et GEBCO (General Bathymetric Chart of the Oceans), visent à cartographier l’intégralité des fonds marins d’ici la fin de la décennie. En 2023, à peine 25 % des océans avaient été cartographiés de manière détaillée.
Ces données sont essentielles pour la planification maritime, la protection de la biodiversité, la construction d’éoliennes offshore, ou encore la gestion des ressources halieutiques.
La cartographie marine est une science vivante. Elle évolue au rythme des découvertes, des besoins des usagers de la mer, et des avancées technologiques. Des chercheurs explorent aujourd’hui l’utilisation de l’intelligence artificielle pour analyser les données marines, modéliser les côtes soumises à l’érosion, ou prédire les changements du trait de côte.
L’histoire de la cartographie marine témoigne de la manière dont l’humanité apprend à lire, puis à comprendre, un espace mouvant et hostile. De la simple esquisse médiévale aux cartes tridimensionnelles de demain, c’est un récit de curiosité, d’ingéniosité et de collaboration à l’échelle du globe.