
William Bligh naît en 1754 à Plymouth, en Angleterre, dans une famille modeste mais tournée vers la mer. Très jeune, il embarque comme aspirant à bord des navires de la Royal Navy. À seulement 22 ans, il est sélectionné par le célèbre capitaine James Cook pour servir comme maître d’équipage sur le Resolution lors du troisième et dernier voyage du grand explorateur. Ce poste, chargé de la navigation et des cartes, exige rigueur, compétence et sang-froid. Bligh y brille par sa précision et son endurance.
Cette expédition marque profondément le jeune marin, lui offrant un aperçu des terres du Pacifique Sud, des peuples insulaires, et des possibilités de commerce botanique qui fascinaient alors la Couronne britannique.
Le projet du Bounty : une mission botanique vers Tahiti
En 1787, Bligh se voit confier le commandement du HMS Bounty. L'objectif est ambitieux : partir à Tahiti récolter des plants d’arbres à pain - une source de nourriture facile à cultiver - et les transporter jusqu’aux colonies britanniques des Caraïbes, où ils pourraient nourrir les esclaves travaillant dans les plantations de sucre.
Le Bounty, petit vaisseau sans officier subalterne (ce qui compliquera la discipline à bord), quitte l’Angleterre en décembre 1787. Après avoir contourné la pointe de l’Afrique, Bligh tente de franchir le terrible cap Horn. Les conditions sont si hostiles qu’il est contraint de rebrousser chemin pour passer par l’océan Indien. Ce détour allonge le voyage de plusieurs mois.
Lorsque le Bounty jette enfin l’ancre à Tahiti en octobre 1788, l’équipage y trouve un paradis terrestre. Le climat est doux, la nourriture abondante, et l’accueil des Tahitiens - notamment des femmes - particulièrement chaleureux. Le séjour dure cinq mois, le temps de récolter et embarquer plus d’un millier de jeunes arbres à pain. Pour beaucoup des hommes, quitter cette île accueillante, c’est renoncer à une vie rêvée.

La mutinerie du Bounty
Le 28 avril 1789, à quelques semaines de navigation de Tahiti, une mutinerie éclate. Menés par Fletcher Christian, le second de Bligh, 23 membres d’équipage s’emparent du navire. Bligh et 18 fidèles sont chassés à bord d’une chaloupe longue de seulement 7 mètres, sans instruments de navigation modernes, sans armes, avec pour seules ressources quelques vivres, un sextant, une montre et une boussole.
Ce n’est pas la première mutinerie de l’histoire navale, mais celle-ci deviendra mythique pour deux raisons : l’odyssée de Bligh, et la disparition spectaculaire des mutins.
Abandonné à la dérive au milieu du Pacifique Sud, Bligh accomplit l’un des plus grands exploits de navigation de l’époque. Pendant 47 jours, il conduit ses hommes sur près de 6 700 kilomètres jusqu’à l’île de Timor, dans l’actuelle Indonésie. Aucun des 19 hommes ne meurt pendant cette traversée. En naviguant à l’estime, sans carte précise, il relève avec une discipline militaire les observations quotidiennes, rationne les vivres, et tient un journal méticuleux.
Son retour en Angleterre en mars 1790 fait sensation. Bligh est jugé, comme le voulait la procédure après la perte d’un navire, mais il est rapidement acquitté. Il repart bientôt en mer, preuve de la confiance persistante de l’Amirauté britannique.
Le destin des mutins
Pendant ce temps, Fletcher Christian et ses compagnons, après un premier retour à Tahiti, trouvent refuge sur l’île de Pitcairn en janvier 1790, qu’ils croient à l’écart des routes navales. Là, ils brûlent le Bounty pour ne pas être repérés. Ils y fondent une petite communauté mêlant marins et Tahitiens. Ce n’est qu’en 1808 qu’un navire américain les découvre : la plupart sont morts, tués dans des conflits internes, mais un survivant - John Adams - vit encore sur l’île avec des enfants issus des unions entre marins et femmes tahitiennes.

La suite de la carrière de Bligh
Loin de l’image d’un homme brisé, Bligh poursuit une carrière active. Il repart en 1791 avec une nouvelle expédition vers Tahiti (réussie, cette fois) et gravit les échelons de la Navy. En 1806, il est nommé gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud (Australie actuelle). Mais là encore, son autoritarisme et sa volonté de mettre fin à la corruption dans le commerce du rhum déclenchent une révolte militaire : la Rum Rebellion de 1808, où il est une nouvelle fois arrêté et détenu. Il finit par rentrer en Angleterre en 1810.
Il meurt à Londres en 1817, à l’âge de 63 ans, officier de la Royal Society, reconnu pour ses talents de marin, mais toujours controversé pour son style de commandement.
L’histoire de William Bligh n’est pas celle d’un seul échec ni d’un seul exploit. C’est celle d’un marin exceptionnel, formé à la rigueur de Cook, passionné par la navigation et la botanique, mais dont le tempérament, jugé dur et cassant, a pu fracturer l’autorité qu’il incarnait. L’image populaire, forgée par le cinéma et les romans, en a souvent fait un tyran. Mais les archives et témoignages suggèrent un portrait plus complexe : un officier exigeant, parfois injuste, mais aussi un meneur d’hommes capable de prouesses extrêmes.
Sous les étoiles du Pacifique, le Bounty n’a pas seulement été le théâtre d’une mutinerie : il fut le miroir d’un monde colonial en mutation, d’une humanité en quête de paradis, et d’un homme confronté à la tempête des hommes autant qu’à celle des mers.