
Ce capitaine n’est pas un simple marin. C’est un aristocrate formé à l’excellence, un cartographe de génie, un esprit torturé, et bientôt... l’inventeur des prévisions météorologiques modernes. Voici son histoire.
Le prodige de la Royal Navy
L’histoire de FitzRoy commence dans les salons feutrés de l’aristocratie anglaise. Né en 1805 dans une famille proche de la couronne, il aurait pu choisir une carrière diplomatique ou politique. Mais très jeune, il opte pour la mer. Il entre à 12 ans au Royal Naval College, brille dans toutes les disciplines, et gravit les échelons à une vitesse rare : capitaine à 23 ans, lieutenant à 19. Il est l’un des plus jeunes officiers jamais promus par la Royal Navy.
Brillant, méthodique, animé par un sens du devoir presque religieux, il est aussi un scientifique dans l’âme. Passionné par l’astronomie, la navigation et la géographie, il tient autant à son sextant qu’à sa Bible. Cette tension entre foi et science, raison et croyance, ne le quittera jamais.
Une expédition, deux hommes, un monde à découvrir
En 1831, il accepte une mission délicate : reprendre le commandement du HMS Beagle pour cartographier les côtes d’Amérique du Sud. La précédente expédition s’est mal terminée : le capitaine s’est suicidé. FitzRoy le connaissait. Il est hanté par cette mémoire. Il prend le commandement avec une obsession : éviter la solitude du capitaine. Il exige donc un compagnon d'esprit. Ce sera Charles Darwin.
Ils ne se connaissent pas. FitzRoy doute de lui : il aurait préféré un homme au front plus large, selon la mode phrénologique du temps. Pourtant, ils embarquent ensemble. Et ce qui suit dépasse toutes les attentes.
Pendant cinq ans, ils sillonnent les mers, les côtes, les volcans. FitzRoy trace les cartes avec une précision d’orfèvre, prend des relevés météorologiques qu’aucun marin n’avait jamais faits, corrige les erreurs des cartes espagnoles centenaires. Il teste des baromètres, observe les vents, note les pressions. Il documente tout. Rien ne lui échappe.
Darwin, de son côté, collecte, observe, écrit. Il comprend, peu à peu, ce que le monde lui montre. Le Galápagos, la Patagonie, la Terre de Feu. Ce sont les graines de la révolution darwinienne.
Mais FitzRoy, lui, ne voit pas venir cette révolution. Il est croyant, profondément. Il pense que la nature reflète l’ordre divin. Ce que Darwin écrit lui fera plus tard l’effet d’une trahison.

L’affaire Jemmy Button : foi, choc culturel et désillusion
FitzRoy ne veut pas seulement cartographier. Il rêve aussi d’évangéliser. Lors d’un précédent voyage, il avait ramené à Londres trois autochtones de Terre de Feu, dont Jemmy Button. Ils avaient été lavés, éduqués, baptisés. À son retour, FitzRoy décide de les ramener « civiliser » leur peuple.
Mais tout s’effondre : le projet de mission échoue, les jeunes Fuégiens reprennent leur culture. Jemmy Button rejette les habits européens. FitzRoy est secoué. Lui qui croyait au pouvoir de la raison et de la foi découvre la complexité du monde humain.
Retour à terre, Darwin s’élève, FitzRoy s’efface
De retour en Angleterre, FitzRoy compile ses journaux et supervise la publication du monumental récit du voyage du Beagle. Il y consacre des années. Le troisième volume est signé Darwin. Et là, les rôles s’inversent : FitzRoy devient le second nom de l’histoire. Darwin, lui, entre dans la légende.
En 1859, la publication de L’Origine des espèces bouleverse tout. FitzRoy lit l’ouvrage avec stupeur. L’homme qu’il a accompagné remet en question la création divine. Lors d’un débat public en 1860, FitzRoy assiste, effondré, à la victoire des idées de Darwin. Il brandit sa Bible, implore qu’on écoute encore la parole de Dieu. En vain.
Le combat pour prédire les tempêtes
Écarté du devant de la scène scientifique, FitzRoy rebondit ailleurs : la météo. Il en a l’intuition : si l’on peut mesurer les variations du ciel, on peut peut-être les anticiper. Et si on les anticipe, on sauve des vies.
En 1854, il fonde le premier département météorologique de la marine britannique, embryon du Met Office. Il centralise les données des navires, croise les vents, les pressions, les courants. Après le naufrage du Royal Charter en 1859, il crée les premiers bulletins de tempête pour les ports britanniques.
Il invente le terme "weather forecast", publie ses prévisions dans The Times, pose des baromètres publics dans les ports de pêche. L’idée semble folle à l’époque. On le moque, on le critique. Lui continue, jour et nuit.
Mais l’effort l’épuise. La machine administrative se retourne contre lui. On coupe ses budgets, on conteste sa méthode. Sa santé mentale vacille. Il est isolé, ruiné, épuisé.
Le 30 avril 1865, dans sa maison du Kent, Robert FitzRoy se tranche la gorge. Il meurt à 59 ans. L’homme qui avait commandé l’un des plus grands voyages scientifiques du siècle meurt dans l’oubli et le désespoir.
Il laisse derrière lui une femme, plusieurs enfants, des milliers de pages de journaux, de relevés, de cartes, et une idée qui changera le monde : prévoir le temps pour protéger les hommes.
Aujourd’hui, son nom a été réhabilité. Un des secteurs maritimes de la météo britannique s’appelle FitzRoy. Le Met Office lui rend hommage comme le fondateur des prévisions météorologiques. Les historiens reconnaissent enfin sa contribution essentielle à la science moderne.