
Premier épisode de notre série sur les voiliers mythiques avec la Santa-Maria. À partir de son départ en 1492, son destin sera scellé à celui de Christophe Colomb et à la découverte de l’Amérique dont elle ne reviendra jamais. Son épave aurait été retrouvée au large de Haïti ce printemps.
Elle avait fière allure lorsqu’elle a quitté le port de Palos de la Frontera en Espagne, ses voiles blanches ornées d’une croix rouge, cette nuit du 3 août 1492. La caraque La Santa-Maria, avec ses trois mâts et ses 29 mètres de long, était le plus grand des trois navires de la première expédition de Christophe Colomb, dont l’objectif était de traverser l’Océan Atlantique pour rejoindre les Indes Orientales. L’explorateur espagnol Juan de la Cosa était le capitaine et armateur de ce navire-amiral sur lequel étaient embarqués quarante marins. Tous surnommaient La Santa-Maria du petit nom La Gallega, ou La Galicienne, car elle avait été construite en Galice. À ses côtés voguaient les deux caravelles La Pinta et La Nina. Cette expédition novatrice comptait en tout 90 personnes.
La traversée ne serait pas longue, Christophe Colomb l’avait assuré à la reine Isabelle de Castille et au roi Ferdinand d’Aragon qui lui avaient donné les moyens de son ambition. Pour préparer son voyage, il s’était basé sur l’ouvrage encyclopédique de Pierre d’Ailly, cardinal et cosmographe français du début du XVe siècle. Ce dernier insistait sur l’étroitesse de l’Atlantique en se référant lui-même aux mesures d’un astronome persan du IXe siècle et aux cartes d’un géographe phénicien du Ier siècle. Mais tous avaient envisagé la circonférence de la Terre bien plus petite qu’elle n’était en réalité. Ainsi, deux mois après leur départ des côtes espagnoles, les équipages de La Santa-Maria, La Pinta et La Nina s’inquiétaient fortement de ne toujours pas apercevoir la terre à l’horizon, alors que les vivres et l’eau douce commençaient à manquer.
Les premiers pas d’une confusion historique
Début octobre, Christophe Colomb décida de changer de cap en se fiant aux oiseaux marins. Le 12 octobre, enfin, une île était en vue. Le navigateur italien la baptisa du nom du Christ, San Salvador, et la fit enregistrer comme nouvelle possession du roi d’Espagne. Il était persuadé qu’elle faisait partie de l’archipel nippon. Il s’agissait en réalité d’une île des Bahamas. La Santa-Maria et les deux caravelles l’abordèrent avec prudence mais les premiers contacts avec les indigènes furent pacifiques. Colomb, convaincu d’être face à des habitants des Indes Orientales, les nomma les Indiens. Ceux-ci lui indiquèrent d’autres îles où, paraît-il, se trouvait de l’or. Durant deux mois, les trois navires explorèrent ainsi la mer des Caraïbes, curieux de ces nouvelles terres qu’ils ajoutaient au royaume d’Espagne et dont le navigateur italien comptait bien s’attribuer sa part. La Santa-Maria, La Pinta et La Nina accostèrent notamment à Cuba, que Colomb prit pour le Japon, ou encore à Haïti qu’il nomma « L’Hispaniola » en raison de ses paysages qui lui rappelaient ceux de la Castille.
Le navire reconverti en fortin
C’est sur cette île d’Haïti que survint le drame. La nuit de Noël 1492, La Santa-Maria, laissée avec seulement un mousse à la barre, s’échoua sur un récif. Ce n’est que grâce à l’intervention d’une tribu locale que la plus grande partie de la cargaison put être sauvée. Christophe Colomb, Juan de la Cosa et leurs hommes parvinrent aussi à récupérer une partie du bois constituant le navire. Le marin italien décida de le recycler : comme il n’y avait pas assez de place à bord de La Pinta et La Nina pour accueillir l’équipage de La Santa-Maria, il l’utilisa pour construire un petit fortin qu’il appela La Navidad (Noël), tout près de l’actuelle ville de Cap-Haïtien. Il s’agissait du premier établissement européen permanent du continent américain mais Christophe Colomb ne le saura jamais. Parmi les 39 hommes laissés sur place, il y avait un charpentier, un tonnelier, un médecin et un tailleur. Les habitants de cette nouvelle « ville » reçurent des graines, des vivres, des armes et des outils pour s’organiser et tenir jusqu’au retour de Christophe Colomb qui promit de revenir les chercher. Peu de temps après, il repartit vers l’Espagne avec Juan de la Cosa et les deux bateaux restants. Un an plus tard, il fut de retour avec une flotte de dix-sept navires et environ 1 500 hommes avec pour objectif de construire cette fois une véritable colonie sur Hispaniola. Mais lorsqu’il arriva à la Navidad, il trouva le fortin incendié et tous ses anciens marins de La Santa-Maria décimés par les Indiens lassés de la violence et de l’avidité de ces colons.
Comme Christophe Colomb qui s’éteignit treize ans plus tard après quatre expéditions dans cette région, les marins de La Santa-Maria sont morts sur une terre dont ils étaient persuadés qu’elle était l’Asie.
Il aura fallu attendre plus de cinq siècles pour que le fantôme de La Santa-Maria réapparaisse. En mai dernier, des archéologues auraient retrouvé son épave au nord des côtes haïtiennes, non loin de l'emplacement du fort d’antan. Elle reposerait entre trois et cinq mètres de profondeur. En attendant les preuves qui confirmeront cette découverte, l’ancre de la caraque, de quatre mètres de hauteur, est visible au Musée du Panthéon national haïtien à Port-au-Prince. Une réplique de La Santa-Maria flotte également paisiblement dans le port de Barcelone.