La météo marine à travers les dictons
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Les marins ont, comme les paysans, une relation si intense avec la nature dont ils sont étroitement dépendants, qu’ils ont matérialisé leurs repères à travers une collection de dicton. En particulier, la météo, qui leur mène la vie dure ou douce selon son humeur, est cataloguée par ceux qui préfèrent le bon au beau temps. Le temps qui va d’abord assurer leur sécurité avant leur confort puis leur plaisir.
Le dicton est une règle qui ne fonctionne pas toujours, la nature n’est pas très obéissante, mais qui a pour vocation de rassurer puisque "un homme averti en vaut deux".
Le dicton commence par constater, puis il se hasarde à prédire et enfin il prescrit. J’en ai retenu, ici, quelques exemples qui trouvent une explication simple.
Dictons qui constatent :
"Petite pluie abat grand vent"
C’est presque vrai, mais c’est plutôt le grand vent qui empêche la petite pluie d’arriver jusqu’à nous. Sous une perturbation, l’air doux et humide « précipite » doucement, sous forme de bruine ou petite pluie jusqu’à ce que le vent se lève suffisamment fort pour la balayer, la transporter à l’horizontal.
"Grain crevé par en dessous perd sa rage par son trou"
Le cumulonimbus, ce nuage boursouflé, de forte extension verticale, vit rageusement. Arrivé au stade de la maturité il implose et le grain alors produit entraîne, depuis les hautes couches, de l’air froid qui se traduit par de violentes rafales en surface. Le grain ne dure pas. Le nuage se dégonfle, perd sa rage.
"Horizon net et clair, vent de nord, bonne affaire"
Après le passage d’une perturbation, on est heureux de voir arriver la rotation du vent vers le nord, apportant de l’air limpide. Le baromètre affiche sa hausse : après la pluie le beau temps.
"Vent de Nordet : Jour il fraîchit, la nuit se tait"
Petite mention pour les adeptes des côtes de la Manche. Au printemps, mais à plus forte raison en été, un pseudo régime de brise thermique renforce le vent du large l’après-midi et le contrarie la nuit. Il y a alors comme un petit coussin d’air frais qui s’installe sur le littoral et rejette le vent en altitude.
"Le Grégau a la pluie au bec"
Pour faire bonne mesure j’ai retenu aussi ce provençal qui constate sèchement que ce vent d’Est-Nord-Est est synonyme de fraicheur et d’humidité en mer, le long des côtes du Var et des Bouches du Rhône. Il est effectivement associé aux basses pressions et perturbations qui circulent entre Baléares et le golfe de Gênes.
Dictons qui prédisent :
"Ciel rouge le matin, avertit le marin"
Ce sont les rayons du soleil qui se diffractent dans une couche d’air humide et stable qui donnent ces rougeurs. Si l’éclairage rasant du matin met en lumière ces couches vers l’ouest, c’est qu’une masse d’air humide s’y trouve. Elle peut être annonciatrice de l’arrivée d’une perturbation.
"Ciel pommelé, femme fardées ne sont pas de longue durée"
C’est magnifique un ciel pommelé "juste comme il faut"… mais ces nuages sont dits pré-orageux.
"Barbes de chat aux nuages annoncent de vent grands tapages"
Je ne connais pas assez la barbe du félin pour comprendre l’allusion, mais pour un nuage cela signifie qu’il présente des filaments, des bavures. Autrement dit qu’il subit les effets du vent en altitude. Il faut alors observer la direction que prennent ces nuages. S’ils viennent vers nous, il y a toutes les chances pour que nous subissions bientôt ce vent qui se rapprochera de la surface avec l’arrivée d’une perturbation.
"Dans un coup de vent de suroît, veille l'aube et la saute au noroît"
Tellement classique, ce passage de front, que l’on se demande à quelle nécessité répond ce dicton. Peut-être simplement, que dans la grosse fatigue qu’occasionne un coup de vent, se rappeler la promesse aide à tenir. Et l’on sait qu’aussi sûrement que l’aube arrivera après la nuit, le noroît arrivera après le suroît… peut-être pas toujours aussi rapidement qu’espéré.
Dictons qui prescrivent :
Soleil en haubans dans le couchant, marin prépare ton caban"
Les haubans, ce sont ces averses éclairées par le soleil rasant. Dans le couchant, dans l’ouest… il y a toutes les chances qu’elles arrivent vers nous, accompagnées d’air plus frais. En mer il faut toujours se couvrir avant d’avoir froid. Anticipons.
"Ciel maquerellé et queues de juments feront serrer de la toile aux vaisseaux les plus grands"
Voilà une description difficile à comprendre. J’y vois un ciel d’entremise, à travers lequel les rayons solaires parviennent à filtrer par des trouées de cumulonimbus, un ciel violenté où le sommet des nuages s’effiloche en cirrus ressemblant à des queues ou des crinières de juments. En tout cas la vision est caractéristique du grain dont il faut se méfier. Mieux vaut réduire la surface de voile avant qu’il ne nous tombe dessus.
"Temps chargé de vapeur au matin, vers dix heures venu serein, perroquets et royaux seront hauts"
S’il est indispensable d’anticiper le grand vent, il est pas mal aussi de voir venir la belle journée. La vapeur du matin, ou brume de fin de nuit, caractérise une atmosphère stable et peu ventée. Si ces conditions persistent en milieu de matinée, c’est que le BON TEMPS est bien installé. On peut alors envoyer tout dessus. A hisser les perroquets, mâts que l’on porte au-dessus des grands mâts et mâts de misaine, et les royaux ou cacatois qui sont les voiles les plus hautes.
J’apprécie ce bon usage du dicton météo qui ne fait pas de pari sur un avenir trop lointain. Les maximes que le marin a retenues pour guider sa conduite sont basées sur l’observation. Le marin prend des décisions de court terme. Il n’a pas, comme le paysan, le souci d’une lointaine récolte qui justifie un répertoire construit sur le calendrier.
Le marin n’est pas sensible au fait que si Noël se passe au balcon, Pâque se passera au tison. Son horizon à lui, c’est la prochaine saute de vent.
Mais le marin a aussi ses points faibles. Par exemple, quand il se réfugie derrière le " qui trop écoute la météo, reste au bistrot ". On n’écoute jamais trop la météo, mais on peut le faire du large pour prendre à temps les bonnes décisions. Et puis il y a un réel plaisir à croiser son observation avec le bulletin météo et s’expliquer le dicton le plus approprié.