
Le 13 avril 1996, les deux compères ont bien quelques certitudes. Alain Gautier, après avoir brillé en Figaro au temps du half-tonner (victoire en 1989) est le vainqueur du second Vendée Globe en 1992-1993. Jimmy Pahun, lui est un homme d’équipage, un leader de bande. Un régatier plus qu’un coureur au large, aux succès déjà multiples du Spi Ouest France (10 victoires à ce jour) au Tour de France à la Voile, sa grande spécialité. Mais ils ont aussi un bateau à apprivoiser et dix-huit duos redoutables qui n’ont aucune intention de s’en laisser compter le 13 avril 1996 sur la ligne de départ. Ils sont tous là, Michel Desjoyeaux et Rolland Jourdain, Jean Le Cam et Florence Arthaud, Franck Cammas et Jean-Luc Nélias, Serge Madec et Marc Guillemot, ou encore Jacques Caraës et Bruno Jourdren pour ne citer que les plus célèbres. Liste à laquelle il convient d’ajouter les frères Philippe et Luc Poupon, qui jouent un sacré bon coup météo le long des côtes Portugaises et s’échappent pour remporter la première étape. Car oui, au siècle dernier, les marins font escale à Madère. Et ils en repartent, non pas tous ensemble en même temps, mais précisément 84 heures après leur arrivée, afin que le premier de l’autre côté de l’Atlantique soit déclaré vainqueur de l’épreuve sans le moindre calcul.
Déjà l’option Nord !
Arrivés sixièmes avec 4h19 de retard sur les leaders, 2h derrière les cadors de la classe, des écarts énormes en monotype Figaro, les chevaliers de « Brocéliande », leur sponsor, sont dans le dur. Mais seulement le tiers de la course a été parcouru, alors qui sait ? Les deux compères sont le symbole de ce qu’une course en double se gagne dans la complémentarité, peut se nourrit dans les contraires. Le grand (1,95 m) Jimmy fait mentir les mauvaises langues dans les dures conditions rencontrées après Madère. Il se bat, s’accroche, se fait mal, jusqu’à 14 heures par jour à la barre physique de ce mono-safran. Le « petit » (1,67 m) mais fin stratège météo « Gaugau », les envoie dans le dur, au près, sur une route Nord, vers le centre de la dépression, avec des vents jusqu’à 40 nœuds. Alors que les Poupon font le grand tour par le Sud à la recherche des Alizés, la route Nord est qualifiée alors de « pragmatique » par Éric Mas de METEO CONSULT. Elle s’avèrera surtout payante sur le long terme. Car il fallait y croire quand ils comptaient jusqu’à 49 milles nautiques de retard sur la tête de la flotte emmenée alors par un certain Franck Cammas. Mais avec la rotation du vent et l’éclosion des spis, le duo du Morbihan accélère, bat des records - 223 milles en 24h - et glisse au Nord de l’armée de Finistériens du Sud, pourtant réputée invincible. Au petit matin de leur 25ème jour de mer, ils devancent le duo Le Cam / Arthaud d’une bonne heure dans la baie de Gustavia. L’association aussi amicale que dissemblable a réussi son pari et ravi son sponsor, Jean Tanguy, PDG de Brocéliande, de cette belle opération médiatique à coût raisonnable.
Deux personnages, deux parcours…
Car quand il s’agit de communiquer, les deux compères ne sont pas moins bons qu’à la barre. L’humour et la gouaille de Jimmy, les analyses précises d’Alain font le miel des journalistes présents et présageaient certainement de leur avenir. Jimmy continue à naviguer bien sûr mais passe aussi derrière le micro, pour Canal+ aux Jeux Olympiques notamment. Il anime avec son talent de bateleur, debout derrière le comptoir, une émission qu’aucun passionné de Course Au Large ne pouvait manquer, le fameux « Café de la Marine » installé dans les entrailles de la Cité de la Voile Éric Tabarly à Lorient. D’abord investi localement dans sa commune de Port Louis, sa verve mène en 2017 l’autodidacte sans diplôme jusqu’au Palais Bourbon… Député du Morbihan ! Il en faut du talent pour tirer les bons bords dans un monde politique où les changements de vent sont réputés violents et l’adversité beaucoup moins fairplay que sur l’eau. Alain Gautier lui, ne s’est pas éloigné des plans d’eau. Ténor de la défunte classe des trimarans Orma à la barre de Foncia, il se découvre une âme de team manager et de coach de talent auprès d’Ellen McArthur. Une fonction qu’il occupe aujourd’hui au sein du Team MACSF, suivant au plus près le parcours en Imoca de la jeune Isabelle Joschke. Les terrasses étant de nouveau ouvertes, on retrouverait bien les deux « garçons » le temps de quelques cafés pour « refaire le monde » comme disait Jimmy dans son émission.
