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« Everest des mers », l’expression pourrait paraître galvaudée tant elle a été utilisée. Mais se confronter aux mers du Sud et à leurs vents violents, seul sur un multicoque poussé à fond en mode compétition, mérite sans doute plus que tout autre l’appellation. Le départ déjà, à la pointe Bretagne, au cœur de l’hiver pour des raisons météorologiques, est forcément musclé si on veut atteindre l’équateur rapidement. Si le passage de la Zone de Convergence Intertropicale (ZCIT) plus connue sous le nom familier de Pot au Noir est plus agréable en termes de températures, les vents erratiques et les grains capricieux qui caractérisent cette région mettent les nerfs du marin à rude épreuve. La descente, souvent assez à l’Ouest de l’Atlantique Sud, le long des côtes Brésiliennes pour échapper à l’anticyclone de Sainte Hélène est peut-être le passage le moins stressant, même s’il faut rester vigilant pour choisir le bon moment avant de modifier sa route vers l’Est. Une fois attrapé une des nombreuses dépressions qui tournent autour de l’Antarctique il s’agit de rester devant le plus longtemps possible, pour passer le cap de Bonne Espérance d’abord, puis Leeuwin ensuite. Lors d’un record, les marins sont libres de leur route et peuvent couper au plus court en descendant très bas en latitude. En course, pour limiter les risques de rencontre avec des glaces dérivantes, les organisateurs posent désormais des « limites de glace » en-deçà desquelles les skippers ne doivent pas s’aventurer. Mais au niveau du très redouté Cap Horn, aucune alternative possible, le passage se situe par 56 degrés Sud. Une fois revenu dans l’Atlantique, la pression souvent retombe, pourtant le parcours est loin d’être terminé et sera semé d’embuches jusqu’au bout, puisque les dépressions hivernales balaient encore l’Europe.

Ils ne sont qu’une poignée
Pour remporter l’Arkéa Ultim Challenge Brest, comme pour battre le record absolu il ne faudra un enchaînement météorologique parfait et ne pas faire escale. Seuls quatre navigateurs ont réussi l’exploit de tourner autour de la planète en multicoque sans s’arrêter. Le détenteur du record François Gabart donc, en 42 jours, 16 heures et 40 minutes qui a effacé des tablettes l’opiniâtre Thomas Coville (49 jours en 2016), la Britannique Ellen MacArthur (71 jours en 2005) et le légendaire Francis Joyon (72 jours en 2004). Mais le premier temps de référence en multicoque est bien à mettre au crédit de l’iconoclaste et regretté Alain Colas qui en 1973 avait 169 jours pour faire le tour. Il avait réalisé une escale mais son fidèle Manureva ex Pen Duick IV est entré dans la légende. En 1988 Philippe Monnet améliore le temps de 40 jours malgré ses deux escales (en Afrique du Sud et en Nouvelle Zélande) sur son trimaran Kriter, un trimaran de 60 pieds qui était passé entre les mains d’Olivier de Kersauson. Son record ne tiendra qu’un an puisque ce même Olivier de Kersauson, qui s’est arrêté deux fois lui aussi (à Cape Town et à Mar Del Plata), ne mettait que 125 jours pour revenir à Brest sur « Un autre regard ». Tout de rose vêtu, le très élégant plan VPLP construit chez CDK entre dans la légende et il y restera longtemps. Le bateau de 25m ne pesait à l’époque que 10.5 tonnes, à rapporter aux 15 tonnes pour 32 mètres des Ultims actuels.
Rendez-vous en 2024
Pour connaître, peut-être, le successeur de ces marins déjà entrés au panthéon de la voile, il faudra patienter jusqu’en 2024. Le départ de l’Arkéa Ultim Challenge – Brest est prévu le 7 janvier 2024. Tous les bateaux de la classe Ultims devraient être au départ, soit à ce jour : Gitana, Sodebo, Banque Populaire, Ultim Sailing (loué par Eric Péron) et Actual. Comme vient de l’annoncer Yves Le Blevec, c’est Anthony Marchand qui sera à la barre. Est-ce que le trimaran SVR-Lazartigue aura résolu son conflit avec la classe et sera au départ ? Est-ce que François Gabart sera à la barre ? Il faudra attendre pour savoir…