
Il a hésité, s’est posé 1000 questions, a échafaudé autant d’hypothèses mais, la mort dans l’âme, celui qui menait la course depuis le cap Finistère s’est résolu à incurver sa route vers le Nord en vue d’une escale technique, avant de passer le fameux cap Horn. Il avait déjà effectué 70% de son tour du monde et pouvait compter sur un solide matelas de 1 200 milles d’avance sur ses poursuivants, Simon Curwen semblait intouchable. Hélas, l’axe entre l’aérien et la partie immergée de son régulateur d’allures s’est brisé vendredi dernier. Il n’en possède pas de rechange à bord, et cette pièce indispensable au seul équipement lui permettant de barrer à sa place, n’est pas réparable en mer. Avec les conditions météo extrêmes qui règnent par ces latitudes septentrionales, la raison et la sécurité l’ont emporté. Simon n’arrivait tout simplement plus à faire avancer son Biscay 36 dans la bonne direction et outre le fait que la route du Horn était risquée pour lui, il a également eu la clairvoyance de penser qu’elle serait également dangereuse pour des sauveteurs éventuellement envoyés à son secours en cas de gros souci. Plusieurs ports Chiliens sont susceptibles d’accueillir le skipper Britannique qui devrait repartir ensuite dans la classe moins prestigieuse dite « Chichester », soit celle des voiliers ayant effectué une escale lors de leur circumnavigation. Il ne répètera donc pas cette année l’exploit de son héros, Sir Robin Knox Johnston qui en 1968, dans l’épreuve originelle si mythique, avait mené son Suhaili à la victoire, malgré lui aussi une panne de régulateur d’allure qui l’avait pénalisé sur toute la dernière partie du voyage. Mais le gréement de ketch de son voilier était indéniablement plus facile à équilibrer sans pilote, que celui du cotre de Simon Curwen.
La Sud-Africaine fait désormais la course en tête - © Kirsten Neuschäfer - GGR

S'il n'en reste qu'une
Des 15 hommes et une femme partis il y a maintenant 149 jours des Sables d’Olonne, il n’en reste donc plus que quatre à ne pas avoir prévu ou déjà fait escale, ce qui rend bien compte à la fois de l’extrême difficulté de la Golden Globe Race, et encore plus de l’exploit exceptionnel réalisé en 1968 par les pionniers, Sir Robin Knox Johnston en tête et Bernard Moitessier hors classement. A l’époque, neuf skippers avaient pris le départ et un seul a terminé, Knox Johnston donc. En 2018, 18 marins ont pris le départ et seulement cinq ont réussi à boucler leur tour, le célèbre VDH l’emportant. Il reste encore plus de 9 000 milles nautique à parcourir à la promo 2022-2023 avant d’entrer à nouveau dans le chenal des Sables d’Olonne et tout peut arriver, mais en attendant, une femme extraordinaire prend la tête de la course et pourrait à son tour réaliser un magnifique exploit. Alors que Kirsten Neuschäfer s’avouait quelque peu résignée ces dernières semaines en constatant l’avance prise par Simon Curwen et l’impossibilité de prendre la route optimale du fait de la présence de la zone de glaces interdite à la navigation, la Sud-Africaine se retrouve en ce premier jour de février leader de la course. Elle ne doit pas regretter d’avoir plongé trois fois la semaine dernière, passant au total 8 heures dans l’eau glacée pour retirer les berniques qui s’étaient accumulées sur sa coque. Elle dispose ainsi d’un bateau au top de son potentiel et cette semaine tout lui sourit puisqu’elle a réalisé la meilleure distance sur 24 heures avec 185,6 milles, mais aussi le meilleur cumul hebdomadaire avec 1129,5 milles. Cela lui a permis de rattraper, puis de doubler, Abhilash Tomy, prenant ainsi la tête de la Golden Globe Race !
Le bateau d'Abhilash lors de la Goden Globe Race 2018© GGR - DR

L'Atlantique en juge de paix ?
Il faut dire que le skipper Indien a dû se mettre au repos pour ménager un organisme fatigué par plus de quatre mois passés en mer déjà. Gravement blessé lors de l’édition de 2018 lorsque son bateau s’était retourné et avait démâté dans l’Océan Indien, Abhilash Tomy avait dû ensuite subir une lourde opération chirurgicale, et mis longtemps avant de pouvoir marcher à nouveau et même à naviguer. Une chute sur le dos la semaine passée et de longues heures de barre dans la tempête, ont réveillé de terribles douleurs dorsales. Les médecins officiels de la course lui ont conseillé de se reposer et de se soigner pendant quelques jours avant de s'occuper de la longue liste de réparations à effectuer à bord de son voilier puis de plonger au Sud vers le Horn. Au menu notamment la réparation du gréement dormant et du rail de grand-voile. Il ne demande aucune assistance, juste un peu de temps. Kirsten Neuschäfer en a profité pour glisser au Sud en direction du Cap Horn et lui ravir la tête du classement, mais nul doute qu’une fois rétabli Abhilash Tomy reviendra la défier sur l'Atlantique. Le duel est donc probablement loin d’être fini !