Tissés par les vents, liés par la mer : le récit des solitaires

Par Figaronautisme.com

En ce dernier jour de 2024, notre groupe d’élite continue de progresser dans ce monde déchiré par les vents, le rebroussant parfois pour mieux remonter vers leur point d’origine. « Nous sommes faits de l'étoffe dont sont tissés les vents », écrivait Alain Damasio dans son chef d’œuvre de science-fiction, qui n’est pas sans rappeler le quotidien de nos 35 solitaires encore en course, qui luttent autant qu’ils se soutiennent mutuellement.



Si vous êtes novice en matière de science-fiction mais que vous aimez suivre le Vendée Globe, on ne peut que vous conseiller de vous aventurer dans l’univers d’Alain Damasio, tant on a souvent l’impression de retrouver dans nos marins un peu des personnages de ses livres. Quelle meilleure définition en effet de cet incroyable tour du monde sans escale et sans assistance que cette phrase tirée de Le Horde du Contrevent : « La folie n'est plus folle, dès qu'elle est collective. Je crois que j’aurais pu faire n’importe quoi, le plus absurde, tant que nous le ferions ensemble ; ensemble, je sentais la puissance de chacun, physique et mentale, j’avais confiance en nous, et j’éprouvais cette profondeur du lien qui nous cousait à même la vague. »

Cousus à même la vague, c’est littéralement toujours la désagréable sensation qu’expérimentent toujours les deux leaders de la flotte, qui continuent d’évoluer dans les petits airs instables au large du Cabo Frio brésilien. Mais changement de taille, c’est Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) qui a repris en fin de journée la tête de flotte à Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA, 2e), visiblement moins bien loti au tirage de la loterie. Si le Havrais pointe au petit matin avec une vingtaine de milles d’avance sur son dauphin, nul doute qu’il garde la tête bien plus froide que l’océan qui se réchauffe à vue de foil, tant les écarts dans cette contrée se font et se défont en un claquement de voile. « Le hasard est un allié aussi fugitif que mortel. Il te tue avec la même facilité qu'il te sauve », écrivait fort à propos Alain Damasio, qui aurait pu être inspiré par ce mano a mano sans decrescendo. Etait-ce bien Talweg, le géomaître de la Horde, qui disait : « Ce sera insoutenable très vite mais faites face, toujours ! » ?

« On ne fait pas la même course »
Bien conscient de cette réalité, Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e), qui n’a cessé de reprendre du terrain sur ses deux prédécesseurs, gardait lui aussi les pieds sur le pont… Dans la nuit, il nous racontait :
"Honnêtement, je ne regarde pas trop ce qui va se passer par la suite en termes de position par rapport aux leaders, parce qu’on ne fait pas la même course. Je suis très content d’être revenu à 260 milles d’eux, mais je les vois bien repartir une petite journée avant moi. C’est un peu l’effet d’élastique qui se resserre et se desserre ensuite. Ce sera pareil pour Thomas ensuite, il va revenir au fur et à mesure, je pense qu’il va me grappiller 300-400 milles et l’élastique va s’étirer à nouveau quand je serai dans les alizés ! Tout ce que je souhaite c’est rester concentré sur ma trajectoire et ma vitesse pour mieux me tirer de là ! " Sébastien Simon du Groupe Dubreuil.

Effectivement, dans ce petit vent léger que certains appelleraient zéfirine ou slamino, il faut continuer à avancer, sans se déconcentrer. Mais en profitant tout de même de l’accalmie, après cinquante jours de furie. Alors le skipper vendéen s’amuse d’avoir pu regoûter au plaisir simple, mais ô combien précieux olfactivement…

"J’ai pu prendre une douche après plus d’un mois, ça fait un bien fou, c’est incroyable la vitesse à laquelle les choses ont changé, en deux jours… Déjà la nuit dernière j’ai eu chaud alors que celle d’avant il faisait encore froid, tout a changé hyper vite, c’est impressionnant !" Sébastien Simon du Groupe Dubreuil.

Voilà de quoi garder le moral avant la quinzaine de sprint final, puisqu’on le sait les marins du Vendée Globe sont aussi des « braconniers du ciel : nous prenons chaque saison davantage la couleur de ce qui nous traverse ».
Du bleu, voire même du turquoise ! Cela semble en effet bien plus coloré plus au Sud, même s'ils sont actuellement dans un puissant et douloureux contrevent - 25 noeuds au près tout de même... Si Paul Meilhat (Biotherm, 5e) a réussi à prendre la tête du petit groupe de fous furieux au-dessus des Malouines, la lutte est acharnée et, on l’imagine, aussi étouffante que galvanisante. « J’ai besoin de cette énergie fluante du groupe, de sentir les tensions et les fusions qui nous traversent, chacun et tous, dit l’un des membres de la Horde. J’ai besoin de me sentir noué dans la pelote de nos fils. » Cette fois, ils en sont même pour un bon sac de nœuds, avec seulement 23 milles d’écart entre Sam Goodchild (VULNERABLE, 6e) et Justine Mettraux (Teamwork – TEAM SNEF, 10e) !

Bien arrivé à Ushuaïa, le temps doit être à la peine pour Yannick Bestaven (Maître CoQ V), contraint à l’abandon après son passage du Cap Horn. Mais « savoir renoncer est parfois un plus haut signe de grandeur que de s'entêter dans l'absurde ». S’il parvient avec son équipe à réparer tous ses tracas, il l’a dit : il repartira ! Et c'est tout le mal qu'on lui souhaite, pour avoir le plaisir bien mérité, aux Sables d'Olonne, de lui faire sa fête...

Derrière, eux espèrent ne pas s’arrêter… Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 11e) et Benjamin Dutreux (Guyot Environnement – Water Family, 12e) sont en effet en approche de la pointe sud-américaine, véritable massif des Malachites, après une dépression qui les a bien secoués. Toujours flashés à plus de 20 nœuds de moyenne, ils ne doivent pas avoir le temps de trop réfléchir… « Ceux qui vous disent « pendant la vague j’ai pensé à ceci et à cela » mentent. Quand elle passe, tu ne penses plus. Tu oublies ce que tu voulais faire, rêvais d’être, croyais pouvoir. Le corps seul répond.(…) Juste tenir. »

Mais juste devant eux se tient désormais une belle barrière bleu nuit, sans la moindre once de vent, qui fait les affaires de Samantha Davis (Initiatives-Cœur, 13e). La Britannique espère ainsi rattraper sa mini-horde pour retrouver un peu de quoi s’amuser… « La maturité de l'homme est d'avoir retrouvé le sérieux qu'on avait au jeu quand on était enfant » !

« Après 50 jours de course, je me sens bien »
S’il y en a bien qui s’amusent, même s’ils sont loin d’être en croisière, c’est ceux du peloton qui ont le point Nemo dans le radar ! De Benjamin Ferré (Monnoyeur – Duo For a Job, 20e) à Guirec Soudée (Freelance.com, 29e), on n’em finit plus de recevoir des cartes postales de leurs croisements ! C’est bien simple nous disait Sébastien Marsset (Foussier, 22e), « je n’ai pas beaucoup de temps pour moi, ça fait longtemps que je n’ai pas pu prendre mon livre ou faire une grille de mots fléchés » !

Une situation qui ravit Kojiro Shiraishi (DMG Mori Global One, 27e), qui nous partageait sa joie d’être en si bonne compagnie :

"Après 50 jours de course, je me sens bien, je n’ai plus d’aphtes, donc ça c’est une bonne chose ! Je suis un peu fatigué mais je me sens bien, le bateau va bien aussi, donc pas de souci ! Ces derniers jours j’ai rattrapé un peu les bateaux devant moi, j’avais des conditions assez particulières et meilleures pour les foilers, je vais avoir moins de vent bientôt et je serai peut-être moins performant, mais j’espère continuer comme ça avec tous les bateaux autour de moi !" Kojiro Shiraishi de DMG MORI Global One.

Si leurs logiciels leur permettent désormais d’envisager le Cap Horn d’ici huit jours, d’autres plus loin ont encore bien du chemin avant la pointe symbolique. Mais tous devraient bientôt atteindre le Pacifique, puisque Denis Van Weynbergh (D’Ieteren Group, 35e) avance maintenant sous la Tasmanie… Peu importe au final leur géographie actuelle, la suite, comme nous l'expliquait Sébastien Simon, reste de toutes façons par définition un peu obscure :
"J’ai tenté de faire des routages mais ça bouge encore beaucoup donc je croise le doigt pour avoir le plus de tribord possible, maintenant je prendrai ce qu’il y aura et c’est pour ça aussi que c’est important de conserver les écarts maintenant, pour éviter de me faire avoir par la suite !" Sébastien Simon du Groupe Dubreuil.

« Qu'importe où nous allons, honnêtement. Je ne le cache pas. De moins en moins. Qu'importe ce qu'il y a au bout. Ce qui vaut, ce qui restera n'est pas le nombre de cols de haute altitude que nous passerons vivants. N'est pas l'emplacement où nous finirons par planter notre oriflamme, au milieu d'un champ de neige ou au sommet d'un dernier pic dont on ne pourra plus jamais redescendre. N'est plus de savoir combien de kilomètres en amont du drapeau de nos parents nous nous écroulerons ! Je m'en fiche ! Ce qui restera est une certaine qualité d'amitié, architecturée par l'estime. » La leur, entre eux, et la nôtre, assurément. Furvent, ceux qui vont mûrir te saluent !

Retrouvez chaque jour notre analyse météo de la course avec METEO CONSULT Marine dans notre dossier spécial Vendée Globe et suivez les skippers en direct grâce à la cartographie.

Diaporama
Bateau Maître CoQ V skipper Yannick Bestaven (FRA) arrivant à Ushuaia, Argentine, après avoir abandonné la course à la voile du
Photo envoyée depuis le bateau TeamWork - Team Snef lors de la course à la voile du Vendée Globe, le 30 décembre 2024. (Photo du
Photo envoyée depuis le bateau Fives Group - Lantana Environnement lors de la course à la voile du Vendée Globe le 30 décembre 2
L'équipe
Nathalie Moreau
Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Gilles Chiorri
Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
Il collabore avec les équipes de METEO CONSULT et Figaro Nautisme depuis plus de 20 ans.
Sophie Savant-Ros
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Sophie Savant-Ros
Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
Albert Brel
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Albert Brel
Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
Jean-Christophe Guillaumin
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
Max Billac
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Max est tombé dedans quand il était petit ! Il a beaucoup navigué avec ses parents, aussi bien en voilier qu'en bateau moteur le long des côtes européennes mais pas que ! Avec quelques transatlantiques à son actif, il se passionne pour le monde du nautisme sous toutes ses formes. Il aime analyser le monde qui l'entoure et collabore avec Figaro Nautisme régulièrement.
Denis Chabassière
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
Michel Ulrich
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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