Saint-Pierre : la ville du vent de La Réunion
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A l’origine il était d’une petite rade paisible, à l’embouchure de la rivière d’Abord. Elle a immédiatement séduit les premiers arrivants, au début du XVIIIème siècle. La prospérité apportée par la culture de la canne à sucre a longtemps fait espérer l’établissement d’un vrai port de commerce qui viendrait rivaliser avec le port du Nord, dit de la Pointe des Galets. Le XXème siècle a eu raison de cette ambition et c’est aujourd’hui un port de plaisance moderne qui participe à l’ambiance station balnéaire de la ville, qui tient elle-même son nom de son premier gouverneur : Pierre Benoît Dumas.
Si l’entrée du port se fait toujours dans l’axe de la rivière d’Abord, son approche demande un minimum d’attention. Il faut d’abord viser plein Nord* pour se tenir éloigné des rouleaux de la longue houle qui déferlent dans l’ouest. Surtout ne pas se laisser distraire par les quelques surfeurs impétueux qui semblent braver aussi bien la hauteur des vagues que le risque requin. Portés par l’alizé, les embruns recouvrent tout le littoral d’un brouillard humide et salé. Agréable comme un brumisateur quand on ne fait que passer, il est terrible pour tout ce qui ressemble de près ou de loin à du métal, et rend tout travail de peinture extérieure sur un bateau totalement vain.
Une fois l’entrée ouverte sur votre tribord, il s’agit de bien arrondir la jetée Est et les rochers affleurants qui lui lèchent les pieds, avant d’entamer le droite-gauche en chicane qui vous mènera définitivement à l’abri du port. Attention, le tirant-d’eau est limité autour de 2 mètres selon les conditions barométriques et les derniers évènements climatiques. Une semaine après le passage du cyclone Batsiraï, ses importantes précipitations ont drainé la rivière et encombré encore un peu plus le chenal. Les monocoques avec 1m90 de tirant d’eau qui sortaient en gitant, doivent encore s’armer de patience. Les quelques multicoques présents eux n’ont pas ce souci. C’est le cas d’Eric et de sonjoli plan Briand, un trimaran de 42 pieds calant seulement 80 cm sous la flottaison. Il l’a ramené du Brésil en solitaire et en seulement 26 jours. Pour ressortir, il devra cependant tenir compte lui aussi du marnage, qui peut aller jusqu’à 1 mètre, mais varie plus souvent entre 60 et 80 cm.
Dans le prolongement de la capitainerie qui, sur tribord surplombe le bassin, un quai longe la ville et donne l’ambiance avec ses multiples restaurants. De l’autre côté 4 grands pontons peuvent accueillir jusqu’à 400 bateaux. La grande majorité d’entre eux est constituée de barques de pêche de 6 à 8mètres, mais une véritable activité plaisance co-existe. En début d’après-midi, le First Class 8 rouge et blanc de l’école de voile disparaissait entre chaque train de houle. Les 10 à 15 nœuds d’alizés lui permettent d’allonger la foulée malgré tout. La zone technique qui occupe les suqias Nord et Sud est équipée d’un travel-lift de 20 tonnes. Quelques jolis monocoques de grand voyage ont d’ailleurs établi leurs quartiers ici pour un temps encore indéterminé. Il faut dire que l’endroit forme un excellent havre de repos après un passage du cap de Bonne Espérance, moment toujours un peu stressant lors d’un tour du monde d’Ouest en Est. Mais dans l’autre sens, le port réunionnais peut aussi s’avérer une salvatrice respiration après une longue traversée de l’Océan Indien depuis l’Australie, avant de sauter le pas pour rejoindre l’Afrique du Sud, et son redouté cap des Aiguilles. Durban est à moins de 1500 milles, mais Cape Town, paradis des plaisanciers avec ses nombreux chantiers et voileries est à près de 2 200 milles. Plus proche voisin, l’île Maurice est à seulement 132 milles plus au Nord. Quant aux Seychelles, distantes de moins de 1000 milles, 982 exactement, elles constituaient une escale paradisiaque de choix lorsqu’un retour vers l’Europe via la Mer Rouge n’était pas aussi déconseillé.
Une fois bien amarré, la ville s’offre à vous avec deux rives, deux ambiances. A l’Ouest de la rivière d’Abord, les commerces, les restaurants, les hôtels… Tout au bout de la plage, à seulement 20 minutes à pied depuis le port, il ne faut pas manquer, l’un des marchés forains les plus réputés de l’île. Avant même 6h, « grand matin » comme disent les réunionnais, les étals de fruits et de légumes sont pris d’assaut. Les artisans et autres vendeurs de souvenirs sont encore en cours d’installation, le touriste n’est pas aussi matinal que les locaux. Il a tort car la chaleur monte vite et l’ambiance matutinale est inégalable. Sur l’autre rive, le vieux quartier de Terre Sainte, se cache derrière ses immenses bagnans qui balancent leurs racines-lianes dans l’eau. Il faut se promener dans les ruelles, monter le chemin de croix qui s’y cache. Pêcheurs et familles de pêcheurs s’y recueillent depuis des générations. Le port s’y révèle dans le soleil couchant, flouté par son halo d’embruns, plus paisible que jamais, comme loin de l’agitation de la ville qui n’est pourtant que quelques mètres plus bas. Mystique.
*Seules font loi les INSTRUCTIONS NAUTIQUES du Service Hydrographique