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« Une semaine de bateau vaut trois mois de rééducation ». Ces mots de Jean-Michel Bernard, fondateur de Cap Handi résonnent fort. L’association rochelaise mène des programmes hauturiers à bord de Sochris Nine, un First 40.7 aménagé. Quatre sièges-baquets sont installés dans le cockpit, « avec une sangle on peut être en contre-gîte et participer aux manœuvres. À l’intérieur, on se déplace sur les fesses à l’aide de mains-courantes… » Cap Handi est née dans le sillage du skipper Christophe Souchaud, inscrit sur la Route du Rhum 2014 avec son projet « Rhum solitaire- Rhum solidaire ». C’est le convoyage du retour, organisé en équipage mixte handicapés-valides, qui a fait émerger l’association.
Olivia Wattine a beaucoup navigué avec Cap Handi. Voici trois ans, elle a lancé Estrella lab sur son voilier de 18 mètres. « Les deux projets sont différents et complémentaires », explique-t-elle depuis les Canaries où elle teste un dispositif de plongée sous-marine. « Le bateau est en préparation, c’est un laboratoire. » A termes, Estrella lab envisage des expéditions lointaines vers les pôles. Outre la navigation hauturière, elle proposera des activités sportives adaptées comme la plongée ou le wave-ski.
Les ports et la FFV au diapason
Équiper les bateaux, organiser des séjours c’est bien. Encore faut-il que les infrastructures suivent. « Le port de Roscoff Bloscon a été exemplaire en matière d’accessibilité car il a intégré ces enjeux dès sa construction, indique Guillaume Nardin, délégué général de la Fédération Française des Ports de Plaisance. Tout a été pensé, de la capitainerie avec bornes d’accueil aux espaces sanitaires, cheminement piéton, éclairage du port, accès aux pontons… » Afin de généraliser la démarche, la FFPP a édité un guide d’accessibilité en 2016 (à retrouver ici).
« La Fédération Française de Voile soutient la pratique inclusive depuis trente ans, assure Paul-Adrien Cuvillier, chargé de mission. Naviguer est l’une des rares disciplines qui offrent une autonomie à tous les types de handicaps. » Sur les 12 millions de Français concernés, la majorité s’adapte bien aux bateaux classiques. Pour les autres, les progrès techniques ouvrent les portes. « L’application SARA permet par exemple aux déficients visuels de se repérer en donnant des indications sonores. » C’est aussi un sport qui peut se pratiquer en inclusion. « Avec des embarcations comme le Miniji ou le Hansa, handis et valides concourent ensemble. » La semaine nationale de voile handivalide de la FFV aura lieu du 10 au 18 juin prochain partout en France.
« Tenir la barre c’est tellement symbolique »
Guillem Texier, le président du Comité départemental de Sport Adapté en Charente-Maritime, croit beaucoup en la voile pour travailler l’autonomie des personnes atteintes de handicap mental. « Nous sommes le seul département à la proposer. La voile déclenche des situations de prise de confiance chez des personnes constamment assistées. C’est un moyen magique ! » Le comité développe l’offre depuis plus de dix ans. Grâce à ses soutiens, elle a acquis un First 38 et organise des séjours de 2 à 3 nuits. Le président glisse : « Nous sommes aussi allés voir des propriétaires et leur avons proposé de prêter leur bateau pour des sorties encadrées avec des personnes handicapées. » Quelques-uns se sont engagés, la démarche est gratifiante pour tous.
Face à l’exclusion
L’association Ocean Peak Project de Marta Guemes noue elle-aussi des partenariats avec des bateaux « chargés d’histoire » si possible. Son objet est de réinsérer des jeunes de 13 à 18 ans en rupture avec la société. « Oui on peut considérer qu’ils sont atteints d’un handicap social qui les tient éloignés du monde. » La structure, fondée en 2017, dispose d’un agrément d’Aide sociale à l’enfance et propose des voyages de 15 jours mi-hauturiers pour 4 jeunes encadrés par 4 adultes. A bord, les marins en herbe découvrent et acceptent un cadre pour la première fois, prennent des responsabilités, doivent faire confiance, confrontent leur sentiment de toute-puissance à la nature sauvage… « Parfois les couteaux volent à bord, admet Marta en souriant, mais il est réjouissant de voir un gamin qui n’a pas eu de chance dans la vie avec un grand sourire, qui veut faire le tour du monde, devenir capitaine… ».