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On la surnommait le « Petit Paris » ou le « Paris des Isles ». Au début du XXe siècle, la ville de Saint-Pierre de la Martinique rayonnait dans toutes les Antilles ; on admirait ses demeures en pierres, son Jardin des Plantes, on profitait de son théâtre et de ses rhumeries, la ville possédait un tramway (hippomobile) et son port était l'un des plus prospères des îles de l'arc antillais. Saint-Pierre était une escale de choix dans la traversée de l'Atlantique. Jusqu'au matin du 8 mai 1902.
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Un drame prévisible
La catastrophe était annoncée. Depuis plusieurs semaines déjà, le volcan signalait son réveil (fumerolles permanentes, détonations régulières, pluies et nuages de cendres au-dessus de la ville, mini-séismes et rupture des câbles télégraphiques sous-marins). Le 5 mai, l'usine Guérin est ensevelie par une coulée de bouée volcanique (un lahar) : 23 victimes sont à déplorer. Pourtant les autorités continuent de se montrer rassurantes (davantage préoccupées par les élections législatives, dont le premier tour s'est déroulé le 27 avril ; le second doit avoir lieu le 11 mai). Décision est même prise de ne pas faire évacuer la ville et d'interdire l'appareillage des navires au mouillage. Mais au matin du 8 mai, peu avant 8 heures, alors que les cloches de la cathédrale de Saint-Pierre appellent les fidèles à célébrer l'Ascension, une violente explosion se produit dans le cratère sommital de la Pelée ; un énorme panache noir s'élève à plus de 4 km au-dessus du volcan… La nuée ardente qui déferlera sur la ville à plusieurs centaines de kilomètres / heure rasera tout sur son passage et finira sa course au large, à plus de 1 500 m du rivage, incendiant les navires ancrés dans la rade. En quelques minutes, la plus grande ville de la Martinique n'existe plus et ses quelque 30 000 habitants (et réfugiés des communes alentour) sont morts (3 survivants seulement). Dans la baie, une quinzaine de navires a coulé, emportant avec eux leurs passagers.
Les stars de la baie
Les épaves du Roraïma et du Tayama sont désormais les plus célèbres de la baie, la première pour son histoire et aujourd'hui son gigantisme sous les flots, la seconde pour sa profondeur et l'engagement qu'elle demande à ses visiteurs ; posée par -85 m, elle ne se dévoile qu'aux plongeurs équipés de mélanges gazeux spécifiques, autres que l'air.
Le Roraïma arriva dans la baie de Saint-Pierre le jour de la catastrophe, deux heures seulement avant que la montagne Pelée ne crache sa nuée ardente. Le cargo à vapeur de la Quebec Steamship Company assurait la liaison depuis New York. Son capitaine eut bien des doutes en découvrant le ciel obscurci et les nuages de cendres au-dessus du volcan, mais devant les propos rassurants des autorités portuaires, il fit amarrer le navire comme à son habitude, à son coffre de mouillage situé à 700 m seulement de la côte ; il fallait de toute façon débarquer passagers et cargaison avant de reprendre la mer pour le Brésil. Ils n'eurent pas le temps.
Le navire brûla pendant 3 jours avant de s'enfoncer sous la mer. Il coula par l'arrière et se brisa en heurtant le fond, par - 55 m. Il fut découvert en 1974 par Michel Métery. Le cargo de 120 m de long et 25 m de large est en trois morceaux. Au vu de ses dimensions et de sa profondeur, plusieurs plongées sont nécessaires pour l'explorer entièrement. L'étrave du navire est posée bien droite sur le fond de sable ; la proue est à 36 m de profondeur, le bas de l'étrave à 48 m. Plus loin, la cheminée n'est plus, soufflée par l'explosion ; les superstructures n'y ont pas résisté non plus. En un peu plus d'un siècle, les éponges (encroûtantes, tubulaires, barriques géantes), les gorgones, les coraux cornes d'élan, les fouets de mer ont partout recouvert l'épave. À l’intérieur, la salle des machines, avec les chaudières à vapeur toujours en place, la cuisine et la salle de bains, les cales avant et arrière restent accessibles avec précaution. Nombre de crustacés y trouvent refuge. Les poissons aussi sont abondants, en bancs ou solitaires, stationnés dans les recoins ou naviguant parmi les tôles ; dans le bleu, ce sont les pélagiques (notamment de gros barracudas) qui croisent.
Parmi d'autres trésors
D'autres épaves historiques reposent à moindre profondeur. Entre 30 m et 40 m, le Biscaye, un trois-mâts goélette destiné au commerce de la morue depuis Saint-Pierre et Miquelon, et le Teresa Lo Vigo, un trois-mâts barque assurant les échanges de bois et de briques entre la Martinique et la métropole. Entre 20 m et 30 m de profondeur, c'est une petite vedette à vapeur que l'on découvre, largement délabrée, baptisée Diamant ; elle était dévolue au transport de passagers entre Saint-Pierre et Fort-de-France. On ne compta qu'un rescapé sur la quarantaine de personnes embarquées le jour du drame. Un voilier de commerce - le Yacht italien - repose également à ces profondeurs (20-35 m).
Enfin, l’épave de l’Amélie, un trois-mâts acier de 48 m battant pavillon français, ravira les plongeurs débutants et les snorkeleurs : le voilier, coulé suite à une voie d'eau devant l'anse Turin, se situe entre 4 et 10 m de profondeur ! Certes très dégradée, l'épave s'est transformée en un superbe récif artificiel baigné de lumière, entièrement colonisé d'éponges et autre invertébrés aux couleurs éclatantes, et investi par une myriade de poissons.
Beaucoup d'épaves localisées dans la baie de Saint-Pierre ne sont pas dûment identifiées. D'autres navires, dont on sait qu'ils étaient sur zone le jour de l'éruption, restent au contraire introuvables. Peut-être entendrez-vous parler du Grappler ? C'était l'un des deux câbliers sous-marins chargés de réparer la ligne télégraphique avec la Guadeloupe. Il était le plus proche de la côte, aurait été renversé avant de couler mais son épave n'a jamais été retrouvée. On sait qu'il était rempli de câbles en cuivre, mais aussi, paraît-il, chargé de tout l'or de la ville et des riches planteurs prêts à fuir. Le trésor du Grappler continue d'alimenter l'imaginaire.
Avant de partir, pensez à consulter les prévisions sur METEO CONSULT Marine.