
Un cuirassé né d’ambitions impériales
Le Potemkine, de son nom complet Kniaz Potiomkine Tavritcheski (Prince Potemkine de Tauride), est lancé en 1905, dans un contexte de course à l’armement naval. Il s’inscrit dans la catégorie des cuirassés dits pré-dreadnought, conçus avant la révolution technologique introduite par le HMS Dreadnought en 1906.
Long de 113 mètres et large de 21,75 mètres, ce navire de guerre en acier est équipé de deux tourelles doubles, de seize canons de 152 mm et de cinq tubes lance-torpilles. Sa construction, entamée en 1898, participe à l’effort militaire de l’Empire russe, désireux de renforcer sa présence en mer Noire et de rivaliser avec les puissances navales asiatiques, notamment le Japon.
Mais à l’heure où il entre en service, la guerre russo-japonaise tourne déjà à la catastrophe pour la Russie. L’échec de la flotte à Port-Arthur en janvier 1905 illustre l’affaiblissement du pouvoir tsariste. C’est dans ce climat de tension politique que survient l’événement qui fera entrer le Potemkine dans l’histoire.
La mutinerie du 27 juin 1905
Tout commence par un refus de la part de l’équipage de consommer de la viande jugée avariée. Le commandant du navire, menaçant de sanctionner les marins récalcitrants, déclenche une réaction en chaîne. L’officier responsable de la discipline est tué, suivi de plusieurs autres membres de l’état-major. En quelques heures, le cuirassé passe aux mains des mutins.
Le Potemkine met alors le cap sur Odessa, en proie elle aussi à des troubles sociaux. Dans la ville portuaire, grèves et manifestations sont durement réprimées par la cavalerie cosaque. Le navire devient un point de ralliement pour la population révoltée. Le 28 juin, Odessa sombre dans le chaos : affrontements, incendies et répression brutale marquent cette journée sanglante.
Face à la menace d’une intervention militaire, le cuirassé quitte Odessa. Refusant de se rendre aux autorités tsaristes, l’équipage cherche un refuge. C’est en Roumanie, à Constan?a, que le Potemkine trouve un asile temporaire. L’équipage obtient l’asile politique, mais le navire est restitué à la Russie.

Une destinée brève mais marquante
Rebaptisé Saint-Pantéleimon à son retour en Russie, le cuirassé ne connaîtra plus de faits d’armes notables. Il retrouve brièvement son nom initial en 1917, au moment de la révolution, avant d’être renommé une nouvelle fois : Boréts za Svobodu (Combattant de la liberté).
Il est sabordé en avril 1919 à Sébastopol, alors que les forces russes blanches, opposées aux bolcheviks, souhaitent éviter qu’il tombe aux mains de l’Armée rouge. La fin du Potemkine se joue donc dans le tumulte de la guerre civile russe, loin des idéaux révolutionnaires dont il était devenu le symbole.
Un destin cinématographique et politique
C’est sans doute grâce au cinéma que le nom du Potemkine continue de résonner un siècle plus tard. En 1925, le réalisateur soviétique Sergueï Eisenstein en fait le sujet de son film Le Cuirassé Potemkine. Conçu comme une oeuvre de propagande, ce film muet en noir et blanc est salué pour son esthétique novatrice, en particulier la célèbre scène du massacre sur les escaliers d’Odessa. Il devient un modèle pour le montage cinématographique et est longtemps considéré comme un chef-d’oeuvre du cinéma engagé.
L’influence du Potemkine dépasse la sphère soviétique. Son nom a été repris pour baptiser un vaisseau spatial dans la série Star Trek, preuve de son impact culturel durable.

Lénine décrivait le Potemkine comme "le premier territoire invaincu de la Révolution". Cette mutinerie, bien que réprimée, annonçait déjà les soulèvements plus vastes qui allaient ébranler l’Empire russe en 1917. Le cuirassé n’a pas changé le cours de la guerre russo-japonaise, mais il a inscrit dans l’histoire une insubordination collective devenue acte fondateur.