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En 2023, le marché mondial des algues pesait 17,6 milliards de dollars, et l’Asie, avec plus de 97 % de la production, en est la reine incontestée. Derrière ces chiffres, une réalité fascinante : des traditions millénaires, une industrie en pleine expansion et des usages qui vont bien au-delà des sushis.
Derrière l’assiette de makis, un empire économiqueDans cette grande saga des algues, plusieurs pays se disputent le premier rôle. Et chacun a son propre scénario.Japon : la tradition en version high-techAu Japon, les algues sont presque une religion. Depuis plus de 1 500 ans, elles font partie du quotidien et sont cultivées avec un savoir-faire inégalé. Hokkaido, le royaume du kombu, alimente à lui seul l’ensemble du pays en cette algue aux mille vertus. Mais ici, la modernité s’invite dans la tradition : cultures offshore, sélection génétique des meilleures souches et techniques d’exploitation ultra-maîtrisées.Corée : une industrie en pleine frénésieLa Corée du Sud a fait des algues une affaire nationale. Avec près de 600 000 tonnes produites en 2021, elle ne se contente plus d’en manger (et elle en mange beaucoup !), elle en exporte aussi à la pelle. Son arme secrète ? Le nori, base des gimbaps et des soupes, qui s’exporte à grande échelle vers l’Occident.Chine : la puissance de la culture intensivePremier producteur mondial, la Chine joue dans la catégorie poids lourd. Dans la province du Shandong, des milliers d’hectares marins sont consacrés à la culture des laminaires japonaises, essentielles à l’industrie agroalimentaire et pharmaceutique. Ici, on ne parle plus de tradition, mais d’efficacité maximale.Pacifique Sud : le petit poucet qui monteMoins industrialisées, les îles du Pacifique misent sur une approche plus artisanale. Fidji et les Philippines, par exemple, développent la culture de l’Eucheuma, une algue rouge prisée pour la fabrication du carraghénane, un gélifiant naturel utilisé dans de nombreux produits alimentaires. De quoi offrir une alternative économique aux populations locales.
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Les stars des algues du PacifiqueCertaines algues du Pacifique sont devenues de véritables icônes, présentes dans les cuisines du monde entier.Le Nori : le papier d’or noir des sushisSans lui, pas de makis. Cette algue séchée et grillée, riche en protéines et en antioxydants, est un incontournable de la cuisine japonaise et coréenne.Le Kombu : la quintessence de l’umamiEssentiel au dashi, ce bouillon qui sert de base à tant de plats japonais, le kombu est aussi utilisé pour cuire les haricots plus vite ou relever les plats en profondeur.Le Wakamé : l’algue caméléonFondante, iodée et légèrement sucrée, elle se retrouve dans les soupes miso, les salades et même les poke bowls qui envahissent les restaurants branchés.La Spiruline : la fausse algue aux superpouvoirsTechniquement, ce n’est pas une algue mais une cyanobactérie. Peu importe, elle est partout : smoothies, barres énergétiques, compléments alimentaires. Son succès repose sur sa richesse en protéines, fer et antioxydants.
De l’assiette au labo : les algues sur tous les frontsSi les algues du Pacifique ont d’abord conquis les cuisines asiatiques, elles se sont depuis frayé un chemin dans les assiettes du monde entier. Longtemps perçues comme un ingrédient exotique, elles sont désormais omniprésentes dans les épiceries et les restaurants occidentaux. Les snacks d’algues séchées croustillantes cartonnent, les grandes tables les intègrent dans leurs plats et même l’industrie fromagère s’y met, en les incorporant dans des fromages affinés pour leur donner une touche umami subtile.Mais leur intérêt ne s’arrête pas à la gastronomie. Leur richesse en nutriments en fait des alliées de taille pour la santé. Excellentes sources de protéines, d’antioxydants et de minéraux essentiels comme l’iode et le fer, elles sont utilisées pour renforcer l’immunité, réguler la thyroïde et même lutter contre la malnutrition. La spiruline, notamment, est au cœur de plusieurs programmes humanitaires en Afrique, où elle est étudiée pour ses effets contre les carences alimentaires.
Et si elles sont précieuses pour notre organisme, elles le sont tout autant pour l’environnement. Les forêts sous-marines de kelp, ces immenses algues brunes qui tapissent les fonds marins, jouent un rôle crucial dans l’équilibre des océans en abritant une biodiversité foisonnante. Mais elles ont aussi une capacité incroyable : elles absorbent jusqu’à 50 fois plus de CO? que les forêts terrestres, ce qui en fait un outil potentiel dans la lutte contre le changement climatique. De plus en plus de chercheurs et d’entreprises s’intéressent à leur culture à grande échelle, non seulement pour capturer le carbone, mais aussi pour protéger les côtes contre l’érosion et fournir des alternatives naturelles aux engrais et aux biocarburants.
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Le Japon : un modèle de gestion et d’innovationS’il y a bien un pays qui sait exploiter les algues de manière durable et efficace, c’est le Japon. Ici, pas question de surexploitation. Les techniques de culture sont optimisées pour préserver les stocks naturels, et les innovations ne manquent pas. Certaines entreprises développent même des fermes d’algues offshore intégrées aux parcs éoliens, un concept qui pourrait révolutionner la filière.Économiquement, le Japon s’en sort très bien : en 2022, il a exporté plus de 300 millions de dollars d’algues, principalement vers les États-Unis et l’Europe. Une preuve que cette ressource, longtemps cantonnée à l’Asie, est en passe de devenir un phénomène global.
Avec la montée en puissance des préoccupations écologiques et de la recherche sur les protéines alternatives, les algues du Pacifique ont un avenir prometteur. L’aquaculture régénérative, qui permet de cultiver les algues sans nuire aux écosystèmes, pourrait bien être la clé d’une exploitation durable à grande échelle.
D’autres acteurs, notamment dans les biotechnologies, s’intéressent aussi aux algues comme matière première pour des produits innovants : plastiques biodégradables, biocarburants, engrais naturels… Les possibilités semblent infinies.Mais le Pacifique n’a pas l’apanage des algues précieuses. D’autres régions du monde, et notamment les zones polaires, regorgent d’espèces aux potentiels insoupçonnés. Une nouvelle aventure marine que nous explorerons très bientôt.