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« Attaques » d’orques : des faits et des chiffres
Les interactions entre orques et humains ne sont pas une nouveauté. Ces deux « super prédateurs » ont le même terrain de jeu – la mer – et surtout les mêmes proies. Du côté de Gibraltar, les orques ont mis en place une technique de chasse très particulière : elles dérobent les thons rouges directement sur les lignes des pêcheurs locaux. De quoi créer des tensions régulières entre les deux communautés !
Mais depuis le confinement de 2020, on assiste à un nouveau comportement de ces orques du détroit de Gibraltar, une sous-population des orques de l’Atlantique du Nord-Est. Plus petites – les mâles mesurent jusqu’à 6,50m contre 9 m pour leurs cousins – elles n’en restent pas moins impressionnantes quand elles foncent sur votre bateau à près de 20 nœuds. Pour vous rendre compte du traumatisme que cela représente pour les navigateurs, n’hésitez pas à lire l’expérience vécue par l’un de nos rédacteurs (voir l’article).
Pour les scientifiques, il ne s’agit pas à proprement parler d’une « attaque », mais « d’interactions » directes ou indirectes. Pour qu’il y ait une « attaque », il faudrait une intention malveillante, ce qui n’est que de l’anthropomorphisme et absolument pas documenté à ce jour. Ces « interactions » sont dites indirectes s’il y a juste une observation des animaux autour du bateau, directes en cas de contact physique. Près de 700 « interactions directes » ont été recensées depuis l’été 2020 dans la zone du détroit de Gibraltar. Dans la très grande majorité des cas, ce sont des voiliers de moins de quinze mètres (monocoques ou multicoques) qui sont pris à partie. Une étude de 2021 fait état de 72% de voiliers concernés par les interactions directes.

Orques : un danger réel pour les bateaux dans la zone ?
52 interactions directes en 2020, puis un peu plus de 200 par an les années suivantes c’est beaucoup, mais il faut avoir à l’esprit que la zone en question est l’une des plus fréquentées au monde avec le passage de plus de 100 000 bateaux par an, 300 par 24h, soit un toutes les 5 minutes… Il n’y a aucun chiffre officiel pour connaître le nombre de voiliers de moins de 20m sur ces 100 000 bateaux, mais les estimations les plus crédibles tournent autour de 3500 par mois en été, 1000 par mois au printemps et à l’automne, soit environ 10 000 par an. A mettre en relation avec les 200 « attaques » par an, ce qui fait tout de même un risque qui atteint les 2%, ce qui est loin d’être anodin !
La zone de contact la plus importante se situe dans la zone du détroit de Gibraltar – plutôt côté atlantique – le long des côtes de Galice et du Maroc et, dans une moindre mesure, le long des côtes du Portugal. A ce jour aucune interaction n’a été déclarée depuis les Baléares et vers l’Est de la Méditerranée. Pourtant, le stock de thon rouge – la nourriture préférée des orques de Gibraltar – s’y trouve en quantité mais les orques responsables des interactions ne vont pas dans cette partie de la Méditerranée.

Un consensus scientifique maintenant très clair
La zone est dangereuse et y passer avec son bateau peut entraîner des avaries coûteuses et même des naufrages. Alors, comment réagir si une ou plusieurs orques s’approchent d’un peu trop près ?
Depuis quelques jours, nous avons enfin une réponse claire et validée par un vrai consensus scientifique. Les gouvernements espagnol, portugais et marocain vont, à partir de maintenant, communiquer sur le même protocole à suivre en cas de rencontres avec les orques, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.
Concrètement, le docteur Renaud de Stephanis, président et fondateur de l’institut de recherche sur les cétacés CIRCE, missionné par le gouvernement espagnol pour trouver une solution à ces « attaques » est très clair : « aujourd’hui, nous sommes tous (les scientifiques qui étudient les orques dans cette zone) d’accord : c’est un jeu. Les orques – quasiment toujours des juvéniles – s’amusent avec les bateaux » nous a-t-il confié. « C’est un jeu, mais un jeu dangereux, et quand vous voyez arriver un ou des animaux de cette taille qui commencent à secouer votre bateau, je comprends que les navigateurs se sentent attaqués et même en danger » continue-t-il. « Mais ce jeu, on sait aujourd’hui comment l’arrêter ».
Les « attaques » : un jeu que l’on sait maintenant arrêter !
Renaud de Stephanis est catégorique avec nous : « 500 chercheurs ont ratifié le protocole ». Et à notre question de savoir – enfin – comment éviter les « interactions », le scientifique qui étudie ces animaux sur zone depuis 1996 est formel :
« Quand la météo annonce une tempête, vous faites quoi ? Vous esquivez la zone dangereuse. Et bien la base est la même avec les orques. On sait où elles sont et elles bougent assez peu de leur zone de chasse dans la journée (moins de 2,5km). Nous avons des boucles Telegram qui indiquent où sont les orques. Depuis octobre 2022 aucun de ceux qui nous suivent via ce réseau – et ils sont 2000 à ce jour – n’ont eu à subir d’attaque. Alors c’est simple, vous évitez la zone et vous n’aurez quasiment aucune chance d’être embêté… »
Et si les orques nous arrivent dessus, que faire ? Parce qu’entre ceux qui conseillent de s’arrêter, de tout affaler, de couper les moteurs et ceux qui proposent de faire route, ce n’est pas très clair...
« Très simple : VOUS CONTINUEZ A FAIRE ROUTE. Si vous vous arrêtez, vous donnez aux orques ce qu’elles veulent : jouer avec le safran. Vous avancez, parce que c’est plus difficile d’attraper le safran s’il bouge, vous avancez parce que cela diminue la force et la sévérité des interactions, vous avancez parce que cela les amuse moins et qu’elles abandonnent alors rapidement la poursuite, ce n’est plus amusant… »
Et le scientifique passionné de continuer : « Pour le reste, c’est très simple : les pingers, ça ne marche pas, les pétards, c’est totalement illégal et tout le reste c’est du blabla ».
L’utilisation de dispositif sonore pour éloigner les orques (Pinger) a une utilité toute relative d’après les chercheurs du CIRCE, preuve à l’appui avec cette vidéo… © CIRCE
« Depuis 2020, 2,7% des voiliers qui passaient sur zone subissaient des « attaques ». Depuis la mise en place des chaînes Telegram et des mesures très claires, nous sommes passés à 0,66% d’interactions actives. 70% de baisse et c’est encore mieux avec les demandes d’aide ou remorquage : 80% en moins depuis le 10 mai 2023. Que demander de plus ? Tout simplement que le jeu cesse totalement et que de s’en prendre aux safrans des bateaux ne soit plus du tout amusant » rigole Renaud de Stephanis, conscient du bon tour qu’il est en train d’imaginer pour décourager les orques.
« Le jeu doit arrêter d’être amusant pour les orques. Pour cela, nous sommes en train d’imaginer un safran équipé de protubérances coniques qui devrait déranger les orques dans leur jeu préféré du moment. Des safrans qui auront aussi une couleur bien particulière. Si les bateaux de la zone s’équipent en quantité suffisante, les orques seront désabusées et comme c’est un animal qui apprend vite, je pense qu’on va rapidement les dégouter de la mauvaise habitude qu’elles ont prise… »
Ce que l’on a beaucoup appelé « attaque » n’est en fait qu’un jeu. Mais un jeu dangereux et agressif, comme le montre cette vidéo d’une orque s’en prenant à un safran. Impressionnant © CIRCE
Les orques aiment s’amuser. Il y a quelques années, un groupe au large du Canada avait pris l’habitude de déposer les saumons qu’elles avaient capturés sur leur tête avant de les consommer. Ce petit jeu a duré trois ans avant de totalement disparaître. Espérons qu’il en soit rapidement de même avec les « attaques » du côté de Gibraltar…