
Les algues jouent un rôle clé dans l’écosystème méditerranéen, inspirent la gastronomie locale et nourrissent l’industrie cosmétique. Pourtant, ces précieuses ressources sont aujourd’hui menacées par la pollution, le changement climatique et la surexploitation.
Un écosystème singulier, des algues adaptéesLa Méditerranée, mer semi-fermée, se distingue par une salinité plus élevée que l’Atlantique et une relative pauvreté en nutriments. Ses eaux sont d’une clarté exceptionnelle, mais cette transparence révèle un défi pour la vie végétale : le manque d’éléments nutritifs ralentit la croissance des algues. De plus, bien que la température y soit stable, elle augmente sous l’effet du réchauffement climatique, fragilisant encore davantage cet équilibre fragile.Les algues méditerranéennes ont donc dû développer des stratégies d’adaptation uniques. Moins imposantes que les laminaires atlantiques, elles se répartissent en trois grandes catégories : les algues rouges, vertes et brunes, chacune jouant un rôle essentiel dans l’écosystème marin.Contrairement aux zones tempérées de l’Atlantique Nord, où dominent les forêts sous-marines de kelp, la Méditerranée héberge des espèces plus résistantes, souvent calcifiées ou adaptées aux fonds rocheux. Parmi elles, des algues rouges comme Corallina officinalis, qui contribue à la formation des récifs, ou encore la discrète Cystoseira, algue brune endémique jouant un rôle clé dans la biodiversité.

Les perles végétales de la MéditerranéeLes algues rouges : des ressources exploitéesLes algues rouges sont les plus utilisées en Méditerranée. Parmi elles, Gelidium sesquipedale est une espèce précieuse, notamment pour la production d’agar-agar, un gélifiant très prisé dans l’agroalimentaire et la cosmétique. Historiquement récoltée sur les côtes espagnoles et marocaines, elle est aujourd’hui sujette à une exploitation intensive.Autre espèce fascinante : Lithophyllum byssoides, une algue calcifiée qui joue un rôle crucial dans la protection du littoral contre l’érosion. Malheureusement, le réchauffement climatique menace ces formations naturelles, fragilisant les barrières biologiques qu’elles constituent.Les algues vertes : un potentiel gastronomique encore sous-exploitéSi en Asie et en Bretagne, les algues sont des ingrédients de base, la Méditerranée reste en retrait sur ce plan. Pourtant, certaines espèces comme Ulva lactuca, ou laitue de mer, offrent un fort potentiel culinaire. Riche en minéraux et en protéines, elle commence à séduire les chefs de la région.Autre espèce prometteuse, Codium fragile, surnommé « doigt de mer », se distingue par sa texture douce et son goût iodé, rappelant les fruits de mer. Déjà populaire en cuisine asiatique, elle fait son entrée progressive dans la gastronomie méditerranéenne.Les algues brunes : essentielles mais vulnérablesMoins présentes que leurs cousines atlantiques, les algues brunes comme Cystoseira spp. forment pourtant de véritables forêts sous-marines miniatures. Indispensables à la biodiversité marine, elles servent d’abri à de nombreux poissons et crustacés. Malheureusement, elles sont très sensibles à la pollution et aux ancrages de bateaux, qui les arrachent des fonds marins.

Un usage entre tradition et modernitéLa culture méditerranéenne n’a pas développé de tradition culinaire autour des algues, contrairement aux sociétés asiatiques ou atlantiques. Pourtant, des traces d’usages anciens existent : en Corse et en Sardaigne, certaines soupes contenaient autrefois des algues. Aujourd’hui, la gastronomie évolue et des chefs audacieux réintroduisent ces ingrédients marins dans leurs créations.À Marseille, certains restaurants haut de gamme travaillent la laitue de mer en accompagnement de poissons ou en beignets croustillants. À Barcelone, des expériences culinaires associent le Codium fragile à des plats à base de crustacés pour accentuer leur saveur iodée.Au-delà de la cuisine, les algues méditerranéennes sont recherchées pour leurs propriétés gélifiantes et hydratantes. L’agar-agar, extrait des algues rouges, est un substitut végétal à la gélatine animale, très prisé dans l’industrie agroalimentaire et en cosmétique.Les extraits d’algues rouges et brunes sont également utilisés pour leurs vertus anti-âge et hydratantes dans les produits de soin. Certaines marques méditerranéennes misent sur ces ressources naturelles pour développer des gammes bio et durables.Les algues ne sont pas seulement utiles à l’homme : elles sont cruciales pour la protection du littoral. Les algues calcifiées comme Lithophyllum renforcent les côtes rocheuses face à l’érosion. Certaines espèces servent également de bio-indicateurs pour surveiller la qualité de l’eau, alertant sur la pollution avant même qu’elle ne devienne visible.
Un écosystème sous pressionLes eaux usées, le tourisme intensif et l’urbanisation détruisent les habitats naturels des algues méditerranéennes. Les zones rocheuses où elles prospèrent disparaissent sous l’effet du bétonnage des côtes, compromettant leur régénération.La hausse des températures perturbe les écosystèmes marins. Certaines algues, comme Lithophyllum byssoides, souffrent du réchauffement et ne parviennent plus à maintenir leur rôle protecteur pour les côtes. Parallèlement, des espèces invasives comme Caulerpa taxifolia, une algue tropicale introduite accidentellement en Méditerranée, étouffent les espèces locales en colonisant massivement les fonds marins.Si la demande en algues rouges pour l’agar-agar ne cesse de croître, leur surexploitation met en péril leur renouvellement. Des projets d’algoculture durable voient néanmoins le jour pour concilier exploitation et préservation. Cultiver des algues plutôt que les récolter à l’état sauvage pourrait être une solution pour protéger cet écosystème fragile.

Préserver ce patrimoine fragileLes algues méditerranéennes, discrètes mais essentielles, sont à un tournant de leur existence. Entre intérêts économiques et impératifs écologiques, leur avenir dépendra des efforts de conservation mis en place. La Méditerranée, bien que pauvre en algues massives, possède une biodiversité marine précieuse qui mérite d’être protégée.Et si nous levions l’ancre vers d’autres horizons ? Direction l’Océan Indien, où les algues sont au cœur d’enjeux économiques et environnementaux majeurs…