
On les confond trop souvent avec leurs cousins du Nord, les pingouins. Pourtant, les manchots - ceux du Sud, incapables de voler mais rois de la nage - fascinent marins, explorateurs et voyageurs polaires depuis des siècles. Symboles des extrémités australes, ils peuplent aujourd’hui les rêves d’évasion d’un nombre croissant d’amateurs de nature brute et de biodiversité marine. Encore faut-il savoir où les observer, et surtout, comment le faire avec respect.
À l’heure où le tourisme polaire explose - plus de 105 000 visiteurs recensés en Antarctique pour la seule saison 2022-2023 selon l’IAATO, soit une augmentation de 40 % en cinq ans - le moment semble venu de s’interroger sur nos pratiques. Car admirer les manchots à l’état sauvage est un privilège rare, mais fragile.
Antarctique : le sanctuaire ultime
Naviguer vers la péninsule Antarctique reste une expérience à part. Accessible depuis Ushuaïa, la Terre de Feu argentine, cette langue de glace abrite trois espèces emblématiques : le manchot Adélie, le manchot à jugulaire et le manchot papou.
À Neko Harbour ou sur l’île de Cuverville, les colonies peuvent atteindre plusieurs milliers d’individus. La saison idéale pour s’y rendre s’étend de novembre à mars, lorsque la banquise se fracture et que les conditions permettent aux navires d’expédition de s’approcher sans compromettre la sécurité.
La navigation y est souvent exigeante. Le passage de Drake, réputé pour ses creux impressionnants, reste une épreuve pour les estomacs sensibles. Mais l’effort est largement récompensé par la majesté des lieux. "On se sent vraiment minuscule", résume Jean-Baptiste, skipper professionnel qui a encadré plusieurs expéditions en Antarctique. "Et ce sont les manchots qui nous observent, pas l’inverse."
Falkland (Malouines) : un théâtre naturel à ciel ouvert
Situées à plus de 500 km à l’est de la Patagonie, les îles Falkland sont une escale de choix pour qui veut observer des manchots sans affronter les glaces extrêmes du continent blanc. Cinq espèces y cohabitent : le manchot royal, le manchot de Magellan, le gorfou sauteur, le gorfou doré et même le très rare manchot papou.
Le rivage de Volunteer Point est particulièrement réputé : on y trouve la plus grande colonie de manchots royaux en dehors de la Géorgie du Sud. Accessible après plusieurs heures de piste en 4x4 depuis la capitale Stanley, le site est protégé par des gardes locaux et offre un décor irréel : plage de sable blanc, herbe rase, mer turquoise et centaines de silhouettes au plumage doré.
La meilleure période s’étale de novembre à février. Et contrairement aux idées reçues, les températures peuvent y être relativement clémentes, autour de 10 à 15°C l’été austral.

Kerguelen : l’archipel oublié des explorateurs
Peu de lieux concentrent autant d’espèces de manchots que les îles Kerguelen, territoire français d’outre-mer isolé au coeur de l’océan Indien austral. On y dénombre pas moins de quatre espèces : le manchot royal, le gorfou sauteur, le gorfou doré et le manchot papou.
Ces terres inhospitalières, balayées par les vents de l’océan Austral, n’accueillent aucun touriste de manière régulière. Seuls quelques scientifiques ou marins intrépides à bord de navires spécialisés, comme le Marion Dufresne II, affrété par les TAAF (Terres australes et antarctiques françaises), ont la chance de s’y aventurer.
En mer, les conditions sont rudes, les escales limitées, mais l’impression d’accéder à un monde perdu est incomparable. C’est là que les chercheurs observent certains comportements inédits, comme la synchronisation des parades nuptiales ou la répartition des niches écologiques entre les espèces. Un trésor pour les biologistes marins.
Géorgie du Sud : la cathédrale subantarctique
La Géorgie du Sud, elle, se mérite. Située à plus de 1 000 km au sud-est des Malouines, cette île montagneuse abrite les plus grandes colonies de manchots royaux au monde, notamment à St. Andrews Bay, où plus de 150 000 couples se rassemblent chaque été austral.
Le spectacle est saisissant. On y marche parfois plusieurs kilomètres entre les champs de tussac (des herbes hautes typiques) pour accéder aux plages, noires de monde... mais pas d’humains. Un univers entièrement dominé par les cris, les chants et les parades colorées des manchots royaux. Des groupes de jeunes emplumés côtoient les adultes aux plumages d’un noir profond et aux plastrons jaune doré.
À Grytviken, l’ancienne station baleinière transformée en musée, la tombe de Sir Ernest Shackleton rappelle aussi que l’exploration polaire est une aventure autant intérieure que géographique.

Naviguer sans déranger : l’éthique de l’observateur
Observer les manchots, c’est aussi apprendre à les respecter. Quelques principes fondamentaux s’imposent à tout voyageur :
o Garder ses distances : jamais à moins de 5 mètres, sauf si l’animal vient spontanément. Les manchots ne reconnaissent pas l’humain comme un prédateur, mais cela ne justifie pas l’intrusion.
o Pas de nourriture, pas de contact : toute interaction humaine modifie leur comportement naturel. Le simple fait de bloquer leur trajectoire peut perturber leur cycle d’alimentation ou de reproduction.
o Limiter l’impact physique : on ne s’aventure pas hors des zones balisées, on évite les colonies en pleine période de couvaison, et on reste silencieux pour ne pas créer de stress inutile.
o Choisir des opérateurs labellisés : privilégier les croisières certifiées par l’IAATO ou l’AECO garantit le respect de règles strictes. De nombreuses compagnies forment désormais leurs passagers à la biologie des espèces et aux gestes responsables avant chaque débarquement.
Admirer les manchots à l’état sauvage, c’est renouer avec une forme d’émerveillement primitif, celui qui précède les mots. C’est aussi, plus que jamais, une responsabilité. Dans un contexte de dérèglement climatique, d’acidification des océans et de pressions touristiques croissantes, ces écosystèmes fragiles ne sont plus des décors : ils deviennent des indicateurs de la santé de notre planète.
Savoir où aller, quand partir et comment se comporter est un premier pas vers un tourisme polaire plus vertueux. À bord d’un voilier, d’un navire d’expédition ou d’un brise-glace scientifique, chaque rencontre avec un manchot nous rappelle que la vraie aventure n’est pas d’aller loin, mais de savoir regarder sans abîmer.
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