
Un minuscule bijou des rivages européens
Le premier berlingot, le plus discret, porte le nom scientifique de Trivia monacha. C’est un petit gastéropode marin, long de seulement un à deux centimètres, que l’on trouve dans les eaux côtières peu profondes, de l’Atlantique Est jusqu’à la Méditerranée. Il se cache dans les herbiers, les rochers ou sous les algues, bien à l’abri de la lumière. Sa coquille, bombée et parfaitement lisse, évoque la porcelaine tropicale, mais il s’agit ici d’une espèce bien européenne.
Peu connu du grand public, il fascine pourtant les amateurs de coquillages. Lorsqu’il est vivant, ce petit animal peut recouvrir entièrement sa coquille avec une membrane charnue appelée le manteau. Celui-ci porte des motifs qui l’aident à se fondre dans son environnement - une véritable technique de camouflage miniature.
Côté régime, le berlingot est un chasseur timide. Il se nourrit de bryozoaires, de minuscules organismes fixés sur les rochers. La nuit, il sort de sa cachette pour les racler à l’aide de sa radula, une langue dentée typique des gastéropodes. Inoffensif, paisible, discret... mais aussi fragile. Comme beaucoup d’espèces côtières, il est sensible à la pollution, au piétinement des estrans et à la dégradation des habitats.
Sa coquille vide, souvent échouée sur les plages après les marées, est prisée des collectionneurs, bijoutiers ou curieux en balade. Mais attention : mieux vaut laisser les spécimens vivants là où ils sont. Même petit, ce mollusque joue un rôle essentiel dans son écosystème.

Une autre créature, même surnom... et bien plus envahissante
À l’opposé de ce discret joyau, un autre coquillage est parfois surnommé "berlingot de mer", bien qu’il n’ait ni la même taille, ni les mêmes manières. Il s’agit de la crépidule (Crepidula fornicata), une espèce originaire de la côte Est des États-Unis, aujourd’hui largement implantée sur les littoraux français.
Contrairement à son cousin minuscule, la crépidule prolifère rapidement. Elle forme de vastes colonies, s’empile littéralement en chaînes de coquillages, et se reproduit à un rythme impressionnant. Sa capacité à coloniser les fonds marins est telle qu’elle s’est imposée comme un véritable compétiteur dans les zones autrefois dominées par les huîtres ou les coquilles Saint-Jacques.
Sa présence massive étouffe les gisements naturels, accapare le plancton, et modifie les équilibres alimentaires sous-marins. Elle est souvent perçue comme un « parasite » par les pêcheurs qui la retrouvent en quantité dans leurs filets, au détriment d’espèces plus valorisées.
Mais tout n’est pas si noir dans ce tableau. Ce coquillage, encore largement inexploité, suscite un intérêt croissant. Car derrière cette abondance se cache une ressource potentielle : sa chair, tendre et iodée, rappelle celle du bulot ou de la Saint-Jacques, avec des notes de noisette une fois cuite. Quant à sa coquille, riche en carbonate de calcium, elle peut être utilisée comme fertilisant ou complément minéral dans l’agriculture.

Entre nuisance et opportunité
Alors, le berlingot de mer est-il un fléau... ou une chance ? La réponse n’est pas si simple. D’un côté, il incarne la beauté discrète et la richesse souvent ignorée des écosystèmes côtiers. De l’autre, il soulève des enjeux écologiques, économiques et alimentaires. Comme souvent en milieu marin, tout dépend du regard qu’on lui porte.
Car ce qui est considéré comme envahissant ou inutile peut parfois devenir précieux. À condition d’apprendre à le connaître, à le gérer intelligemment, et surtout à respecter les équilibres naturels qui l’entourent.
Le berlingot de mer a de quoi surprendre. Il fascine les collectionneurs, intrigue les biologistes, irrite les pêcheurs et titille l’intérêt des gastronomes. Tantôt discret, tantôt envahissant, tantôt bijou, tantôt boulet, il rappelle que la mer ne livre pas tous ses secrets au premier regard.
La prochaine fois que vous longerez une plage à marée basse, penchez-vous. Peut-être croiserez-vous ce petit coquillage brillant qui, bien plus qu’un joli souvenir, raconte l’histoire mouvante de nos littoraux.