
Un produit à la fois modeste et technique
L’encornet appartient à la famille des céphalopodes, au même titre que le poulpe ou la seiche. Il s’en distingue par sa forme plus élancée, ses nageoires triangulaires, sa chair plus fine. Présent sur les côtes françaises et méditerranéennes entre avril et octobre, il est encore trop souvent perçu comme un produit secondaire. Pourtant, il offre une vraie richesse : peu calorique, riche en protéines, il se prête à une grande variété de cuissons - grillé, frit, farci, mijoté - mais c’est à la plancha qu’il exprime le mieux ses qualités.
Encore faut-il savoir le travailler. Car ce n’est pas tant la recette qui pose difficulté que la compréhension du produit lui-même. Sa texture varie selon la température, le temps de cuisson, l’humidité résiduelle. Un encornet mal cuit devient dur, caoutchouteux. Un encornet bien saisi, en revanche, développe une mâche souple, presque fondante, et une saveur iodée discrète mais persistante. Il faut donc d’abord apprendre à le préparer.
Nettoyer un encornet demande quelques gestes simples : retirer la plume cartilagineuse, les viscères, le bec, et éventuellement la peau. Le tout peut se faire à la main, en quelques minutes. L’essentiel, ensuite, est de bien le sécher. Car le secret d’une cuisson réussie tient en un mot : la saisie.
La plancha : cuisson directe, sans artifice
Venue d’Espagne, la plancha s’est imposée sur les tables françaises pour sa simplicité apparente. On oublie parfois qu’il s’agit avant tout d’une technique professionnelle, issue des cuisines populaires basques et catalanes, conçue pour saisir rapidement poissons, viandes ou légumes, sans matière grasse excessive, mais avec une température élevée et constante.
Dans le cas des encornets, cette cuisson a un intérêt précis : éviter le relâchement d’eau qui compromettrait la texture. En clair, si les encornets sont mouillés, trop nombreux sur la plaque ou cuits à température moyenne, ils rendent du jus, ne dorent pas et deviennent fermes. Une vraie saisie, à très haute température (au-delà de 250 °C), permet au contraire de les griller légèrement en surface tout en gardant leur souplesse. Une ou deux minutes par face suffisent. Il faut les saisir, pas les cuire à coeur comme une pièce de viande.
Autre précision importante : on n’assaisonne pas avant cuisson. Le sel, notamment, attire l’eau et favorise le dégorgement. Il vaut mieux l’ajouter en fin de cuisson, tout comme le citron, le persil ou l’ail, qui apportent du relief sans perturber la structure du produit.
Une recette simple, exigeante dans l’exécution
Voici une version éprouvée, pour 4 personnes.
Ingrédients :
- 800 g d’encornets (frais ou décongelés), nettoyés
- 2 à 3 c. à soupe d’huile d’olive
- 2 gousses d’ail, émincées
- 1 citron
- Un petit bouquet de persil plat
- Fleur de sel, poivre noir
- En option : paprika fumé, piment d’Espelette, graines de fenouil
Préparation :
Bien sécher les encornets, les tailler si besoin. Chauffer la plancha jusqu’à obtenir une chaleur franche. Verser un filet d’huile, disposer les encornets sans les entasser. Les laisser saisir sans y toucher pendant 1 à 2 minutes. Retourner, ajouter l’ail, poivrer, cuire encore brièvement. Hors du feu, saler, parsemer de persil et presser un trait de citron. Servir aussitôt.
Ce geste peut paraître banal, mais il ne supporte ni l’à-peu-près, ni l’improvisation. Il faut tout préparer à l’avance : ingrédients coupés, plancha bien chaude, torchon à portée de main. Rien ne s’improvise une fois les encornets sur la plaque.

Un goût sobre, précis, sans effet
En bouche, l’encornet grillé ne cherche pas à impressionner. Il ne dégouline pas de sauce, il ne cherche pas l’excès. Ce qu’il offre, c’est un contraste subtil entre surface légèrement dorée et chair souple. Un goût marin, net, sans brutalité. Il absorbe bien les arômes : ail, citron, herbes fraîches, épices sèches, mais il les réclame en précision, pas en quantité.
C’est là toute sa force. Le plat, dans sa forme la plus brute, invite à retrouver une relation directe au produit. Il n’y a pas de nappage, pas de camouflage. Si c’est bon, c’est parce que l’encornet est bien choisi, bien traité, et servi au bon moment.
C’est aussi pour cette raison qu’on le sert souvent en début de repas, ou en plat léger, avec quelques légumes grillés, une salade de fenouil, ou de simples pommes de terre vapeur. En Espagne, il s’intègre dans les assiettes de tapas, en Grèce on le trouve farci ou juste rôti au citron. Mais partout, il reste ce produit de pêcheur, direct, rapide, sans fioriture.
Une cuisine modeste qui demande de la rigueur
Sous ses airs accessibles, l’encornet à la plancha est un exercice culinaire exigeant. Il ne s’agit pas de faire bon avec beaucoup, mais de faire juste avec peu. Une matière, une chaleur, un assaisonnement. Rien de plus.
Et c’est précisément ce qui en fait un plat intéressant. Il demande de ralentir, d’observer la cuisson, d’être à l’écoute du produit. Il ne pardonne pas l’impatience, ni la distraction. Il oblige à être là, présent, concentré.