
Comme beaucoup, il part pêcher la morue au large de Terre-Neuve. Il connaît les vents du large, les côtes rudes, la patience qu’imposent les longues traversées. Rien ne le distingue encore vraiment, sinon une solide réputation de navigateur. Son mariage avec Catherine des Granches, issue d’une famille d’armateurs, lui ouvre aussi des portes. Il entre dans le cercle des hommes de confiance. C’est à ce moment que le destin bascule.
Un roi et une idée
En 1534, le roi François Ier cherche à concurrencer l’Espagne et le Portugal, qui dominent déjà l’Atlantique. Il veut trouver un passage vers les Indes par l’ouest, ce qu’on appelle alors le "passage du Nord-Ouest", et prendre pied dans ces terres encore inexplorées par les Français.
Cartier est choisi pour mener l’expédition. Il n’a pas de titre noble, mais une expérience solide. Deux navires, une soixantaine d’hommes, et une mission : explorer et revendiquer, au nom du roi de France.
Une croix plantée à Gaspé
En quelques semaines, Cartier atteint les côtes de Terre-Neuve, puis explore les rives du Labrador. Il entre dans le golfe du Saint-Laurent, qu’aucun Européen n’a encore véritablement cartographié. En Gaspésie, il rencontre un groupe d’Iroquoiens, venus là sans doute pour pêcher ou commercer.
Le contact est pacifique. Mais Cartier, fidèle aux coutumes européennes de l’époque, érige une croix de dix mètres avec l’emblème du roi, pour signifier que cette terre est désormais française. Ce geste n’est pas neutre : pour les Iroquoiens, il n’a aucun sens politique. Mais ils comprennent qu’un pouvoir étranger cherche à s’imposer. Le chef, Donnacona, s’en inquiète.
C’est alors que Cartier prend une décision difficile à comprendre aujourd’hui : il fait embarquer deux des fils de Donnacona. Officiellement, il souhaite les emmener pour en faire des interprètes, des guides pour de futurs voyages. En réalité, c’est un acte de force, et d’opportunisme. Avec eux, il pourra mieux communiquer lors d’un prochain retour. Il pense aussi gagner du crédit auprès du roi en ramenant des « représentants » de ces nouvelles terres. Il ne s’agit pas d’un geste isolé à l’époque : les explorateurs ramènent souvent des autochtones comme preuve de leurs découvertes, et parfois dans l’espoir d’en faire des intermédiaires. L’histoire retiendra surtout que c’était un enlèvement.
La découverte du fleuve
L’année suivante, Cartier reprend la mer. Cette fois, il est mieux préparé. Trois navires, un équipage plus important, et surtout, les deux jeunes Iroquoiens qui lui permettent de naviguer plus loin à l’intérieur des terres.
C’est grâce à eux qu’il découvre le fleuve Saint-Laurent, une voie immense qui traverse le coeur du continent. Cartier remonte ce fleuve majestueux jusqu’à Stadaconé, le village de Donnacona, près de l’actuelle ville de Québec. Puis il pousse encore plus loin, jusqu’à Hochelaga, au pied d’une colline qu’il nomme « mont Royal ». Là, il découvre une société structurée : des maisons en bois, des champs cultivés, une population organisée.
Cartier est impressionné. Il pense avoir trouvé un accès vers la Chine. Mais il ne peut aller plus loin : les rapides bloquent la route. Il revient donc à Stadaconé pour passer l’hiver.

L’hiver et la maladie
Les mois froids sont redoutables. Le fleuve gèle, les réserves s’épuisent, et bientôt, le scorbut frappe. Les hommes tombent malades, leurs gencives saignent, leurs forces s’éteignent. Un quart de l’équipage meurt. Les Iroquoiens, eux, savent comment survivre. Ils préparent une décoction à base d’écorce de thuya, riche en vitamine C, qui sauve les survivants. Ce remède, Cartier le retient précieusement.
Et pourtant, malgré cette aide précieuse, il choisit une nouvelle fois de capturer Donnacona, son fils, et plusieurs autres membres du village. Il veut les présenter au roi de France, mais aussi s'assurer une forme d’emprise sur ce territoire lointain. Il espère qu’en les montrant à la cour, il obtiendra les moyens de revenir, peut-être de coloniser. Donnacona meurt en France, sans jamais revoir sa terre.
L’échec d’une colonie
En 1541, une troisième expédition est lancée. Cette fois, François Ier souhaite établir une colonie permanente. Cartier installe un camp à Charlesbourg-Royal, près du Cap-Rouge. Il explore les alentours, croit découvrir de l’or et des diamants. Il remplit des barriques entières de pierres brillantes, persuadé qu’il tient enfin les richesses tant espérées.
Mais les tensions avec les Iroquoiens sont fortes, les conditions de vie très dures, et les renforts, dirigés par Jean-François de La Rocque de Roberval, mettent trop de temps à arriver. Cartier finit par repartir secrètement pour la France. Il laisse tout derrière lui : la colonie, les promesses, les pierres... qui s’avéreront n’être que du quartz et de la pyrite. D'où le dicton encore cité : "faux comme des diamants du Canada".
L’empreinte d’un nom
Cartier ne retournera plus jamais en Amérique. Il meurt à Saint-Malo en 1557, sans grands honneurs. Mais son oeuvre demeure. Il est le premier Européen à avoir exploré l’intérieur du Canada, à avoir cartographié le Saint-Laurent, à avoir décrit en détail les peuples rencontrés, leur agriculture, leurs villages, leur langue.
Et surtout, c’est lui qui transmet pour la première fois ce mot iroquoien : kanata, qui désignait un village... et qui donnera son nom au pays tout entier.
Aujourd’hui, Jacques Cartier est une figure ambivalente : pionnier et colonisateur, curieux et conquérant. Mais il reste celui qui, en remontant un fleuve inconnu, a ouvert la voie à l’histoire d’un pays.