Plaisance pro et pavillon étranger : une réforme prochainement applicable
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La loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 a modifié les codes de la sécurité sociale et des transports afin d’affilier à la sécurité sociale française des gens de mer embarqués à bord de navires battant pavillon étranger et résidant en France à compter du 1er janvier 2017 et dont le projet de décret est en finalisation d'écriture. Il convient d’entrée de souligner que le secteur de la pêche maritime qui relève de la politique commune des pêches se place de facto hors du champ de cette disposition.
Pour rappel, le décret n° 2015-454 du 21 avril 2015 relatif à la qualification de gens de mer et de marins différencie les marins des gens de mer. Cette mesure a pour objectif de pallier l’absence de couverture sociale pour les marins résidant en France et travaillant à bord de navires immatriculés dans un Etat étranger avec lequel la France ne dispose pas de dispositif de coordination en matière de sécurité sociale.
En effet, il est apparu à l’occasion de différents contentieux que des marins résidant en France et travaillant à bord de navires sous un pavillon n’appartenant pas à un Etat de l’espace économique européen relevaient de la législation du pavillon du navire alors que cette dernière ne prévoit pas de couverture sociale.
Par ailleurs, le marin résidant en France qui ne relève plus du « système d'emploi maritime français » comme celui qui n’en a jamais relevé parce qu’il n’a jamais navigué sous pavillon français était jusqu’ici exclu du bénéfice des prestations de l’Enim. N'étant pas expatrié, il ne pouvait pas non plus bénéficier des prestations du régime général de Sécurité sociale en s'affiliant à la Caisse des Français de l'étranger (CFE).
Cette mesure trouve son origine au sein d’un contentieux concernant les marins professionnels embarqués à bord des navires de la compagnie maritime Condor Ferries qui sont exploités sur une ligne maritime internationale. A ce titre les règles internationales lui permettent de choisir son pavillon, en l’espèce, le pavillon des Bahamas.
Les Bahamas ont ratifié la Convention du travail maritime et, dans ce cadre, se sont engagés internationalement à respecter les règles prévues par cette convention qui fixe un ensemble de règles sociales. Les marins français bénéficient actuellement de contrat de travail de droit « Guernesey » et sont embarqués sur des navires battant pavillon des Bahamas mais résident en France. Actuellement, ils ne sont affiliés ni au régime de sécurité sociale des marins ni à aucun régime de base français.
En ce qui concerne le régime de sécurité sociale applicable aux marins étrangers issus de pays qui ont ratifié la Convention du travail maritime, non-résidents aux Bahamas, mais embarqués sous pavillon des Bahamas, les autorités des Bahamas ont répondu que la situation de ces marins étrangers était prévue par le bulletin 148 de l’administration des Bahamas. Le bulletin 148 précise en son point 5.3, que pour les marins étrangers non-résidents, l’armateur n’est pas obligé de prendre en charge la sécurité sociale pour un marin mais que ceci n’interdit pas à l’armateur d’intégrer un accord de branche ou une convention collective pour effectuer de tels paiements.
Or la Convention du travail maritime impose aux États d’assurer une couverture sociale des gens de mer résidant sur leur territoire, complémentaire à celle de l’État du pavillon, afin que la protection des gens de mer ne soit pas moins favorable que celle des résidents travaillant à terre. Pourtant il n’existe aujourd’hui pas de possibilité d’affiliation dans l’État de résidence.
En ce sens, le paragraphe 3 de la norme A4.5 de la MLC, stipule que « tout Membre prend des mesures, en fonction de sa situation nationale, pour assurer la protection de sécurité sociale complémentaire prévue au paragraphe 1 de la présente norme à tous les gens de mer résidant habituellement sur son territoire ».
Les responsabilités de l’Etat du pavillon concernent les soins médicaux à bord et à terre (règles 4.1 et 4.2) ainsi que les dispositions « inhérentes à ses obligations générales en vertu du droit national ». Le but de la règle 4.5 est d’instaurer une protection de sécurité sociale exhaustive, au sens pleine et entière, couvrant tous les risques visés par les neuf branches de sécurité sociale, pour tous les gens de mer et les personnes à leur charge, pendant toute la durée de l’exposition au risque.
La mesure prévoit donc désormais une affiliation obligatoire à la législation française de sécurité sociale afin de suppléer cette carence. Elle distingue les gens de mer non marins en les affiliant au régime général de sécurité sociale (article L 331-1 du code de la sécurité sociale) des gens de mer marins en les affiliant au régime spécial de protection sociale des marins (article L 5551-1 du code des transports).
Différentes problématiques
Il s’est révélé nécessaire d’expertiser la mesure avant sa mise en œuvre au 1er janvier 2017 au regard notamment de la faisabilité de la mesure auprès des armateurs étrangers, des difficultés de mise en œuvre tant pour la taxation que pour le recouvrement des cotisations auprès de l’Enim. Il convient également de déterminer les difficultés éventuelles en matière de recouvrement et de contrôle, particulièrement en comparant les affiliations au régime général et au régime spécial des marins.
En effet, l'assiette de prélèvement des cotisations à l’Enim est constituée par le salaire forfaitaire du marin déterminé par ses fonctions et l’activité du navire sur lequel il est embarqué et non par son salaire réel (Les marins sont classés en 20 catégories correspondant aux fonctions exercées à bord par le décret n°52-540 du 7 mai 1952 modifié relatif au salaire forfaitaire)
Les modalités financières sont celles prévues par le décret n° 53-953 du 30 septembre 1953 modifié concernant l’organisation administrative et financière de l’Enim. Afin de pouvoir procéder aux opérations de liquidation des cotisations, le Centre de cotisations des marins et armateurs – CCMA est tributaire des services de l’État (délégations à la mer et au littoral - DML), qui sont chargés d’une triple identification : navire, employeur, marin professionnel.
Or, l’employeur signataire des contrats d’engagement maritime qui n’a pas d’établissement en France ou qui ne recourt pas à un établissement de travail maritime, qui assure pour le compte de l’armateur les déclarations d’embarquement à la DML et les paiements à l ’Enim, doit assumer toutes les démarches pour assurer l’affiliation des gens de mer marins embarqués pour son compte et les conséquences en termes de cotisations et contributions selon les règles applicables aux marins affiliés à l’Enim.
Dans l’hypothèse où un employeur ne se serait pas acquitté de cette obligation, la difficulté pour les services de l’État de se saisir d’office de ce manquement pourrait justifier d’ouvrir aux nouveaux bénéficiaires du régime des marins la faculté de saisir eux-mêmes l’Enim.
Enfin, il ne faut pas oublier, outre cet état des lieux du droit positif, de d’apprécier les conséquences sur l’employabilité des gens de mer français résidents en France, en raison du surcoût présumés des charges sociales pour une affiliation à un régime français comparée à une affiliation à un régime étranger ou assurantiel.
Finalement, la solution proposée du projet de décret consiste, ainsi que le prévoit le dispositif de l'article 31, à traiter de manière non différenciée tous les marins d'une part et tous les gens de mer non marins de l'autre. Plusieurs pistes de réflexions se présentaient :
- Soit création au bénéfice des gens de mer résidant en France et embarqués sur un navire battant pavillon tiers d’un système d’affiliation individuel à l’Enim pour les marins et au régime général pour les non-marins (analogie avec le système d’affiliation des Français expatriés) ;
- Soit assimiler les marins à des travailleurs frontaliers en modifiant la rédaction des articles L. 311-3 du CSS et L. 5555-1 du CT en distinguant le cas des marins employés sur des lignes régulières à courte distance permettant le retour quotidien des marins à leur lieu de résidence en France (il n'y a pas de gens de mer non marins embarqués sur des lignes régulières de passagers sous pavillon tiers) de celui du cas général.
A noter que l'article 31 n'a pas intégré les caractéristiques du marché de l'emploi des marins sous pavillon tiers qui se caractérise par la souscription individuelle de contrats d'assurance destinés à assurer la protection sociale de leur titulaire et à l'exclusion de l'accomplissement de formalités administratives par l'employeur.
En conclusion, en application de l’article R. 711-1 du Code de la sécurité sociale : « Restent soumis à une organisation spéciale de sécurité sociale, si leurs ressortissants jouissent déjà d'un régime spécial au titre de l'une ou de plusieurs des législations de sécurité sociale (…) les activités qui entraînent l'affiliation au régime d'assurance des marins français institué par le décret-loi du 17 juin 1938 modifié ». A ce titre, l’affiliation à l’Enim entraîne l’affiliation à l’assurance vieillesse et à la prévoyance (Article 2 du décret du 17 juin 1938 modifié).