Les records de la peur

Par Eric Mas

Ils sont fiers et ont bien raison de l’être les marins français qui ont explosé tous les records du Tour du Monde à la voile au cours de cette saison 2016-2017.

Je dis saison puisque qu’ils sont construits sur les situations météo hivernales de l’hémisphère nord et estivales de l’hémisphère sud, à cheval donc sur ce changement d’années. C’est extraordinaire qu’au cours de la même saison, Armel LeCleach améliore de 5% le temps de parcours du Vendée Globe, Francis Joyon bat de 10% le record de temps du Trophée Jules Verne, tour du monde en équipage, et Thomas Coville de 15% le temps du Tour du Monde en Solitaire. C’est extraordinaire mais explicable parce que, outre les progrès toujours réalisés sur les performances des bateaux, outre les compétences du plus haut niveau des marins, il faut compter avec la météo et cette saison a été on ne plus favorable pour chacun d’entre eux. Philosophe, Francis Joyon dit « la mer nous a laissé passer ». Pas facile de comprendre quels concours de circonstances ont rendu ces conditions si propices pour chacun et on doit en tirer des leçons pour tenter de les retrouver à l’avenir, mais ce qui compte pour l’instant c’est que tous aient su en profiter.

En profiter, c’est ne pas ménager sa peine et la prise de risque pour en tirer le meilleur parti. J’imagine la peur au ventre qu’il a fallu en permanence surmonter pour foncer toujours à la limite du raisonnable. Surmonter la peur, voilà la grande affaire. Et cela me ramène à celle qui a si longtemps bloqué la découverte de cette route autour du monde. Ce n’est pas la même peur. Les marins d’aujourd’hui ont peur de ce qu’ils connaissent, la puissance du vent, la taille des vagues, et de leurs effets qui peuvent être dévastateurs sur leurs engins de course. Ceux d’hier avaient peur de l’inconnu. C’est Henri le Navigateur (1394-1460), ne quittant pas plus son bureau qu’un routeur d’aujourd’hui, qui a organisé et forcé la découverte progressive de la côte ouest africaine. Aller toujours plus sud, perdre ses repères (l’étoile polaire n’est plus visible quand on bascule dans l’autre hémisphère), ne pas savoir où l’on va, ce que l’on va trouver, ni même si l’on va pouvoir revenir. Le cap Bojador, minuscule cap sur la côte africaine à la latitude du sud des Canaries, a été pendant longtemps une barrière mentale. Prolongé par un grand banc de sable il est synonyme de faible profondeur, de courants violents et de vagues déferlantes tels qu’aucun navire ne puisse le franchir, ou s’il y arrivait, ne puisse revenir. La rumeur ajoutait qu’aucun homme ne pouvait vivre au-delà. En dix ans, quinze expéditions ayant pour mission de franchir ce cap sont revenues en justifiant leur renoncement par des descriptions de fin du monde. En 1434 enfin, une expédition tire un bord suffisamment à l’ouest avant de remettre cap au sud pour se rendre compte que cet obstacle n’est pas insurmontable. Le verrou de la peur cède, en partie, et année après année Henri le navigateur arrive à pousser les découvreurs* toujours plus loin. La dynamique est lancée et après sa mort les explorations se poursuivent. Toujours plus sud, mais ce n’est qu’en 1488 qu’une tempête de nord, que l’on peut qualifier de providentielle, a mis en fuite pendant 13 jours la flotte de Diaz. Quand il put remettre cap à l’Est, puis au Nord il avait, sans le vouloir, passé le cap qui prit le nom de Bonne-Espérance. L’Afrique est donc contournable et la route des indes par voie maritime ouverte avant même que Christophe Colomb ne découvrit sur la route des alizés les Antilles qu’il croyait être déjà la côte Orientale de ce qu’on appelait alors l’Inde.

Si aujourd’hui la mer laisse passer les marins qui connaissent le chemin et n’ont peur que des excès de vitesse, il ne faut pas oublier que cette même mer a dû commencer par les porter, parfois à leur insu, à découvrir cette route, cette inconnue, qui leur faisait si peur.

• Source : Les découvreurs de Daniel Boorstin


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Nathalie Moreau
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Nathalie Moreau est l’atout voyage et évasion de l’équipe, elle est passionnée de croisières et de destinations nautiques. En charge du planning rédactionnel du site figaronautisme.com et des réseaux sociaux, Nathalie suit de très près l’actualité et rédige chaque jour des news et des articles pour nous dépayser et nous faire rêver aux quatre coins du monde. Avide de découvertes, vous la croiserez sur tous les salons nautiques et de voyages en quête de nouveaux sujets.
Gilles Chiorri
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Associant une formation d’officier C1 de la marine marchande et un MBA d’HEC, Gilles Chiorri a sillonné tous les océans lors de nombreuses courses au large ou records, dont une victoire à la Mini Transat, détenteur du Trophée Jules Verne en 2002 à bord d’Orange, et une 2ème place à La Solitaire du Figaro la même année. Il a ensuite contribué à l’organisation de nombreux évènements, comme la Coupe de l’America, les Extreme Sailing Series et des courses océaniques dont la Route du Rhum et la Solitaire du Figaro (directeur de course), la Volvo Ocean Race (team manager). Sa connaissance du monde maritime et son réseau à l’international lui donnent une bonne compréhension du milieu qui nous passionne.
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Sophie Savant-Ros, architecte de formation et co-fondatrice de METEO CONSULT est entre autres, directrice de l’édition des « Bloc Marine » et du site Figaronautisme.com.
Sophie est passionnée de photographie, elle ne se déplace jamais sans son appareil photo et privilégie les photos de paysages marins. Elle a publié deux ouvrages consacrés à l’Ile de Porquerolles et photographie les côtes pour enrichir les « Guides Escales » de Figaro Nautisme.
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Albert Brel, parallèlement à une carrière au CNRS, s’est toujours intéressé à l’équipement nautique. Depuis de nombreuses années, il collabore à des revues nautiques européennes dans lesquelles il écrit des articles techniques et rend compte des comparatifs effectués sur les divers équipements. De plus, il est l’auteur de nombreux ouvrages spécialisés qui vont de la cartographie électronique aux bateaux d’occasion et qui décrivent non seulement l’évolution des technologies, mais proposent aussi des solutions pour les mettre en application à bord des bateaux.
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Journaliste, photographe et auteur spécialisé dans le nautisme et l’environnement, Jean-Christophe Guillaumin est passionné de voyages et de bateaux. Il a réussi à faire matcher ses passions en découvrant le monde en bateau et en le faisant découvrir à ses lecteurs. De ses nombreuses navigations il a ramené une certitude : les océans offrent un terrain de jeu fabuleux mais aussi très fragile et aujourd’hui en danger. Fort d’une carrière riche en reportages et articles techniques, il a su se distinguer par sa capacité à vulgariser des sujets complexes tout en offrant une expertise pointue. À travers ses contributions régulières à Figaro Nautisme, il éclaire les plaisanciers, amateurs ou aguerris, sur les dernières tendances, innovations technologiques, et défis liés à la navigation. Que ce soit pour analyser les performances d’un voilier, explorer l’histoire ou décortiquer les subtilités de la course au large, il aborde chaque sujet avec le souci du détail et un regard expert.
Charlotte Lacroix
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Charlotte est une véritable globe-trotteuse ! Très jeune, elle a vécu aux quatre coins du monde et a pris goût à la découverte du monde et à l'évasion. Tantôt à pied, en kayak, en paddle, à voile ou à moteur, elle aime partir à la découverte de paradis méconnus. Elle collabore avec Figaro Nautisme au fil de l'eau et de ses coups de cœur.
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Naviguant depuis son plus jeune âge que ce soit en croisière, en course, au large, en régate, des deux côtés de l’Atlantique, en Manche comme en Méditerranée, Denis, quittant la radiologie rochelaise en 2017, a effectué avec sa femme à bord de PretAixte leur 42 pieds une circumnavigation par Panama et Cape Town. Il ne lui déplait pas non plus de naviguer dans le temps avec une prédilection pour la marine d’Empire, celle de Trafalgar …
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Après une carrière internationale d’ingénieur, Michel Ulrich navigue maintenant en plaisance sur son TARGA 35+ le long de la côte atlantique. Par ailleurs, il ne rate pas une occasion d’embarquer sur des navires de charge, de travail ou de services maritimes. Il nous fait partager des expériences d’expédition maritime hors du commun.
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